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La formation des élites dans l'Algérie contemporaine
Publié dans El Watan le 10 - 04 - 2006

Sans doute, il n'y aurait là rien moins qu'une évidence, si le système d'enseignement assurait une fonction de reproduction sociale large qui affecterait l'ensemble de la société et qui concernerait par inclusion ou exclusion par rapport àl'exercice effectif des pouvoirs, autant politiques qu'économiques ou culturels, l'ensemble des groupes sociaux. Or l'analyse historique pour le cas colonial et l'analyse sociologique pour le cas national montrent que les deux systèmes d'enseignement fonctionnent en quelque sorte «à vide». