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La modalité régionale de réalisation de l'unité de l'économie et de la société
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 31 - 03 - 2016

Dans le texte précédent, j'ai soutenu qu'une privatisation dans le cadre d'une construction des marchés par le haut que contraindrait un resserrement de la contrainte marchande, conduirait à une remise en cause de la nature du contrat social, parce qu'on ne pouvait compter sur une stabilisation du pouvoir d'achat sans une redistribution des capacités de production. Je vais aborder ici la modalité politique qui permettrait de soumettre l'offre à la demande sociale : la modalité régionale de construction des marchés par le bas.
La fiction du marché national
Il n'est plus possible de raisonner à partir de la fiction d'un marché national, espace unifié d'une économie nationale, si l'on ne veut pas que l'économie décroche de la société et de ses besoins. D'abord parce qu'avec la globalisation des marchés, ceux-ci ne tiennent plus dans le cadre des Etats-nations qu'ils comprennent désormais. Ensuite dans notre cas particulier, parce qu'avec le resserrement de la contrainte marchande sur l'activité sociale, c'est l'unité non pas réelle mais factice de l'économie et de la société qui volera en éclats. Le marché va se contracter et restreindre ses échanges à une partie critique de la société.
Mais si l'on veut ramener l'économie à hauteur de la société, maintenir leur unité, ce n'est pas non plus pour la décrocher du niveau mondial duquel elle ne peut se passer. Il faut déterminer précisément la part que la société peut produire pour elle-même et celle qu'elle doit produire pour le reste du monde afin d'améliorer ses équilibres et assurer les investissements en productivité dont ses importations auront la charge. Une telle exigence de réappropriation de l'économie par la société doit être présente à un plan consistant et une échelle maîtrisable qui puisse rendre sa satisfaction possible. Ce que je vais soutenir ici, c'est que cette échelle pertinente est la région. C'est à partir de cette unité régionale que les sociétés peuvent étendre leur unité et celle de leur économie à des échelles supérieures pour se mettre à la hauteur de la globalisation. Ce n'est qu'ensuite que logiquement peuvent être construites l'échelle nationale comme rapports des régions et l'échelle mondiale comme rapports de groupes de nations. Sans cette prise de la région sur son activité, sans cette construction concentrique autour de la région, il est illusoire de vouloir accéder à une intégration internationale convenable.
Aujourd'hui, les prérogatives de l'Etat-nation sont en cours de redistribution entre deux échelles régionales, infranationale et supranationale, pour conserver aux sociétés une relative maîtrise de leurs économies. Autrement, les économies locales seront construites par les forces du marché mondial, parce que soumises alors à une asymétrie insurmontable. De la modalité supranationale de construction de l'unité de l'économie et de la société où cette construction trouve son achèvement, il ne sera pas question dans ce texte.
L'unité régionale et la transformation des préférences collectives
Ce qu'une région doit produire, exporter, importer et les manières de faire, peut être le fait d'un consensus et d'un engagement collectifs. Une telle implication et prise de la société sur la dynamique de la production et de sa répartition, peut l'aider à transformer ses préférences temporelles en faveur d'une meilleure qualité à venir de la vie collective. Car ayant le pouvoir de saisir les effets de son activité sur une telle qualité, au fur à mesure de son déploiement, elle pourra expérimenter la pertinence de son ordre de préférences et l'ajuster à ses possibilités[1].La société pourra ainsi expérimenter diversement l'ordre de ses préférences au travers de chaque région à partir de quoi chacune pourra retenir l'ordre le plus avantageux pour elle-même et son environnement. Il va sans dire que chaque région ne peut construire son ordre de préférences qu'en rapport avec ses échanges extérieurs. On aurait ainsi un processus d'expérimentation et de construction des préférences collectives. C'est là le processus par lequel la société construit et se réapproprie sa demande. En étant à la hauteur de son économie, en ayant fabriqué sa demande présente et future, la société pourra se positionner convenablement quant à ses échanges avec le monde, sans que s'interposent et dominent ses demandes et ses offres, ses projets et ses réalisations, nombre de médiations externes surdéterminantes. D'une société dépossédée de son économie, livrée à la dérive de ses besoins sous l'effet d'une surenchère mimétique et à la prédation des offres mondiales, on passerait à une société raisonnable, satisfaite de ses attentes et de ses réalisations.
