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Orfèvre de l'ordinaire
Evocation. Il y a dix ans, Rouiched nous quittait
Publié dans El Watan le 29 - 01 - 2009

Il avait une écriture, une signature, une façon de faire unique. Il demeure l'aède des humbles, des sans-grades et des sans-voix. Nous ne sommes pas loin de l'idée de la Commedia del Arte, mais en version algérienne, mieux,en version algéroise mais un algérois contagieux.
Rouiched (Ayad Ahmed pour l'état civil) avait incontestablement un style narratif particulier, une démarche artistique qui n'appartenait qu'à lui. Son style d'écriture, c'est la parole visuelle, la réplique que l'on visualise dès l'instant où elle est émise. Il opèrait en instantané et en continu. L'écoute est plus dans la lecture immédiate du fait raconté que dans le questionnement de ce fait. Avec lui, on est dans le corps à corps avec le texte servi dans la seconde, pas dans le cérébral, ni la joute d'esprit. L'artiste passe avec une authentique aisance du léger au poignant, sans forcer, une habileté remarquable à faire mouvoir ses comédies sociales à partir de bouts de textes, de bouts de phrases, de bouts de mœurs.
Il avait le don de la communication spontanée, toujours renforcée par une expression prête au partage. Son atout était de tourner le naturel en pathétique, véritable force tranquille capable de secouer le plus endurci des spectateurs. Le tout était porté par une inusable mécanique qu'on appelle la dérision, mais une dérision locale, pleinement nourrie de l'atmosphère du terroir et du lieu de naissance. « C'est cette petite étincelle de la dérision qui constitue ma cuirasse contre la désespérance », dira-t-il.Homme de scène avant d'être un homme de l'écrit, Rouiched a toujours privilégié une expression en phases ouvertes sur les préoccupations immédiates du moment, une écriture du pointillé qui laisse une large part à l'apport du comédien, à son métier de la scène.
Le jeu n'était jamais fermé chez lui : la petite tournure était toujours là, à la rescousse de l'interprète acteur. Nous ne sommes pas loin de l'idée de la Commedia del Arte, mais en version algérienne, mieux, en version algéroise mais un algérois qui déteint, un algérois contagieux, capable de hisser le genre pétulant et un rien sarcastique à des niveaux insoupçonnés et de prendre une dimension nationale, voire universelle. Dans ses thématiques qu'il puisait de ce qu'il savait le mieux, son entourage, ses anciens compagnons de route, Mahiedine Bachtarzi, Mustapha Kateb, Sidi-Ali Fernandel, Mohamed Touri, Allel El Mouhib, Hassan El Hassani et de Mustapha El Anka, il insistait particulièrement sur la complicité qui devait le lier au protagoniste qui lui donnait la réplique en ouvrant son champ à l'expression ressentie.
Si deux acteurs improvisent, le succès de l'œuvre est garanti », déclarait ce comédien multirécidiviste de la satire populaire. Rouiched éprouvait évidemment un plaisir énorme à jouer avec les autres protagonistes à l'intérieur de canevas établi par lui. Mais il n'était véritablement à l'aise que quand c'est lui qui donnait le tempo à la troupe, en tant qu'interprète-locomotive et animateur principal du fait raconté. Son jeu était fortement individualisé et débordait très souvent des cadres traditionnels qu'il s'était lui-même tracés. Chez lui, le mot argotique embrasse l'idée, s'y incorpore étroitement. Il y a certes un fil conducteur - une idée motrice - dans le sujet proposé. Mais tout est ouvert en éventail dans l'émission du verbe, la transmission de l'image couchée par écrit.
L'improvisation a une place de choix dans les sujets du géniteur de Hassan Terro, le héros malgré lui, le héros qui a fait école et surtout inspiré les réalisateurs de cinéma comme Slim Riad et Ghaouti Bendeddouche. Dans les représentations de Rouiched, il n'y a pas de rhétorique artistique conventionnelle mais la trouvaille du moment. La magie est dans la rencontre de l'écrit préalable et du dit survenu à la suite de l'observation attentive des hommes. Les tics, aphorismes, mimes et élocutions typées sont sa marque déposée, sa signature intrinsèque, sa touche personnelle, sa griffe. Tendres ou cruels, les stéréotypes qu'il empruntait régulièrement à la psychologie du petit peuple qui l'entourait et l'interpellait ne pouvaient avoir d'épaisseur que sous sa peau.
