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À quoi sommes-nous le plus attachés ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 22 - 10 - 2020

On peut dire que ce à quoi l'individu moderne s'attache le plus est son autonomie individuelle. Cependant il ne prête pas suffisamment attention à ce qui la suppose, à son autonomie de ce point de vue. Notre préférence pour le présent qui réduit le cadrage en est en grande partie la cause. Le culte du changement qu'entretient la croyance dans le progrès infini ainsi que le désir de nous élever les uns aux dessus des autres, cela fait confondre attaches durables et attaches temporaires, attaches bienfaisantes et attaches malfaisantes. L'Algérien est attaché à un prix du pétrole, son absence d'autonomie quant à lui, rend celle-ci vulnérable et malfaisante.
Ne pas penser à l'autonomie quant à ce qui la suppose implique des conceptions erronées de la production et de l'autonomie. Tout est production, mais non pas production humaine, loin de là. Nous restons très dépendants de la nature, mais la croyance selon laquelle l'individu peut dominer la nature nous donne le sentiment que l'on peut en décoller. Nous prenons ce qui est temporaire pour du durable. Les modernes ont séparé nature et culture, ils seraient au-dessus de la nature. Ils ont soumis la nature au règne de la nécessité et la culture au règne de la liberté. Ils oublient l'amont et l'aval de leur production, le fait que l'industrie n'est que transformation de la vie matérielle, en grande partie transformation de la nature par elle-même (matières premières par l'énergie fossile) où le travail humain ne fait qu'intermédier. Le travail humain est travail dans celui de la nature. Les modernes sont entièrement absorbés par leur dispute des biens. Ils ne se soucient que de se monter les uns sur les autres, de se disputer qui commandera le plus au travail des autres, humains et non-humains. Ils n'accordent plus raisonnablement leur production à celle de la nature, ils consomment plus vite la matière que la nature ne la produit ; de leur consommation ils rejettent plus que la nature ne peut assimiler. Ils se coupent d'une nature qui de généreuse devient parcimonieuse et hostile, comme s'ils se préparaient à abandonner la Terre pour une autre planète. Ils n'accordent plus raisonnablement leur production à celle de leur consommation, peu consomment beaucoup trop et beaucoup insuffisamment.
Nous dépendons des matières premières que nous transformons. Elles portent bien leur nom, elles sont premières. Elles le portent mal aussi, elles sont « matières ». Notre industrie n'est que transformation de la vie matérielle. La consistance de la valeur ajoutée par notre production industrielle est négligeable rapportée à la production de la nature, il suffit de songer à ce que nous lui prenons et ne pouvons ni produire, ni lui rendre, de penser à toute la production qui n'aurait pas lieu sans pétrole, matière et énergie. C'est notre focalisation sur ce que nous pouvons nous approprier de la production en général qui réduit notre cadrage. N'a de valeur que ce que nous pouvons nous approprier, nous disputer, pour nous différencier, nous élever les uns au-dessus des autres. La vie au fond, et contrairement à nous, n'a pas vraiment besoin de nous. L'énergie fossile nous permet de transformer davantage de matière, de mettre en action davantage de machines, cette espèce moderne d'esclaves, de pénétrer plus avant dans la transformation de la nature, mais en lui prenant sans lui rendre, en la déséquilibrant, en la détraquant. Nos théories de la valeur, nos fonctions de production n'évaluent la production qu'à ce qu'elles nous coutent pour les obtenir et non pas pour les produire. Nous évaluons notre production indépendamment de la production de la nature comme si celle-ci nous était redevable ou éternelle. Si nous remettons la production humaine dans la production de la nature, on caractérisera notre économie comme une économie extractive. Cette économie extractive est à ciel ouvert dans les périphéries du système mondial capitaliste. Si nous avions à évaluer les matières premières et l'énergie par ce qu'elles couteraient à être produites, si elles pouvaient être l'objet d'un échange d'équivalents, si un producteur pouvait en réclamer le prix pour l'apporter au marché, si l'on pouvait mettre face à face la nature et l'humanité, quels termes s'établiraient entre le producteur qui transforme la production de la nature et celui qui la produit, quel poids aurait chacun ? On a fait du travail la valeur des marchandises, en ne prenant en compte que le travail humain, oubliant qu'au cœur des marchandises logeaient des « dons » arrachés à la nature. Mais que produirait-on aujourd'hui sans énergie fossile ? Quelles hiérarchies sociales auraient pu être possibles sans toutes ces énergies non humaines, de l'animal jusqu'au pétrole et à l'atome ?
Il s'ensuit de notre conception moderne dichotomique (nature/culture), une conception erronée de l'autonomie et de la production. Une conception décontextualisée, hors société et hors nature. Nous voulons nous affranchir les uns des autres, aussi avons-nous dressé des cultes au Marché et à l'Etat providentiels. Nous ne frappons plus nos femmes, nous nous en séparons. Nous ne frappons plus nos enfants, nous n'en faisons plus. Que sommes-nous devenus ? Des consommateurs et des marchands d'esclaves humains et non humains. Les modernes ont rendu la liberté aux esclaves et aux domestiques personnels qu'ils entretenaient. Ils devenaient trop couteux, on pouvait en multiplier le nombre autrement. Avoir ses domestiques et ses esclaves personnels signifiait s'enfermer dans le passé, renoncer à en multiplier le nombre que le Marché maintenant autorisait. Ne pleurons pas le travail des enfants de tels pays arriérés, c'est le système qui est esclavagiste. En haut de la pyramide, on a l'air bien loin du travail de ses enfants, travail que ne peuvent encore faire les machines, et pourtant le suppose.
Liberté et assujettissement
Nous ne voyons pas que nos liens, sont tout à la fois nos forces et nos faiblesses, nos capacités de pâtir et d'agir, qu'il nous faut distinguer nos bons liens, nos forces, de nos mauvais liens, nos faiblesses. Que nos attachements sont à la fois ce qui nous attache et ce à quoi nous nous attachons, ce à quoi nous acceptons de dépendre et ce sur quoi nous acceptons de nous appuyer. Nous rêvons d'agir sans pâtir, de connaitre le bonheur sans connaitre le malheur, de ne pas souffrir sans connaitre la souffrance. Nous avons séparé nature et culture comme nous avons séparé nécessité (lois objectives) et liberté (choix individuel), pour faire de la liberté notre attribut et de la nécessité l'attribut d'une nature esclave. Nous avons fait de la nature et de nos créations des esclaves. L'individu moderne a assimilé sa liberté au nombre de servants humains et non humains (naturels et mécaniques) qu'il peut mettre en service. L'Américain ne veut pas renoncer à son énergie bon marché, il ne veut pas renoncer à sa suprématie, à son mode de vie. Le voilà très attaché à son american way of life. Et pourtant cette énergie qui lui permet de disposer de tant de machines et de serviteurs ne dépend pas de lui. Ah ! C'est vrai, il a une confiance aveugle dans la Science, dans le Progrès. Pourtant son histoire n'est pas qu'une histoire du Progrès. Les hommes modernes n'ont plus besoin d'enfants pour travailler pour eux, plus besoin de femmes qui veulent être leurs égales. Ils voudraient juste des servantes et des servants, le plus grand nombre sur la plus large échelle du monde possible.
Car comment dominer des êtres non humains, leur commander, sans dominer, commander aux humains ? Pour la plupart de ces chefs, le rêve va se transformer en cauchemar. La classe moyenne qui aspirait à s'élever est en train de fondre. Les riches n'ont plus besoin des pauvres, ils veulent réinventer la vie, ils se payent des îles, rêvent d'une nouvelle planète avec des servants qui ne rêvent pas, mais sont toujours obéissants. Mais tous ces servants auxquels ils commandent sont-ils vraiment inertes et aussi déterminés à obéir ? La pyramide humaine ne risque-t-elle pas de s'effondrer et de ne laisser que des vestiges de pyramides ?
Avec l'industrie, pardon l'énergie non humaine, l'individu moderne a trôné sur des centaines voire des milliers de servants humains et mécaniques [1]. De se disputer un nombre toujours plus grand d'esclaves mécaniques, de vouloir s'élever toujours plus haut les uns par rapport aux autres, d'avoir oublié la générosité de la nature sur laquelle il repose, voilà que son trône vacille, que son navire tangue, son art voit ses prises sur la vie matérielle de moins en moins assurées. Quelles croyances et quels savoirs pourront le sauver du naufrage d'une nature qui n'obéit plus ? La liberté qu'il a conquise en multipliant le nombre d'esclaves mécaniques devient sa chaîne qui l'empêche de revoir ses constructions. La possibilité de les multiplier se réduit, la chaîne nature se tend, et le besoin s'accroit, les hommes sont plus nombreux à se disputer le nombre d'esclaves. Du sujet de l'attachement, il est devenu l'objet. Il avait fait de l'attachement, une relation asymétrique de sujet à objet, il ne s'est pas rendu compte du processus d'inversion du sujet en objet, car il n'en avait pas pensé l'unité. Il n'y a pas de dichotomie entre liberté et nécessité, entre sujet et objet, mais différenciation. Et l'humain ne se trouve pas au sommet de la création dans toutes les cultures. Cela a constitué l'hypothèse d'une culture qui nous a conduits au point où nous en sommes[2]. L'humain n'a pas le rang de sujet dans toutes les langues, tout ne lui est pas rapporté. Il est un vivant parmi d'autres, une espèce parmi d'autres, qui ne peut vivre sans les autres.
Energie et autonomie
Pour ce qui nous concerne, on peut dire que ce qui nous donne notre autonomie est encore plus saillant que dans les nations industrielles. Pas besoin d'industrie pour voir que c'est de l'énergie, des hydrocarbures (et du culte à l'Etat providentiel) que nous tenons nos autonomies individuelles. Elle tient plus de la nature, de la nature extractive de notre économie, que de nos savoirs.
Les exportations des hydrocarbures nous permettent d'importer et nos productions de transformer nos importations. Nous vivons de nos importations, elles ont écrasé nos archaïques productions et producteurs locaux. Avec nos hydrocarbures, nous n'avons pas besoin de fabriquer nos servants, nous les achetons. Pourquoi travailler pour obtenir ce que nous pouvons avoir sans peine ? Et puis nous sortons d'une nuit coloniale, nos besoins ne sont pas si importants que les vôtres, anciens maîtres coloniaux, même s'ils sont allés bien plus vite que les vôtres. Vous nous traitez de fainéants, mais regardez-vous, pourquoi vous échinez-vous tant ? N'est-ce pas pour faire travailler les autres à votre place, pour vous décharger sur le reste du monde et en attirer les bienfaits ? Votre confort n'a d'égal que le nombre de servants qui travaillent pour vous ! Vous n'êtes pas très regardants, humains ou non humains, c'est pareil, juste une question de proportion. Nous n'en demandons pas tant. Notre vie est plus simple, nous n'avons pas besoin d'autant de serviteurs ni ne sommes obligés de choisir entre servir l'Etat ou le Marché. Un seul culte nous suffit.
Les gouvernants de nos pays pétroliers ont le cœur accroché au prix du pétrole. Gouverner est bien plus facile avec un prix du pétrole élevé. Leur attention est rivée à sa courbe. Quand le prix baisse, ils attendent toujours que sa courbe remonte. Ils ne peuvent se résoudre à l'idée qu'elle ne remontera pas. Elle remontera certainement, si les riches ne prêtent pas trop vite attention à d'autres formes d'énergie. Mais là encore cela ne dépend pas d'eux. Gouverner autrement n'est dans les habitudes de personne. Comment faire face dans notre cas aux ruptures dans les importations, aux baisses du pouvoir d'achat ? C'est que trop de monde est attaché aux importations. Comment transformer une économie basée sur l'exportation des matières premières et la transformation des importations en une économie de transformation de la production qui soit moins extractive ? Qui compte moins sur des relations asymétriques entre les êtres, humains et non-humains ? Il faudrait remettre la production au centre de l'économie et la production humaine au sein de la production naturelle.
Il faudrait rompre l'alliance actuelle du consommateur et de l'importateur, établir une nouvelle alliance de la culture et de la nature, une production qui soit une culture de la nature.
