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Le monde a besoin d'un nouvel esprit
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 30 - 09 - 2023

Dans son ouvrage par-delà nature et culture[1], l'anthropologue du Collège de France Philippe Descola différenciait les sociétés selon les rapports qu'elles établissaient entre nature et société, humains et non humains, animés et inanimés. Avec les crises de l'énergie, sociales et du climat, la « vérité » du rapport entre nature et société est en train de changer. La statue de la Liberté tiendra-t-elle encore longtemps ?
Nature et société : agies et agissantes
Je vais m'appuyer ici sur l'exemple de deux sociétés différentes quant aux philosophies sociales[2], la société occidentale et la société extrême-orientale. Pour la première, nature et société seraient essentiellement différentes[3]. La première serait simplement physique, obéirait à des lois, la seconde serait dotée d'une intériorité, disposerait d'un libre arbitre. Il s'agit alors de s'extirper, de s'abstraire, de s'émanciper de la nature. Il y a une lutte contre la nature, une lutte non seulement pour s'en extraire, mais aussi pour la soumettre. On oppose alors la liberté et la nécessité. Un mythe d'autoproduction tend alors à se substituer au mythe de la Création. L'individu-roi de droit divin héritier du monarque de droit divin a oublié Dieu et s'émancipe de la Nature. Pour la seconde, nature et société se différencient, s'opposent et se complètent. L'une ne va pas sans l'autre, se substitue et complète l'autre. Le civilisé se distingue du barbare, le polit, le domine et non en s'en extrayant. On ne se dissocie pas de la nature, on s'associe avec elle, on fait société avec elle. La société/culture est dans la nature et la nature est dans la société/culture. Il y a des natures cultures.
Avec l'Anthropocène qui se caractérise par une transformation de l'espèce humaine en force géologique, la société comme force agie et agissante de la nature est devenue patente au-delà des souhaits de la société. La société est dans la nature, comme force de la nature et non simplement comme force sur la nature. Mais elle n'est force géologique dans la nature que parce la nature est force (minérale, énergétique et autres) dans la société. La thèse que je retiendrais dans ce texte c'est que la crise civilisationnelle qui vient, crise de la civilisation thermo-industrielle, est le résultat de l'unité non complémentaire de la société humaine et de la nature. On s'est trompé, on a voulu que l'action de la nature complète celle de la société, alors que l'action de la société ne pouvait que compléter celle de la nature. Il en résultera une action de la nature dans la société qui produira la société moderne, mais perturbera l'action générale de la nature en entrainant une rétroaction négative de la nature sur la sur elle-même et la société. Ceci pour avoir dissocier théorie et pratique de la nature et de la société, Science et pratique scientifique, la théorie dissociant la société de la nature, la pratique mêlant humains et non humains sans que la théorie en fasse le compte-rendu. La langue des Blancs est fourchue disaient les Indiens d'Amérique, leur main droite ne veut pas voir ce que fait leur main gauche. Sur ce partage se sont construites la démocratie occidentale et sa civilisation thermo-industrielle : une nature soumise à des lois objectives qu'une société acquise à ses propres lois domine. Ainsi que l'hégémonie culturelle et matérielle de l'Occident, les démocraties et les dictatures, les secondes regroupant des sociétés soumises à des lois qui leur sont imposées et qu'elles « méritent ».
Carbon democracy
L'argent qui a fini par conquérir le monde, par imposer sa grille de lecture des flux matériels, a fait ignorer à la société les êtres vivants, les flux matériels, immatériels et d'énergie qui la composent. La notion fourretout de capital des économistes mainstream en est la parfaite illustration. La société a ignoré la nature qui la compose et la travaille, elle s'en est séparée, l'a objectivée pour la dominer. La société comme force de la nature s'est ignorée en même temps qu'elle a ignoré la nature comme force en elle et hors d'elle, elle n'a pas voulu penser ce rapport de forces réel de l'une dans l'autre, de l'une sur l'autre. Elle rêvait de s'en extraire et de l'objectifier au lieu de l'accueillir et de s'y inscrire en coopération et compétition. Ce n'est pas la nature qui a fait sa force, les énergies fossiles qui ont fait sa civilisation[4], affirmait-elle, c'est la liberté et toutes ses luttes, lutte contre la nature, lutte de classes et lutte des femmes. Sans les énergies fossiles, les luttes entre les classes, entre les hommes et les femmes auraient-elles conduit à un Etat providence, à une libération des femmes ? Les luttes humaines se situent d'abord dans le cours des choses d'une nature culture donnée. L'émancipation des femmes s'est effectuée dans le cours d'une nature culture particulière, celle qui a donné lieu à la civilisation thermo-industrielle.
