Va-t-on gagner le match contre l'ennui cosmique natio-nal ? La question est de mise à moins de trois jours avant la première rencontre algérienne de foot de la CAN 2010. Dans les rues, vous l'avez observé, les marchands de drapeaux et autres signes sublimement ostentatoires du néo-nationalisme sont de retour. Peuplade sans amusements et sans colons à chasser ou gratte-ciel à construire, nous ne savons que faire lorsque l'équipe nationale ne joue pas. Nous sommes là, notre régime nous gouverne et nous nourrit, nous lui tournons autour pour voir par où on peut le mordre ou lui trouer la poche, sur le fond musical de notre indépendance et doublé par d'intenses propagandes et de cycliques fictions politiques. Cela se voit sur nos visages, les visages de nos parents et les visages de ceux qui nous rendent visite de temps en temps. Un chroniqueur ami a trouvé cette étrange formule pour signifier un homme qui hésite, qui se regarde dans un miroir qui lui tourne le dos: «la phase envisagement». Et donc, pour revenir à cette dialectique de l'Histoire, entre un pied et un destin, sans société de classes ni utopie prolétarienne, on s'ennuie tellement que seule l'EN semble être capable de nous obliger à nous hausser sur la pointe des pieds et regarder ce qui se passe au-delà du mur de nos visages. Le foot est aujourd'hui un pays, pas un sport. On le regarde comme une rediffusion de la guerre de libération, un cinéma avec écran totalement géant, une histoire d'amour entre le Coeur et le Pied, un débarquement sur la Lune par un peuple qui se propulse rien qu'en retenant son souffle et en gonflant le torse et le drapeau. Il y a en effet des moments pareils d'intenses jeunesses pour des peuples qui tournent en rond: le théâtre pour les Grecs, la conquête pour les Romains, la religion pour les Arabes, l'EN pour les Algériens et Kennedy pour les Américains ou l'enterrement de Lady D pour les retraités occidentaux et les vieilles filles de l'UE. Des moments où on ferme les yeux sur l'évidence que ce n'est qu'un ballon de cuir et deux cages, pour basculer dans un autre étage des significations: un simple penalty devient une affaire cardiaque nationale. C'est ce qui donne droit, par la suite, à toutes les analyses possibles sur cette connivence étrange entre l'histoire d'un peuple et un jeu de sport. Dans moins de trois jours donc, l'Algérie va soit revibrer encore ou s'enfoncer dans la crise de lamentation. L'affaire de l'EN, investie du rôle de dérivatif, est aujourd'hui dans le stade de l'enjeu collectif de survie ou de disparition. On se souvient de ces jours sublimes de l'avant et de l'après-match avec l'ex-Egypte: ce furent de rares jours où l'enjeu était réel et vrai, dira une amie. On n'a pas connu la vérité de l'enjeu et l'angoisse du poker, ni avec les élections de la dernière décennie, ni même avec le terrorisme. A chaque fois, la surprise possible était atténuée par la routine évidente. Nous savions depuis longtemps que les jeux étaient faits et sans nous et que les résultats étaient dans l'air avant le dépouillement, le communiqué ou l'annonce. Sauf pour ces matchs de qualification face à l'ex-Egypte: là, l'avenir était vraiment un avenir et le Présent un présent, pas une absence. C'est cette peur délicieuse et cette insupportable égalité de chances entre la perte ou la victoire, que nous redonne l'EN et son ballon. D'où son statut d'affaire d'Etat puis d'affaire de destin. Dans moins de trois jours, on devra revivre cette angoisse terrible qui fait la différence entre la vie et la rediffusion, le destin et la photocopieuse, la chance et la fraude.