C'est à la mode. La grève est devenue le pain quotidien de la moitié des Algériens. Si on calcule, même pas avec un double décimètre, le nombre de familles touchées par les débrayages (père, mère, fils, ascendants, etc.), cela fera normalement la moitié de la population nationale. Au nord, au sud, à l'est et à l'ouest, dans notre cher et vaste pays, il n'y a pas une ville, un village, un douar, pis, un campement, où l'on ne discute pas de la revalorisation des salaires, de l'introduction de l'eau potable ou du gaz de ville, du transport, des primes, de la scolarité, etc. Tous ces éléments disparates du service public dont ont droit les citoyens, sont devenus subitement l'enjeu des grands débrayages, des méga grèves, et d'un énervement social généralisé. Les médecins résidents, professeurs d'enseignement, handicapés, ouvriers, étudiants, sont sur le pied de guerre, et chacun revendique ses droits. Même les partis politiques, pas tous d'ailleurs, revendiquent leurs droits. Et, à chaque catégorie sociale, son genre de revendication: politique ici, syndical là-bas, social là, pour la «batata» ailleurs. Vue de l'extérieur, l'Algérie donne cette image inquiétante d'un pays qui n'est qu'à quelques centaines de kilomètres, par-delà la mare nostrum: la France, ben oui, en France, ils ont comme ça le virus de la grève. Pour un rien, un mégot mal éteint dans une salle pour fumeurs, et c'est toute l'usine de Merlinpinpin qui fait piquet de grève. Ah, la belle époque du «better red than dead», avec des manifestations gigantesques, et quelques policiers avec des bâtons pour agrémenter le décor, semble de retour, avec la menace du nucléaire sur la tête des Européens. Mais, en Algérie, c'est pas ça le plus inquiétant, c'est le fait que la moitié de la population revendique, tendance politique oblige, un quelque chose. C'est vrai que la marmite dégage un bruit de bouillonnement, mais est-il audible pour tous? Et, dans le monde des grévistes pour tout et rien, y a un secteur où tout «baigne»: l'agriculture. C'est étonnant, mais dans le monde des agriculteurs, comme celui de leurs bureaux, pas de «protesta». Vive la tomate à 60 dinars, la pomme de terre à 50 dinars et les petits pois à 100 dinars. C'est comme ça l'Algérie, pays de contrastes et de grande générosité. Même dans la démesure. Enfin, certains disent pourquoi il n'y aurait pas de grévistes, puisque ceux qui sont payés pour qu'il n'y ait pas de protestations sociales ne font pas leur travail. C'est vrai, si chacun faisait son travail, tout le monde prendrait son train à l'heure.