Il faut reconnaître à Amine Dellai deux qualités essentielles : le goût de la culture populaire et la passion de mettre à la portée de tous ce goût à valeur historique inégalée. Préoccupé depuis toujours par le monde de la poésie populaire et les écrits anciens, ses thèmes de prédilection, le chercheur ne cesse de mettre en lumière les œuvres englouties par l'oubli, des œuvres jamais intégrées dans les manuels de l'institution éducative. Sa thématique essentielle : interroger les œuvres esthétiques et littéraires des personnalités marquantes de la culture populaire du maghreb. Homme de conviction et de terrain, Dellai Amine aborde, cette fois-ci, avec ardeur et amour les précieux héritages spirituels de Saïd El mendassi connu pour son panégyrique à l'endroit du prophète Mohamed et Mohamed Abou Rass Nasser El Maâskri, chroniqueur subversif et polygraphe de talent. La présentation de Ed Derra El-Anika Fi Charh El Hakika est empreinte de beaucoup de respect : la présentation fourmille de repères sur la sensibilité des deux auteurs, de reprise de leurs textes phares. Le regard jamais satisfait dans l'interrogation du fait historique, Amine récapitule méticuleusement l'œuvre des deux hommes de foi, de culture et de conviction. Il donne à lire quelques-uns de leurs textes, les resitue dans le contexte du Maghreb du XVIe et XVIIe siècle, rappelle quelques écrits tournant autour, compare leur apport dans le champ culturel et religieux de leur époque, donne des éclairages sur leur impact, fait des aller-retours d'un point de vue des itinéraires de chacun. L'intellectuel qu'il est, manifestement animé du désir de mieux faire connaître les contributions de ces deux authentiques représentants des peuples du Maghreb, fait œuvre de restaurateur de mémoire. Dellai trouve à chaque fois le temps nécessaire pour se documenter là où il y a peu de documentation, confronter, critiquer la source, récapituler. Cette perpétuelle mouvance de l'arpenteur est accompagnée d'une démarche qui ne laisse rien au hasard. Ne rien négliger est un souhait constant chez lui. Son attirance vers les formes de culture populaires est constante, dynamique, enrichissante pour ceux et celles tentés de mieux saisir ce passé qui nous arrive à bien des égards en pointillés, confus, en lambeaux... Pire en lambeaux. Admirateur besogneux des aèdes errants ou incompris en leur temps, le chercheur n'a cessé, depuis des années, de travailler sur le même thème, dans le même esprit et sous les mêmes paramètres : la collecte des fonds culturels et leur mise en perspective dans une vision pragmatique, évolutive. Dellai n'est à l'aise que lorsqu'il est entouré de chioukhs et de Miliani Hadj son complice des quâadate populaires et des longues tournées à l'intérieur du pays à la recherche de quacida inédites. Dans ses problématiques, il y met une éthique sans faille dans le recueil et le classement par ordre d'importance des socles de la culture populaire. Pour ce faire, il travaille aussi bien sur les manuscrits légués par des lettrés que sur les registres de la culture orale. L'activité qu'il déploie dans la quête du témoignage rare est féconde à chaque fois. On ne peut pas ne pas reconnaître à Amine Dellai ce côté délicieusement harceleur, cette façon de cueillir au long souffle. Apte à replacer l'oralité dans son temps, son émergence en tant que mode d'expression privilégiée et les conditions sociales et historiques qui l'ont rendue possible, le chercheur du Crasc sait faire ressortir à chaque fois la perle rare, la révélation cachée. Sa frénésie à butiner partout est reconnue par tous ses collègues. L'amoureux, fou de la poésie populaire (chir el melhoun), reste profondément attaché à ses amours, des amours qu'il sert avec une constance irréprochable. Chacune de ses contributions à l'écriture de la culture orale notamment par le biais de la revue Insaniet, éditée par le centre d'anthropologie sociale et culturelle de l'université Es-Senia ( Crasc-Oran) représente une admirable percée dans la connaissance de nos cultures ancestrales. A chaque fois, il réaffirme dans sa démarche de questionneur du passé, sa rigueur et son originalité dans la mise en avant des œuvres spirituelles et esthétiques qu'il a approchées. Les ouvrages, présentés sous forme de contributions écrites, sont rendus avec émotion et métier. Il n'est pas dans la reproduction mais bel et bien dans le questionnement. Son métier, ses réflexions en anthropologie sociale et culturelle et sa persévérance nous réservent à chaque fois, d'enrichissantes surprises personnalisées. Il est manifeste que Dellai fait avancer la recherche. Travailleur infatigable et surtout efficace, Dellai demeure l'un des éléments les plus dynamiques dans la réhabilitation des champs (et chants-) de la création populaire.