En vérité, une société force agissante de la nature, une nature force agissante de la société, cela a toujours été le cas. Ce qui a changé et qui ne pouvait plus être écarté, c'est que la force de la nature n'est plus silencieuse. On n'a pas voulu reconnaitre la place qu'elle prend dans la société, elle s'affirme en dehors d'elle. Elle n'est plus cette esclave docile au service de la société. Elle n'est plus cette force agissante parce qu'agie. De généreuse, elle menace de devenir parcimonieuse et dangereuse[5]. De bénéfique, elle menace d'être maléfique. Ce qu'elle rapporte à la société n'est plus ce qui était compté. La société doit désormais compter avec ce qu'elle ne comptait pas, en attendant un nouveau miracle, une nouvelle bénédiction qu'elle ne s'empêchera pas de retourner en malédiction. Car la Société est sur le point d'être submergée par la Nature, le rapport de la Société et de la Nature de s'inverser. La nature agie agit désormais hors des plans de la société et tend à les définir. L'humain est en train de tomber de son piédestal.
Les énergies fossiles bien que force agissante sans lesquelles la société moderne n'aurait pu exister[6], n'étaient considérées que comme des « ressources ». Seuls les outputs économiques importaient, les inputs et outputs non économiques étaient négligeables. Les énergies fossiles ont transformé les sociétés, les sociétés ont transformé la biosphère sans que tout cela ne soit pensé. On a vu que les bénéfices économiques d'une telle transformation en s'en attribuant de surcroit le mérite. L'Homme n'était-il pas le centre de l'univers, la Création n'était-elle pas à son service ? La Liberté pouvait trôner en idole suprême à l'ère d'une croissance tenue pour éternelle. On ne souligne pas souvent le rapport du mythe de l'Histoire comme progrès avec la croyance en une croissance et un développement des forces productives infinis. On ne veut pas voir le rôle des énergies fossiles dans le progrès social. Avec la dichotomie société nature, on ne voit pas l'exploitation de la nature, seulement celle des hommes et des femmes. On ne voit pas que l'exploitation de la nature est la source du progrès matériel, celle des humains n'en étant qu'une partie mineure qui n'a pris l'importance qu'elle a eue que par l'attention que les humains lui ont accordée. On ne voit pas que la séparation entre humains et non humains est reconduite au sein même des humains. Des cultures effacent d'autres cultures et réduisent des humains à des non humains. Avec la fin de la civilisation thermo-industrielle, ce sont des croyances enracinées depuis quelques siècles qui ne tiennent plus la route. Elles vont s'effondrer, cela va faire très mal. Il faudra se méfier de l'amour-propre occidental.
L'agonie de la civilisation thermo-industrielle
C'est donc la dichotomie essentielle entre nature et société, qui a structuré les croyances et fait de la nature un certain usage, qui a donné naissance à la société moderne. Elle est aujourd'hui en cause. La trajectoire des sociétés modernes est en passe de se rompre. Les sociétés de ce fait ne vont pas subir les mêmes violences. La violence risque d'être extrême dans les sociétés pauvres qui n'auront pas su faire avec leurs croyances. Les sociétés qui auront su faire pourraient se retourner plus facilement que les sociétés riches plus chargées. Il est théoriquement plus facile pour le pauvre d'accepter la sobriété, mais pour l'heure, pratiquement, il cherche encore son salut dans les sociétés riches. Il est plus difficile à des sociétés de renoncer aux croyances qui ont fait leur suprématie. Ici et là, il faudra se déciller les yeux, voir la société et la nature à leur place, l'une dans l'autre, agie et agissante l'une et l'autre, les humains n'étant qu'une partie des existants dont la place est devenue disproportionnée.