L'unité régionale et la construction de l'intérêt général
La région, cet espace dans lequel la société pourrait avoir la mesure des effets de son action parce qu'en mesure de s'individualiser comme espace de production et de répartition, rend possible une bonne transformation des intérêts privés en un intérêt collectif. Ici réside un second enjeu crucial : l'identification des intérêts particuliers à un intérêt collectif. Sans espaces où intérêts particuliers, intérêts collectifs et intérêt général peuvent se définir mutuellement, s'appuyer l'un sur l'autre, on ne peut construire qu'une société passive, livrée à la manipulation d'intérêts extérieurs dont les besoins en temps de crise peuvent menacer son existence. La construction de l'intérêt général est le processus par lequel s'implique une société dans son activité, se soumet son économie. Et c'est bien là le second critère qui définit la pertinence de l'unité spatiale : en même temps qu'elle est en mesure d'éprouver son ordre de préférences, de construire sa demande, elle se met en capacité de projeter l'offre qui correspondra à son intérêt général. La région peut et doit donc devenir l'unité de base par laquelle une société autonome se construit et poursuit son intégration à l'ordre mondial et son économie globalisée. Elle constitue le premier terme de la chaîne par laquelle se réalise l'intégration internationale et par lequel les citoyens ont prise et agissent sur cette chaîne. C'est le premier niveau d'intégration démocratique d'une société au monde. Il est impératif de mettre à jour cet espace, où l'économie reste attachée aux besoins de la société, si l'on veut produire une confiance de la société en elle-même et dans les institutions qu'elle produit, si l'on veut redonner une cohérence aux comportements individuels et collectifs, former une société cohérente et l'insérer de manière adéquate et convenable dans le monde. Manquer cette échelle, c'est séparer la société de son économie, c'est la démunir des moyens de se protéger du marché, c'est rater la possibilité d'une insertion démocratique dans le monde, c'est exposer l'ordre social à la rupture et à une sortie de l'ordre du monde.
On ne peut sous-estimer l'effort que doit déployer la société pour se mettre à la hauteur du monde et on devine l'effet que peut avoir une déperdition de son effort sur son niveau de mobilisation collective. Sans une cohérence des comportements individuels et collectifs, sans une discipline légale exemplaire, la production et la canalisation de l'effort social qu'exige une telle mise à niveau ne pourront être produits.
La dualité du marché : une production de la construction par le haut du marché
L'espace national, comme second niveau d'intégration, cesserait alors d'être ce qu'il est : un espace abstrait mal déterminé, d'apparence unitaire mais en réalité fort cloisonné, commandé par le haut, laissant certains calculs s'imposer à d'autres de manière intempestive pour préserver un contrôle extérieur, échappant au contrôle de la majorité de la population mais pas aux marchés mondiaux. Il deviendrait un espace public domestique dont les conditions seraient construites de sorte à faire de la place à chacun, où les échanges régionaux et interrégionaux seraient mis à plat et soumis à une évaluation collective devenue possible. Une cartographie des échanges pourrait être dressée puis travaillée de sorte à consolider les uns et intensifier les autres. Tout comme on ne peut admettre qu'un pays puisse dépendre entièrement de ses échanges extérieurs, on ne peut accepter qu'une région soit dépourvue de capacités de résilience. Tous les échanges ne peuvent pas être soumis à une logique monétaire qui serait synonyme d'insécurité pour la majorité de la population, ou être écrasés par quelques-uns d'entre eux.