Nouvelles alliances
Sans stratégie de long terme, avec de nouvelles alliances du producteur et du consommateur, de la culture et de la nature, une telle inversion du rapport de la production et des importations serait hors de question. Des stratégies de court-terme ne peuvent pas traiter notre addiction au pétrole. Elles ne peuvent qu'accompagner la baisse du pouvoir d'achat sans susciter de nouvelles capacités de production. De plus, la croissance de nos besoins en énergie ne peut pas s'interrompre, en extension et en intensité. Le minimum souhaitable n'est pas atteint. Je signale en passant que nous avons fermé des usines hydroélectriques sous prétexte que leur production était négligeable et pour transformer la vie des hautes plaines. S'est-on intéressé aux conséquences de ces actions ? Comme si on avait de l'énergie en trop, comme si le gaz pouvait couvrir tous nos besoins, comme si les exportations n'allaient pas le disputer à la consommation nationale. Comme si transformer le climat, les conditions de vie des hautes plaines était une mince affaire. Mais nos gouvernants ne désespèrent pas de trouver de nouvelles ressources à épuiser, nous ne pouvons imaginer qu'il puisse en être autrement. Nous sommes immergés une économie extractive et une transformation de la nature que nous méprisons. Et pourtant, il faudra bien nous débarrasser de notre addiction au gaz et au pétrole, il nous faudra bien plus d'énergie que nous en avons et vivre dans les milieux que nous détruisons. Car la production qui devra prendre la place de nos importations et la lutte contre la pauvreté auront besoin de cette énergie et de ces milieux.
Pour détacher notre consommation du pétrole, il faut lui donner de nouvelles attaches. Et cela n'est pas simplement l'affaire de la production. S'il nous fallait garder nos préférences actuelles en matière de consommation, on peut déjà affirmer que l'inversion du rapport des importations et de la production ne peut pas avoir lieu. Ce sont de nouveaux rapports sociaux, des rapports rééquilibrés entre producteurs et consommateurs, entre nature et production, que nous avons besoin. Il nous faut apprendre une autre coopération entre êtres vivants, humains et non-humains.
Nous avons besoin de nouvelles préférences en matière de consommation. Nous devons nous attacher à certaines consommations que la production est en mesure de satisfaire. A des productions dont la difficulté de production est la moins grande et dont pourra bénéficier le monde ou la majorité de la population. Nous devons refuser le dictat du présent, aimer à nouveau nos enfants, la famille au lieu de les fuir. Nous pourrons alors compter favorablement sur le progrès mondial en matière de connaissance et sur l'émergence de capitaux, d'un capital social et humain. Si nous ne différencions pas nos préférences nationales ou régionales (maghrébines et africaines) en matière de consommation, il serait illusoire de croire que nous pourrions donner à la production la place dont nous avons besoin. Il s'agit de mettre en place un protectionnisme social et non étatique. Le citoyen doit renoncer à séparer production et consommation. Nous devons poser au contraire qu'elles doivent se codéterminer non pas seulement en général, mais ici et maintenant, à l'Est, à l'Ouest, au Centre, en Algérie, en Afrique du Nord et en Afrique de préférence. Plus larges seront nos marchés, plus large sera notre gamme de production et de consommation. À condition qu'ils soient cohérents et inclusifs. Cela commence dans nos comptes individuels, ceux des villages, des quartiers, des villes et des régions, puis au-delà.
Le monde veut nous imposer ses normes de production et de consommation pour écouler et distribuer sa production. Nous ne pouvons pas lui disputer la production selon ses normes. Nous ne pourrons pas produire ses voitures, mais nous pouvons penser notre mobilité, nos moyens de transport, ceux qui améliorent notre productivité globale. Notre bien-être social, s'il veut cesser d'être attaché à des ressources naturelles qu'il dissipe et donc desquelles il devra se détacher un jour ou l'autre, que d'autres valorisent et donc sur le prix desquelles il n'a souvent pas de prise, doit s'amarrer à la productivité globale. Inverser le rapport de la production et des importations signifie attacher nos revenus à notre production, à une productivité à laquelle chacun pourrait prendre part. Est-il si difficile de comprendre que notre autonomie doit s'attacher à nos productions, à celles de nos milieux plutôt qu'à des matières que d'autres valorisent ? Non cela n'est pas le plus difficile. Le plus difficile est de renoncer à vouloir nous élever les uns au-dessus des autres, à commander aux autres, à vouloir bien vivre ensemble dans nos milieux.
