L'autre barde du Sersou s'en est allé sur la pointe des pieds, presque en s'excusant d'avoir vécu. A peine une année après la disparition de son alter ego, le grand poète Cheikh Khaled Mihoubi Ould Ezzine, la ville de Ali Maâchi vient encore de perdre l'une de ses personnalités culturelles les plus illustres en la personne de l'immense poète et parolier, Mohamed Chalef, disparu samedi à l'âge de 84 ans, après un long et douloureux combat contre la maladie. Maître incontesté de la poésie populaire et du chiîr el melhoun, cet autre barde du Sersou était un virtuose-né du beau verbe et ciseleur des mots hors pair. Ce grand poète qui n'aura pas bénéficié de l'intérêt et la considération qu'il méritait tant, était un barde à l'inspiration unique dans le genre bedoui, cette musique des entrailles paysannes. Souvent, l'on a assisté à ses déclamations qui tenaient toute l'assistance en haleine, tellement il savait sculpter les mots dans un style lyrique propre à lui. Lui-même auteur et parolier, Cheikh Mohamed Chalef était aussi une sorte de crooner qui savait déclamer les immortelles poésies d'aèdes illustres comme Mostefa Ben Brahim, Sidi Lakhdar Benkhlouf, Abdelkader El Khaldi, ou encore Cheikh Hamada. Figure culturelle, très aimé et respecté dans le milieu artistique dans toute l'Oranie où il a eu à se produire durant des années, Cheikh Mohamed Chalef était le dernier rescapé, avec Cheikh Beldjouher, du genre melhoun, une science et un style littéraire qui n'avaient aucun secret pour l'immense barde disparu. Son verbe d'une somptueuse beauté, ciselé dans la langue d'El Jahid, continuera à résonner longtemps dans les oreilles et le cœur de ses très nombreux fans. Cheikh Mohamed Chalef restera ce nom lumineux, qui aura brillé de mille feux dans le club fermé des bardes des Hauts-Plateaux de l'Ouest. Il a été inhumé, samedi, au cimetière de Tiaret, où un dernier hommage lui a été rendu par ses amis, ses proches et beaucoup d'anonymes.