C'est par l'intégration possible de chacun dans l'économie locale qu'il est possible de mettre fin à la dualité du marché et de soumettre la logique marchande à une logique sociale. On ne peut vouloir résorber un marché parallèle en ignorant le fait qu'il est la réaction d'une société marginalisée à une construction par le haut du marché. Le marché parallèle légitime[2] oppose une construction par le bas, une auto-organisation de la société à une construction par le haut qui laisse en dehors d'elle une partie importante de la société. Il exprime une obligation de travailler et d'échanger qui, ne pouvant bénéficier de la protection de la loi pour l'exercice de ses droits, s'exprime en dehors d'elle. Un tel marché subsistera tant que la régulation légale des marchés ne sera pas compréhensive de toutes les transactions, tant que celles-ci ne pourront pas s'appuyer sur le droit pour s'effectuer. Le marché informel fait régner l'insécurité sur un ensemble d'activités et de transactions légitimes, par laquelle les autorités gèrent la population qui y est soumise. Un tel marché confondra activité légitime et activité illégale tant que l'activité légitime ne pourra pas être protégée par la loi. Et une telle confusion devient dangereuse avec l'extension d'un tel marché.
On ne peut pas demander à une société dont les droits fondamentaux (droit au travail, à la propriété et à liberté d'échanger) ne peuvent pas être protégés par la loi, qu'elle confie ses affaires à des institutions sur lesquelles elle n'a que peu de contrôle. De ce point de vue on a le droit de se demander où commence et finit le marché informel, où est sa source. Pensons aux effets des importations intempestives de produits agricoles et autres. Ajoutons qu'il est remarquable que les banques qui opèrent en Algérie ne sont que publiques ou étrangères. L'absence de banques privées ou coopératives nationales ne doit-elle pas être mise en rapport avec la bancarisation très limitée des avoirs privés ? Continuera-t-on à penser qu'avec l'extension des avoirs privés, les fonctionnaires pourront conserver une gestion discrétionnaire de l'argent public ?
Cela nous rappelle qu'économie de marché et Etat de droit sont solidaires, ce à quoi je m'empresse d'ajouter, comme constructions sociales et non pas étatiques. La particularité de la construction par le haut du marché est son ambition de construire un marché sans marchands, l'Etat se réservant le rôle de mettre en cohérence les offres et les demandes que lui concède sa capacité d'intervention. Ainsi, faut-il comprendre cette culture qui incrimine les marchands plutôt que la rigidité de l'offre comme source de la spéculation, qui vise moins à défendre le pouvoir d'achat des citoyens, à comprendre les marchands dans la construction du marché qu'à soumettre le marché à un contrôle externe. Ainsi, faut-il comprendre l'éternelle guérilla qui oppose l'Etat et les marchands : elle oppose un contrôle externe et interne du marché. Afin que l'argent ne domine pas cette construction, il faut donner à la société le pouvoir de produire et de mettre en cohérence ses offres et ses demandes plutôt que d'empêcher sa construction comme espace cohérent, donc autonome. Les marchands sont des parties prenantes d'une telle construction. Ils la domineront par le biais d'une oligarchie si l'Etat fait preuve de complaisance à son égard. Ils la serviront, s'ils peuvent interagir avec les producteurs et les consommateurs et élargir leurs offres si leurs intérêts peuvent être compris dans l'intérêt général. L'intervention étatiste bloque la formation d'un réseau de distribution cohérent et autonome et, au lieu de favoriser une configuration non oligopolistique, fait le contraire. Exporter c'est matérialiser et étendre un tel réseau qui puisse comprendre et stabiliser une production, autrement c'est déstabiliser et spéculer.
Ce qui bloque donc l'émergence d'une économie cohérente et dynamique c'est le contrôle d'intérêts extérieurs sur le marché national, le marché étant toujours considéré comme une concession de droits de l'Etat à des particuliers. Une telle définition a procédé historiquement d'un monopole de l'Etat sur les principales ressources nationales. Elle subsiste aujourd'hui par défaut. C'est ce concept de marché qu'il faut abandonner pour celui d'une construction par le bas, sans lequel une régulation des échanges par le droit resterait une fiction. Et n'allons pas penser le Droit sans les droits de propriété, de travail et de liberté d'échanger. Ce sont ces droits multiples qui ne procèdent pas d'un seul, qu'il faut mettre en cohérence.
La double légitimité de la propriété
Or nous le savons bien, la conciliation de la propriété et du travail, de la liberté et de l'égalité mettent en jeu la différenciation et la cohésion de la société. L'histoire de notre propriété publique qui menace d'être privatisée par le haut est coloniale. Elle n'a tenu sa légitimité que du refus d'une mauvaise privatisation post-coloniale : elle a constitué une solution d'attente[3]. Et elle n'a pas acquis de légitimité d'exercice, bien au contraire.
