C'est une légende des siècles, version moderne, où les problèmes relationnels se règlent sur fond d'événements historiques. On a l'impression de voir des hommes et des femmes se démenant du mieux qu'ils peuvent pour récréer l'histoire de l'Andalousie étalée sur des siècles de construction, d'émotions, de conflits. Le roman se déroule ainsi en faisant vivre aux lecteurs tous les événements qui ont marqué la civilisation arabo-musulmane d'une Andalousie en pleine expansion avec ses chercheurs en philosophie, mathématique, autonomie. Le décor installé donne l'illusion de vivre le présent au rythme d'une Andalousie secouée par les conflits internes, entre personnalités influentes et religions monothéistes réunies là par un concours de circonstances historiques. Une thématique qui s'inspire d'un lointain passé On peut parler de roman polyphonique dans la mesure où chaque personnage intervient pour dire qu'il défend une cause en tant que représentant d'une idéologie, d'une époque, d'une tendance. Par exemple, Doria dont le nom a de fortes connotations hispano-chrétiennes, et omniprésente dans le roman, nous fait part de tous ses revers de famille, lorsqu'elle parle de son fils qu'elle aurait aimé prénommer Tirman, guerrier qui a combattu les Romains au temps de Takfarinas, et qui a choisi le prénom de Hassan, sous le prétexte qu'il s'est converti à l'Islam. Et que de stigmates historiques évoquées lorsque l'auteur insiste sur le nom de Takfarinas, Kahina, saint Augustin, Koceïla, statuettes de l'ère païenne. Il faut rappeler aussi que les noms : Ayye, Izuran sont des références identitaires qui nous replongent dans l'Algérie des Imazighen. Il faut ajouter quelques particularités du roman comme le temps qui déconcerte, par cette immense diversité d'acteurs de l'histoire, séparés parfois par des siècles, sinon des millénaires. Par ailleurs, les personnages qui naissent, n'évoluent pas sous les yeux des lecteurs. Ils réapparaissent comme parties prenantes non négligeables à la construction d'un monde. C'est le cas de Lucas, de Hassan. Nous sommes dans un univers où cohabitent, contrairement au nôtre, l'Islam et le christianisme. Le fils de Doria s'est converti à la religion musulmane. Elle l'annonce sur un ton de défit à Léonidas qui, lui, est curé d'une égalise. Elle, par contre, est restée attachée au polythéisme des temps anciens. D'où sa préférence pour le prénom «Tirman» qui nous fait remonter à la conquête romaine : «Son fils était derrière elle. Lorsqu'elle se tourna vers ses Dieux, ils étaient là. De petites statuettes de pierre et de bois, très ancienne, sculptées par des mains maladroites mais sincères. Brutalement, il l'écarta, se dirigea vers la niche et d'un revers de main, il fit basculer toutes les petites statuettes qu'il piétina avec rage.» Nous sommes donc au lendemain de l'occupation de l'Espagne et de l'avènement de l'Islam, religion monothéiste. Judaïsme et christianisme déjà installés n'avaient pas fait le nécessaire. Et, dans ce climat à prédominance religieuse, l'auteur remonte plus loin dans l'histoire en parlant d'Icosium. Une trame inextricable Le lecteur non averti ou qui n'aurait pas été imprégné de connaissances historiques, des origines à nos jours, pourrait peut-être se laisser déconcentrer et ne pas comprendre le roman qui a puisé toute sa substance des faits et événements historiques qui ont marqué l'Algérie et le Maghreb : «Menah était juif issu d'une tribu qui besognait dans les monts du Deren. On était là depuis la destruction du temple de Jérusalem. Menah racontait que sa tribu avait été l'une des premières à soutenir Daïmia, la Kahina dans son combat contre l'envahisseur. Les anciens comprirent vite qu'il fallait se retirer et rechercher la protection de ces cousins lointains qui se réclamaient d'Abraham. D'événement historique, on passe à des problèmes d'ordre familial ou psychologique relevant de la vie intime, ou vice versa. Doria, actrice importante d'une longue histoire, parle aussi en tant que maman attentionnée de mariage d'une muette avec un jeune qu'elle lui a choisi en fonction de critères spécifiques. Pendant ce temps, l'Emir passe de l'autre côté, vers le nord, s'arrête à Bordeaux. On ne sait pas si c'est du temps de Charlemagne, de Haroun Rachid, ou de Charles Martel. On ne parle pas de date exacte, sauf du mois de Chouwal 319 lorsqu'on annonce que le grand-père d'Anaya, Ibn Marwana a été abandonné de tous. Brisé par le chagrin, la déception, il est mort à cette date. L'auteur emploie souvent le présent pour rendre vivants des faits anciens, donner aux lecteurs l'impression d'une actualité intéressante à revivre, surtout lorsqu'il dit par la bouche d'un personnage parlant à la 1re personne : «J'ai été invité à une hafala dans un palais à El-Zahra. Grand-père, quel luxe ! Nous avons traversé d'abord d'un jardin avec des arbres immenses, des bruissons fleuris, des jets d'eau, une volière. J'ai été ébloui ; une débauche de tapis, de coussins de velours et de soie. « Et dans ce monde arabo-musulman, on découvre des chercheurs, des écoles, des palais construits par des bâtisseurs de renommée, comme Bachir El-Awan souvent des conflits éclatent, tel celui des musulmans et juifs : «Cordoue vivait des heures terribles. Tout avait commencé par une simple altercation entre jeunes mozarabes et jeunes juifs et musulmans à propos d'une prétendue victoire du condottière Rodrigo Diaz de Vivar, que ses soldats musulman appelaient Sidi, le Cid, au profit, disaient les premiers du roi très chrétien Alphonse VI de Castille, des Taïfas de Séville et de Tolède affirmaient les seconds. Un roman historique à lire avec beaucoup de concentration pour se délecter de son écriture assez bien soignée et de son contenu extrêmement enrichissant qui nous replonge même dans les origines du Cid de Corneille. Boumediene Abed Fathéma Bakhaï, Izuran II, les enfants d'Ayye, roman : Ed. Alpha, 2010, 195 pages.