Cette remise en cause culturelle, dont l'Occident a les moyens intellectuels, va être particulièrement difficile si elle est promue par une puissance étrangère et pas par lui-même. L'influence de la Chine, dont l'Occident se refuse toujours d'accommoder la philosophie, passera auprès de la majorité de la population mondiale, car l'humanité non occidentale a besoin d'un autre ordre mondial. Elle prendra l'offre disponible, il faudra savoir faire avec la philosophie chinoise, ses théories et ses pratiques. Ce ne sont plus les sociétés riches qui appellent à changer le monde. La Chine et les puissances réémergentes offrent au monde non occidental la perspective d'une remise en cause de l'ordre international. L'esprit occidental qui est derrière l'ordre actuel est désormais miné par ses échecs. Il est urgent qu'il se réforme et comprenne autrement le monde.
Les sociétés riches vont devoir remettre en cause le principe à la base de leur domination, société contre nature, humains contre non-humains, qui a dressé la nature (énergies fossiles) contre la nature (climat), la société contre la société. Au cœur de l'opposition complémentaire entre nature et société, nous trouvons les échanges d'énergies et de matières. Les sociétés vont se disputer, s'efforcer de tirer à elles le plus d'énergies et de matières pour ne pas trop souffrir de la sortie de la civilisation thermo-industrielle. Elles vont continuer pour ce faire à s'arcbouter sur le principe de leur domination. La compétition économique et militaire va distendre davantage le rapport de la société à la nature, les rapports sociaux, démunir davantage de populations, concentrer davantage de ressources, dresser davantage humains et non-humains, indifféremment, les uns contre les autres.
C'est la compétition et la puissance économiques et militaires qui ont conduit à une universalisation du naturalisme[7] de la culture européenne. Cette culture s'est imposée à l'humanité tout entière, si l'on excepte les sociétés qui ne sont pas sorties de l'état tribal. Elle s'est imposée aux sociétés asiatiques et africaines. Les cultures extrême-orientales, après avoir été submergées par la culture occidentale, ont été revivifiées. Elles avaient une imposante culture écrite reposant sur une opposition complémentaire entre société et nature. C'est nettement le cas de la Chine dont la culture peut se déployer à nouveau, à la différence des sociétés coréennes et japonaises dont la culture souffre de l'étroitesse de leur marché intérieur. Elles doivent s'occidentaliser davantage pour rester dans la compétition en attendant la fin de l'hégémonie économique et culturelle occidentale. Quant aux sociétés africaines, à la différence des sociétés réémergentes, il est encore difficile de saisir les restes à partir desquels elles pourraient renaitre. Pour le moment, elles doivent préférer s'expatrier plutôt que de se tourner vers elles-mêmes. Peut-être se trouveront-elles mieux chez les Autres. Peut-être des « restes » pourront-ils être mieux dégagés en terre étrangère, une élite pourra-t-elle s'y former.
Après avoir fait profil bas pour accumuler des forces, la Chine est devenue « agressive » et le monde ne peut plus aller comme avant. Pouvant affirmer son leadership, elle le doit, face aux dégâts naturels et sociaux causés par le rapport à la nature, il faut, comme elle le comprend, rétablir une harmonie entre société et nature, humains et non humains. Par harmonie, il faut entendre une harmonie par-delà l'unité contradictoire et complémentaire de la nature et de la société. Cette unité est au cœur de la dynamique des choses. L'harmonie ne se conçoit pas hors de l'unité des contraires, mais dans leur alternance. Du point de vue réel, cela peut signifier une inversion dans les rôles actif et passif, une substitution de la domination de la nature par la société, par une domination de la nature sur la société (pensez à la vie préindustrielle avec les énergies renouvelables). L'harmonie en période de domination de la société ou de la nature, c'est l'harmonie avec la domination en cours. En automne, il faut se préparer à l'hiver et non à l'été. L'harmonie consiste à être au plus près du cours des choses, pour mieux en tirer avantage ou moins en souffrir.