L'état de l'agriculture algérienne en témoigne largement. Mais de là à justifier une privatisation, c'est aller trop vite. Avec la crise des recettes extérieures, cet état de l'agriculture que ne pourront plus couvrir les importations et qui implique la nécessité de substituer des productions locales aux importations, n'autorise plus une privatisation par le haut que légitimerait une industrie agroalimentaire. En effet, sans la crise, nous aurions pu nourrir la population à l'aide des importations d'un côté et privatiser et légitimer par les profits d'une agro-industrie, de nombreuses terres d'un autre côté. Celle-ci justifiant une concentration de la propriété et des revenus par une politique productiviste. De nombreuses difficultés se dressent aujourd'hui devant un tel scénario. On ne se rend pas suffisamment compte qu'une domination de l'agriculture par l'industrie agroalimentaire, si elle peut conduire à un accroissement des profits et des recettes fiscales à court et moyen terme, est une menace sur la sécurité alimentaire des citoyens[4].
Ce qui est en jeu dans tout cela (constructions du marché, des privatisations) c'est un divorce ou une unité entre économie et société, entre propriété et travail[5] qui puissent résulter d'une concentration ou d'une redistribution des capacités de production et des revenus. Si la propriété privée est la pierre d'achoppement de l'économie de marché et de la libre circulation des droits, on ne peut cependant se permettre une propriété privée illégitime parce que séparant l'économie des besoins de la société. La propriété publique algérienne n'ayant pu transformer sa légitimité historique en légitimité d'exercice, plutôt que de concéder la terre à ceux qui ne s'attacheraient qu'à ses profits, l'Etat et la société doivent établir la région comme propriétaire de ses ressources territoriales de sorte qu'une privatisation du droit d'user puisse être considérée comme légitime aux yeux de la population et préservatrice de ses ressources. Légitime, autrement dit au service de la sécurité sociale (alimentaire pour la terre) et non de la simple production de profits financiers. Le travail et la production, et donc la distribution des capacités de production, doivent avoir pour but la sécurité sociale qui constitue leur légitimité finale. Et qui mieux que le contrôle démocratique d'une région peut soumettre l'usage de la propriété au service d'un tel objectif ? Et de surcroît préserver les intérêts des générations futures d'une surexploitation et destruction des ressources ?
La terre à ceux qui la travaillent comme principe a été et demeure insuffisant. Insuffisant parce qu'il partait d'une définition du travail erronée qui séparait et opposait travail mort (capital) et travail vivant (naturel et humain) sans leur conserver leur unité. Nous avons étatisé le travail de la terre au lieu d'en prendre soin et de l'améliorer. Insuffisant aujourd'hui aussi, car il ne prend pas en compte sa finalité collective : la production de sécurité alimentaire. Or, dans notre histoire collective et mémorielle, ce second principe n'a pas été effacé par celui libéral qui subsume la propriété sous le travail, parce que le travail et la production n'ont pas réussi à comprendre une production de sécurité alimentaire contrairement à l'expérience libérale occidentale. Aussi, ne pourra-t-on pas disposer absolument de la terre, jouir de l'abusus[6], troisième attribut de la propriété de droit romain. Le caractère collectif de notre définition pré-coloniale de la propriété privée, qui découlait de son usage et ne comprenait pas l'attribut impérial romain d'abusus, se trouve en quelque sorte réactivé par le souci de sécurité collective en même temps qu'il se trouve conforté par la réhabilitation d'une définition moderne de la propriété comme faisceau de droits[7] plutôt que comme propriété exclusive d'une part, et le développement d'une économie des fonctionnalités [8] d'autre part.