Il est l'un des rares comédiens algériens à avoir su habiller ses parodies d'humanité touchante. Dans ses représentations, aussi bien théâtrales que cinématographiques, l'homme-orchestre accompagnait ses spectateurs dans une sorte d'exquis cache-cache entre réalité crue et douce moquerie, tableaux volés à la brutalité du monde et scènes de vie cocasses, puisées pêle-mêle à partir de l'ordinaire. Il n'arrêtait pas de mêler le réalisme à l'inattendu avec un indéniable talent de conteur populaire dans la mise en relief de nos travers. L'anecdote était celle du jour, épicée à la farce populaire dans ce qu'elle a d'infiniment intime et d'intimement proche. Lorsqu'il jouait dans les rôles qu'il avait lui même créés en costumes de scène sur mesure, Rouiched était avant toute chose imprégné par les sensations de son propre quotidien, un quotidien qui lui parlait de ses révoltes, de ses rêves d'enfant de la plèbe et de ses aspirations. Il avait de l'épaisseur.
Dans ses écritures à veine populaire, il entretenait un rapport direct avec son ressenti, des rapports charnels, diront certains. « Dans les thèmes comiques, il n'y a pas de limites, on traite des sujets brûlants sur un fond de dérision, c'est comme un jeu, on fait de la politique et le public suit », déclarera-t-il en 1993 dans ces colonnes. Ses spectacles, aussi bien théâtraux que cinématographiques étaient traités avec un humour irrigué à la culture immédiate de la cité, saupoudré d'expressions en cours. Sans maquillage, sans espèce de surnaturel, avec des dialogues dépourvus de fards langagiers et pour partie nés et grandis sur scène, « en cours de jeu », qui étaient accessibles à tous, percutants, perspicaces, subversifs.
L'imagination qui les dopait et l'esprit caustique qui les entretenait (il avait des formules exclusives) sont une source inépuisable dont le socle était construit à partir des mots de tous les jours. Tout était loufoque et cruellement vrai chez cet enfant du petit peuple des petites rues d'Alger. Il ne quittait ni ne voulait quitter son univers lorsqu'il jouait, toujours dans la passerelle, jamais dans la coupure des amarres. Chez lui, le dépassement consistait à réitérer à chaque fois ses préférences ou, mieux encore, ses convictions artistiques. Il était constant en tout et ne cherchait à brouiller aucune piste en proposant ses histoires tirées d'une observation lucide et décalée du milieu où il évoluait. Un milieu où très souvent l'ironie et l'amertume se donnent la main pour exprimer l'homme dans ses grandeurs et aussi ses petitesses, son intolérance et ses fanatismes grotesques.
Conséquent dans ses choix, l'artiste se refusait à toute espèce de mode, sachant que la mode est faite pour être dépassée. Son registre d'interprétation multiple, tour à tour drôle, espiègle, turbulent, pathétique, sérieux, moralisateur, indigné, gauche, mesquin, violent, niais, truculent, chaleureux, était puisé du vécu des gens qu'il fréquentait, des gens de sa condition ou des gens qu'il avait subis à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. C'était son souci. Rouiched ne s'est jamais renié dans ses options initiales, ses points d'appui. « Avant toute considération, je ne suis à l'aise que lorsque je suis dans la relation intime du couple acteur/ spectateur », nous disait-il au tout débout des années 90. C'était un artiste du cru, avant d'être un artiste de composition au sens académique du terme.