La compétition en décroissance
C'est la compétition et les conditions de la compétition qui vont décider du cours des choses. Les conditions sont en train de se dégrader. Il est donc urgent que l'humanité comprenne qu'un cycle se termine. La compétition ne s'effectuera plus dans des conditions de croissance économique. Les Occidentaux à la langue fourchue, et le monde avec eux, continuent de parler de croissance pendant qu'ils s'adapteront à la décroissance. Pour les anciennes puissances, la compétition consistera désormais à moins décroitre que les autres. Pour les sociétés pauvres, il s'agira de retrouver des croyances qui les protègeront de la déflagration.
Le rapport entre la société et la nature est en train de se renverser. On ne pourra se protéger, survivre, qu'en protégeant la nature. La compétition pourra être dite de survie. Il est donc urgent d'insuffler un nouvel esprit à l'ordre mondial afin que puissent être épargnées à l'humanité les catastrophes programmées par la compétition des anciennes puissances et leur rapport extractif à la nature. Il faut préférer, aux dires de voix de plus en plus nombreuses, le biocentrisme à l'anthropocentrisme. L'Univers n'est pas là pour servir l'Homme sans que l'Homme ne serve en retour l'Univers ; la nature n'est pas là pour servir la société sans que la société ne serve en retour la nature. Seule la progression d'un tel esprit dans l'humanité pourrait défaire les intérêts acquis réactionnaires sans trop de dommages.
Le rapport asymétrique de la société à la nature, des humains aux non-humains, est à la base du rapport asymétrique dans la société, entre humains. L'esclavage repose sur un tel partage entre nature et société : une partie de l'humanité est rejetée hors de la dignité humaine. La domination d'une race sur les autres, ou racisme systémique[8], rejette une partie de l'humanité hors de l'humanité. L'idéologie occidentale des droits humains s'accommode d'une réalité mondiale dominée par l'inégalité des races et des cultures. Cela se voit au sein même des sociétés riches. Cette idéologie permet d'imputer aux sociétés pauvres ce que les sociétés riches causent au monde. Elle inverse les responsabilités. Les responsables africains seraient responsables de la situation des droits humains dans leur société sans regard au poids de ces responsables et de leur société dans le monde. Il est plus facile de trouver une réponse à la question pourquoi un chef africain animiste[9] vend des Africains pour acheter des armes européennes, qu'à la question pourquoi un naturaliste qui élève l'humain au-dessus du non-humain vend des armes non humaines pour acheter des esclaves humains. Il élève l'humain au-dessus du non humain d'un côté et d'un autre, dans son troc, égalise du non-humain et de l'humain. Dans le commerce de gré à gré, on oublie souvent le rapport de forces, le rapport d'asymétrie préexistant.
Quid de la croissance démographique africaine
C'est la surproduction mondiale qui est à l'origine de la surcroissance démographique africaine. Elle continue de l'entretenir. C'est l'offre agricole mondiale en échange de l'offre de matières premières naturelles qui déséquilibre le rapport entre la croissance démographique et la croissance économique en Afrique. L'erreur à laquelle l'Algérie de l'indépendance a cru, c'est que cette surproduction agricole pouvait être au service de son industrialisation. Elle a cru pouvoir faire ce que les anciennes puissances ont fait (pensez à l'économie politique de David Ricardo). Elle a ainsi laissé tomber ce qu'elle pouvait faire, pour ce qu'elle ne pouvait pas. Elle a quitté le chemin qu'elle pouvait emprunter (path dependancy) et ne retrouve pas son chemin. Elle avait quitté sa trajectoire qu'elle ne pouvait que seulement modifier.
