Quelque 56,3 millions d'électeurs turcs sont appelés aujourd'hui aux urnes. Ils voteront à la fois pour les législatives, à un seul tour, et pour le premier tour de la présidentielle. Ces élections sont prévues initialement en novembre 2019. Elles sont avancées d'un an et demi par le président Recep Tayyip Erdogan. L'enjeu de ces élections est important : le vainqueur sera doté de pouvoirs renforcés conformément à une révision constitutionnelle adoptée par référendum en avril 2017. Réforme exigée par Recep Tayyip Erdogan qui fait que le Parlement est réduit au rôle de chambre d'enregistrement. Il n'aura plus son mot à dire sur la composition du gouvernement, le poste de Premier ministre sera supprimé, le Président aura la main sur la nomination des hauts magistrats. Ainsi, la nouvelle Constitution met en place un régime présidentiel très favorable au président Recep Tayyip Erdogan, leader du Parti de la justice et du développement (AKP). Il pourrait en effet rester au pouvoir jusqu'en 2029. Conformément au nouveau texte, le Président sera élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois, mais ne prend pas en compte les résultats des élections antérieures. Il lui revient de nommer les ministres. Concernant la justice, il a le pouvoir de désigner 12 des 15 membres de la Cour constitutionnelle et 6 des 13 membres du haut conseil des juges et procureurs, chargé de nommer et de destituer le personnel du système judiciaire. Le Parlement choisira les sept restants. Le Président pourra aussi nommer le haut commandement militaire, les chefs du renseignement. Le chef de l'Etat pourra, par ailleurs, gouverner par décrets et proclamer l'état d'urgence. Il conservera son droit de veto opposable à une loi votée par le Parlement pour imposer une seconde lecture. La nouvelle Constitution offre aussi au Président la possibilité de dissoudre l'Assemblée et de gouverner par décret-loi. En conséquence, la question sera surtout de savoir si le président Erdogan remportera la présidentielle dès le premier tour et s'il maintiendra la majorité de l'AKP, au Parlement. Pouvoirs renforcés Erdogan dirige la Turquie depuis 2003, d'abord en tant que Premier ministre, puis en tant que président depuis 2014. Pour le contrer, trois partis de l'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate, d'obédience kémaliste), le Bon parti (Iyi Parti, droite nationaliste) et le Parti de la félicité (Saadet, conservateur) se sont regroupés en une coalition, l'Alliance de la nation. En parallèle, trois formations politiques se présentent seules : les pro-kurdes du Parti démocratique des peuples, le Parti islamiste kurde et le Parti patriotique de gauche. Simultanément, cinq candidats vont affronter Erdogan à la présidentielle. D'après les sondages, Muharrem Ince, le candidat du CHP, est le mieux placé pour affronter le président sortant. La plupart des opposants ont déclaré que s'ils gagnent les élections, ils opteront en faveur du régime parlementaire. Le référendum sur la Constitution et les purges menées par Erdogan après le putsch de juillet 2016 ont provoqué des frictions quant aux relations entre la Turquie et ses partenaires occidentaux. Par ailleurs, Ankara s'est rapprochée de Moscou. Le 9 août 2016, la Turquie et la Russie ont entamé un processus de réconciliation après une crise née de la destruction par l'aviation turque d'un avion militaire russe au-dessus de la frontière syrano-turque fin 2015. Deux semaines plus tard, la Turquie a déclenché une offensive terrestre dans le Nord syrien contre le groupe Etat islamique (EI), mais aussi contre les milices kurdes, qu'elle considère comme l'extension des séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Jusque-là, Ankara appuie l'opposition au régime de Bachar Al Assad soutenu par Moscou. En parallèle, entre Washington et Ankara, les rapports connaissent des tensions. Les deux capitales s'opposent sur plusieurs dossiers depuis l'ère Obama. Entre autres : les milices kurdes de Syrie, à savoir les Unités de protection du peuple kurde (YPG), et l'extradition du prédicateur Fethullah Gülen accusé par Erdogan d'avoir fomenté le coup d'Etat de 2016. Pour Washington, les YPG constituent une force importante pour combattre l'EI. En revanche, aux yeux d'Ankara, elles ne sont que l'extension en Syrie du PKK qui livre, depuis 1984, une sanglante guerre à l'Etat turc. Il est classé «organisation terroriste» par la Turquie et ses alliés occidentaux. Aussi, le président Erdogan appelle, en vain, Washington à extrader le prédicateur Gülen qui continue à nier toute participation dans le putsch de juillet.