Les normes mondiales de production et de consommation et autres qui les accompagnent imposent une offre qui excède nos capacités. Inverser le rapport de la production et des importations signifie donc aussi inverser jusqu'à un certain point le rapport de l'offre et de la demande. Nous n'avons pas à prendre l'offre mondiale (et la demande qui l'accompagne) telle qu'elle se présente. Notre demande doit correspondre à nos capacités de production présentes et futures. Si nous avons finalement substitué nos importations à nos productions, c'est parce qu'il nous revenait moins cher d'importer que de produire, l'argent n'étant pas le nôtre. De l'importation des usines clés en main nous sommes passés à l'importation de leurs produits. Mais dans quel espace faisions-nous cette comparaison ? Nous voulions consommer et produire comme les autres sans avoir défini le chemin au sein du marché mondial qui nous en aurait rendu capables, nous aurait permis d'intégrer le marché mondial. Nous avons exporté nos richesses naturelles plutôt que nos produits manufacturés et nous sommes restés soumis à une division internationale du travail néocoloniale. Parce que l'argent de notre pétrole est allé à la consommation locale plutôt qu'à la production pour une consommation mondiale. Nous ne pouvons consommer comme les autres que si nous pouvons produire comme les autres. Si le monde nous achète des voitures, ou si nous pouvons fabriquer (non pas monter seulement) des voitures, mais y renonçons pour fabriquer plus avantageux, nous pouvons acheter des voitures. Nous avons besoin d'un tel esprit qui tout à la fois nous rassemble et nous porte à la hauteur du monde. Sans lui, nous ne pouvons pas nous « agglomérer », nous associer, faire société.
L'Afrique doit apprendre des expériences d'industrialisation postcoloniales. Et donc de l'Asie orientale et de la Chine en particulier. Les petits pays se sont industrialisés en profitant de la guerre froide. Les marchés occidentaux leur étaient ouverts. Ils ont pu bénéficier de l'investissement direct étranger, d'un transfert de savoir-faire, en comptant sur leurs propres valeurs qui ont limité leur mimétisme à l'égard de l'Occident et donc la soumission aux normes mondiales [3]. La Chine mérite une attention particulière. Sans un marché d'une telle taille, comment remettre en cause les rapports d'asymétrie mondiaux instaurés par la domination occidentale, faire face à des Etats-Unis très conscients des bénéfices qu'ils retirent de leur suprématie ? La sécurité de l'approvisionnement en matières premières et la capacité de production et d'innovation sont les deux mamelles de la puissance. L'Afrique à la différence de la Chine n'a pas besoin de fournir autant d'efforts pour sécuriser son approvisionnement en matières premières, elle en est riche. Elle peut même s'en servir pour modifier les rapports de forces internationaux. Peut-être doit-elle commencer par là. Valoriser ses ressources naturelles, c'est mieux peser sur les marchés mondiaux et mieux vivre dans ses milieux. C'est refuser de vendre dans certaines conditions, celles qui nous maintiennent dans la condition de producteurs de matières premières et d'énergie. Pour cela, il faut certainement s'attacher à consommer autrement pour moins dépendre de la production industrielle des autres. Car nous sommes victimes de nos besoins à l'égard desquels nous sommes passifs. Des besoins qui au lieu d'augmenter nos forces les diminuent. Oui l'indépendance de l'Afrique et des pays qui la composent dépend d'un certain renoncement des élites dans lesquelles la société s'identifie, à vivre, à consommer, selon les normes occidentales. C'est la condition d'une transformation des rapports de forces sur le marché mondial : on ne vend pas ses ressources naturelles, on ne s'aliène pas son capital naturel pour de la consommation improductive, pour construire une société qui détruit son capital social et exporte son capital humain. On ne dissipe pas son capital naturel, on ne détruit pas son capital social, on n'expatrie pas son capital humain, pour accroitre le capital argent et financier d'une minorité, relais du capital financier international. Nous sommes sortis trop vite de traditions que nous avons trahies parce que nous avons opposé à la suite de l'Occident modernité et tradition. Alors qu'il n'est toujours question que de changer de traditions, d'automatismes régulateurs. Nous sommes restés des déracinés [4]. Nous avons dressé un culte au changement sur notre déracinement. Nous avons fait de la tradition un obstacle alors qu'elle est aussi une alliée. C'est elle que le changement transforme, une tradition prend la place d'une autre. Plutôt que de figer la tradition dans une Tradition hors de l'histoire, il faut l'y replonger. Il faut associer la notion de tradition à celles de croyances et d'habitudes sociales. Résultat, nous nous retrouvons sans automatismes régulateurs, producteurs de cohérence.