« Sans le public, je suis un homme mort », disait ce talent férocement tendre à un journaliste qui venait d'assister à la pièce phare El Bouaboune (Les Concierges), montée au tout début des années 70, puis reprise vers la moitié des années 90 à la demande du public qui s'était par ailleurs fortement familiarisé au héros de Hassan Terro joué au théâtre puis monté en film en 1968 par Mohamed Lakhdar-Hamina. La série des Hassan reste d'une homogénéité frappante dans son ancrage, l'écriture qui la soutient, la mise en images qui l'éclaire et le message qui l'amplifie. La matrice à partir de laquelle l'œuvre est pensée est la même. C'est un type de cinéma qui a ses règles et son éthique, diront les spécialistes du 7e art.
Cet ingénu homme du peuple, créateur d'imbroglios et autres casse-tête malgré lui, avait l'art de nous faire rire de nos difficultés et de nos bêtises, de nos solidarités frelatés et de nos fraternisations équivoques. Sa spontanéité constituait son premier et irremplaçable carburant. « Jouer le rôle d'un naïf impénitent, c'est gagner d'emblée la sympathie de ce spectateur qui se reconnaît dans ce que je lui montre », nous expliquait Rouiched, quelques années avant sa mort. Oui, le théâtre et le cinéma de Rouiched sont les arts de l'identification en tous lieux et à tout moment et ne se définissent préalablement dans aucune espèce d'œillères ni formules agencées par les théoriciens de la raison esthétique. L'art, chez cet acteur d'instinct, se trouvait dans la liberté d'exprimer son monde, en dehors des dogmes de lectures et des cases de placement définitifs.
Rouiched n'était pas comme tout le monde parce qu'il était naturel même lorsqu'il outrepassait les caractères en faisant l'innocent. Sans aucun doute, Rouiched a créé un style propre à lui. Au théâtre, il demeure l'un des premiers aèdes des humbles, des sans grades et des sans-voix auxquels il vouait une tendresse sans faille même si, ici et là, il prenait des spécimens précis pour en faire des personnages qui n'attiraient pas toujours l'empathie, des personnages critiquables, à dimension tout simplement humaine, capables du pire comme du meilleur, filous et tendres à la fois, vindicatifs mais généreux, poltrons et solidaires quand il le faut. Des hommes doubles, comme nous tous en somme.
* Plusieurs longs métrages : Hassen Terro (réalisé par M. Lakhdar-Hamina), L'Evasion de Hassen Terro (de Mustapha Badie), Hassen Taxi (de Slim Riad), Hassen Nya (de Ghaouti Bendeddouche) écrits par Rouiched qui aurait rédigé aussi un scénario non réalisé : Hassen à Paris.
Rouiched en quelques mots
Ahmed Ayad par l'état-civil, il est né en avril 1921 à la Casbah d'Alger. Son nom d'artiste, Rouiched (petit Rachid), réfère au comédien Rachid Ksentini. Son enfance est marquée par la misére aggravée par le décès accidentel de sa mère et le retour de son père vers son village natal. Enfant atypique et très expressif, il est obligé de vivre d'expédients et des métiers de fortune. Remarqué, il est sollicité pour des petits rôles où il montre tout son potentiel et son sens de l'improvisation. Comédien et, de plus en plus, auteur de sketches et de pièces, il intègre plusieurs troupes du théâtre algérien et participe à des tournées au Maroc, France. Durant la guerre d'indépendance, il est emprisonné durant deux ans à Serkadji. A sa sortie, il tourne deux petits films qui inaugurent sa carrière au cinéma qui ne commencera vraiment qu'après 1962 avec plusieurs films écrits (souvent pour le théâtre d'abord) et interprétés par lui. Avec le film L'Opium et le bâton d'Ahmed Rachedi (1969), tiré du roman de Mouloud Mammeri, où il joue le rôle d'un harki, il fit la preuve qu'il était un comédien à part entière, capable de sortir du comique. Il a été à la fois comédien, auteur, metteur en scène, scénariste et parfois chanteur. En 1972, il démissionne du TNA, affirmant être « atteint dans ses libertés créatrices ». La télévision lui donne une audience encore plus forte, souvent sur des productions amusantes mais sans envergure. Ses déboires personnels le conduisent souvent à interrompre une carrière exceptionnelle qu'il relatera dans ses mémoires (Publisud, Paris, 1991). Il est décédé le 28 janvier 1999 à Alger.


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