Dans une économie fermée, croissance économique et croissance démographique doivent s'accorder. Dans l'économie mondiale, c'est la répartition de la production qui distribue et entretient la population en populations riches et pauvres, qui déséquilibre les rapports en Afrique de la production matérielle et de la croissance démographique. On ne peut donc séparer la croissance démographique africaine de la croissance économique mondiale. Dans la croissance économique mondiale se fait la répartition des richesses, des populations riches et pauvres. Le monde soumet donc l'Afrique à la consommation de sa surproduction (souvent subventionnée parce que marginale) et à l'exportation de ses ressources minières, jusqu'à ce que la croissance mondiale et la répartition des richesses ne le permettent plus, jusqu'à ce que les populations africaines qui vivent de la croissance mondiale et non de leur accumulation doivent se suicider en mer ou en terre.
En guise de conclusion. Il ne servira à rien aux pauvres d'Afrique d'attendre des riches occidentaux qu'ils reconnaissent leur responsabilité dans leur actuelle situation. Responsables des dégâts que leur force géologique a déclenchés dans leur environnement, du comportement des élites africaines qui échangent leurs matières humaines et non humaines contre le produit de leur industrie pour leurs commodités, se faire la guerre et subsister parmi les nations. Il y a certes commerce de gré à gré, mais dans quelles conditions et pour quel but ? Le monde doit revenir des anciennes croyances dominantes. Le monde occidental ne sera pas le premier à les abandonner, trop à perdre matériellement et pas suffisamment encore perdu, trop vieux aussi pour pouvoir changer. Entre la France et l'Algérie par exemple, contrairement à ce que l'on entend dire, le plus attaché au passé n'est pas celui que l'on veut faire croire. Le monde pauvre doit renoncer à l'illusion que continuent de nourrir les croyances occidentales. Il faut revoir les dichotomies qui structurent les croyances : nature/société, nécessité/liberté pour pouvoir faire corps social, se soustraire à la gravitation centrifugeuse des anciens centres mondiaux. Le monde a besoin d'un nouvel esprit, il émerge plus nettement en Extrême-Orient, mais pas seulement. La Chine n'est pas seule à réémerger. Le monde change plus vite qu'il ne croit, que ne changent ses croyances, et l'humanité la plus avantagée ne veut pas changer. Le monde changera de gré ou de force, crises ou opportunités, sobriété ou pauvreté, nouveaux peuples, nouvelles sociétés. Plus l'Occident mettra du temps à comprendre que le monde a besoin d'un nouvel esprit, plus le monde pauvre restera attaché aux promesses des croyances dominantes, plus le monde souffrira de la guerre et de la pauvreté.
Notes :
[1] Folio Essais, Paris, 2015.
[2] Je parlerai ici indifféremment de sagesse, d'anthropologie et de philosophie.
[3] Elles s'excluraient en théorie, elles se mêleraient cependant en pratique. Voir Bruno Latour. Nous n'avons jamais été modernes. La Découverte, 2006.
[4] Voir Carbon Democracy. Timothy Mitchell. La Découverte. 2017.
[5] Cela ne rappelle-t-il pas aux économistes l'économie politique classique de David Ricardo et de ses rendements décroissants ? Cela concernait l'agriculture, voilà que cela concerne l'énergie, les machines et donc l'industrie. C'est encore à la générosité de la nature qu'il faudra faire appel pour retrouver de la puissance. Et rappelons qu'un terme ne va jamais sans son contraire, ne va jamais que vers son contraire.
[6] Timothy Mitchell. Ibid.
[7] Ainsi est désignée l'ontologie occidentale qui oppose nature et société par l'anthropologue français Philippe Descola.
[8] On ne confondra pas le racisme érigé en système et le racisme ordinaire que l'on retrouve au sein même de la « race ».
[9] Selon Ph. Descola, face à un autrui quelconque, humain ou non humain, l'animiste suppose qu'il possède une intériorité similaire et une physicalité hétérogène, le naturaliste quant à lui supposera que son intériorité est différente et sa physicalité analogue.


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