Cela tombe bien, la modération de nos besoins nous permet de réajuster nos normes de consommation à des capacités de production accessibles. Nulle part dans le monde, les besoins ne se sont développés aussi vite qu'en Afrique. Quel continent a-t-il connu le rythme d'urbanisation qu'il a connu ? Le mimétisme et la compétition sociale aidant, le rythme de développement de la production ne pouvait que décrocher face à un tel rythme de croissance de la consommation. Nous devons établir une règle : nous devons consommer pour produire, pour élargir nos capacités de production et de consommation. C'est donc en matière de capacités de production qu'il nous faudra le plus d'efforts pour produire une base matérielle d'existence relativement autonome. Mais le monde d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier. Les puissances d'hier en termes de pouvoir ne sont plus ce qu'elles étaient (la démographie par exemple), en termes d'avenir elles ne peuvent plus être ce qu'elles étaient (l'emploi, l'industrie par exemple). L'avantage d'hier se transforme en son contraire, la force finit toujours par devenir faiblesse ... avant qu'elle ne se renouvèle. Par contre, les marges peuvent être considérables pour l'Afrique, pourvu qu'elle accepte de moins subir le monde, de mieux valoriser ce qu'elle a en propre.
Mais pour cela, il faut certainement regarder d'une autre manière nos capacités de production. Non plus du haut des capacités de production mondiales, autrement dit en référence à celles-ci, mais en référence à notre capital social et humain. Le pétrole nous avait donné la finance, mais nous n'avons pas compté sur la joie de vivre et donc sur notre capital social, nos capacités de coopération, et notre savoir-faire, notre capital humain pour industrialiser, mais sur le gain personnel. Ce ne sont donc pas ces capacités que nous avons travaillées. Pour pouvoir construire une base matérielle africaine dotée d'une autonomie relative, il faut recentrer nos attachements autour de nos capacités de coopération et de compétition dans nos milieux. Des individus, des collectifs ne tiennent ensemble que par ce qu'ils s'attachent à faire ensemble.
Notes :
[1] Voir les travaux de J. Jancovici, son site Jancovici.com.
[2] [1] « ... On pourrait nommer philosophie autocratique des techniques celle qui prend l'ensemble technique comme un lieu où l'on utilise les machines pour obtenir de la puissance. La machine est seulement un moyen ; la fin est la conquête de la nature, la domestication des forces naturelles au moyen d'un premier asservissement : la machine est un esclave qui sert à faire d'autres esclaves. Une pareille inspiration dominatrice et esclavagiste peut se rencontrer avec une requête de liberté pour l'homme. Mais il est difficile de se libérer en transférant l'esclavage sur d'autres êtres, hommes, animaux ou machines ; régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c'est encore régner, et tout règne suppose l'acceptation des schèmes d'asservissement. » Gilbert Simondon. Du mode d'existence des objets techniques. Ed. Aubier-Montaigne. Paris. 1958
[3] La Science économique dont nous avons dit ailleurs qu'elle avait pour objectif de formater les comportements et non pas de rendre compte de la réalité économique mais du résultat du formatage pour le réajuster.
[4] Pierre Bourdieu avec Abdelmalek Sayad. Bourdieu parle aussi d'individus étatisés, à quoi l'on peut ajouter un Etat privatisé.


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