Une démocratie approfondie
On ne doit pas pouvoir décider des ressources d'une région sans son assentiment en même temps qu'elle ne devrait pas être soustraite à certaines obligations. L'ordre social peut s'effondrer non pas faute de représentation démocratique, mais faute de construction sociale démocratique dont la représentation politique n'est qu'un aspect, n'en déplaise aux politiques. Ce ne sont pas les gouvernements qui sont indispensables, font la stabilité d'une société, ce sont les automatismes d'une société et de ses institutions. Cette construction comporterait une nouvelle répartition des charges et des ressources entre toutes les parties prenantes à l'intégration sociale. La démocratie représentative, la nation et le politique tels qu'ils ont été produits à la suite des premières révolutions industrielles, sont en crise aujourd'hui. Leur reconstruction passe par leur approfondissement en démocraties économiques et locales. Dans un contexte d'asymétries de pouvoir croissantes entre les grands producteurs et la société de surcroît, on ne peut laisser les marchands seuls répondre aux questions fondamentales que sont : que produire, comment et pour qui ? Nous ne l'avions pas fait dans le passé, mais nous menaçons aujourd'hui de rompre et de céder face à des oligarchies locales et mondiales si nous ne nous reprenons pas. Aussi, d'une construction par le haut des marchés, de la propriété, il faut passer à une construction par le bas qui respecte les droits fondamentaux du citoyen : droits au travail, à la propriété, à l'échange et à la protection sociale, sur la base de quoi nos capacités de résilience nous permettraient de faire face aux asymétries croissantes qui menacent le monde.
Nous avons l'avantage de disposer de règles d'héritage qui défont la propriété physique. Ce qui était un obstacle pour l'accumulation de capital physique, alors que celui-ci était dominant, peut devenir un facteur de cohésion. Il faut, pour ce faire, persister à nous prémunir contre une division de la société en classes héréditaires et une domination du capital financier. Il faut aussi nous pourvoir de davantage de capital social, culturel et humain. Le monde ne manque pas de capital financier aujourd'hui, l'argent qui tourne dans le vide n'est pas notre particularité. Il manque d'une demande solvable et d'autres types de capitaux. La compétition sociale peut opposer propriété et travail, tel type de capital à tel autre, les disjoindre ou les conjoindre. Tout dépend des aspects qui domineront.
*Enseignant chercheur, faculté des sciences économiques, université Ferhat Abbas, Sétif. Député du Front des Forces socialistes, Bejaia.
Note :
[1] J'ai déjà signalé dans un texte précédent l'importance d'une telle transformation pour passer d'une société de consommateurs à une société de producteurs.
[2] On distinguera le marché légitime qui procède des droits fondamentaux de travailler et d'échanger et qui, soumis à l'application discrétionnaire de la loi, ne peut bénéficier de sa protection, de l'illégal qui a le choix de ses protections.
[3] A. Benachenhou : « L'autogestion apparaît comme une formule d'attente, une formule conservatoire plus que le résultat d'un choix politique et économique. » L'Algérie, sortir de la crise, Alger, 2015, p.70.
[4] Le concept de sécurité alimentaire fait l'objet d'un consensus international depuis le Sommet Mondial de l'Alimentation réuni à Rome en 1996. Ce sommet a adopté une définition, à peine modifiée depuis, qui est ainsi formulée par le Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale : « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active». L'accès et pas seulement la production donc.
[5] Le continuum travail propriété par lequel s'établit la légitimité historique du travail est aujourd'hui menacé par la financiarisation de l'économie qui sépare l'économie de la société et établit l'actionnaire comme propriétaire unique.
[6] On distingue dans le droit romain trois attributs du droit de propriété : l'usus, l'abusus et le fructus. Le propriétaire peut user (usus), jouir (fructus) et disposer de la chose (abusus) sur laquelle porte son droit.
[7] « Réhabiliter la propriété comme bundle of rights : des origines à Elinor Ostrom, et au-delà ? » in Repenser la propriété, revue internationale de droit économique
2014/3 (t. XXVIII)
[8] L'économie de fonctionnalité consiste à remplacer la notion de vente du bien par celle de la vente de l'usage du bien. Définition plus complète : « L'économie de (la) fonctionnalité est une innovation stratégique de rupture qui vise à substituer à la vente d'un bien, d'un service ou d'une solution associée « biens + services », la mise à disposition de solutions intégrées de biens et de services répondant à des attentes essentielles dans la société contemporaine, dans une perspective de développement durable » Wikipédia.


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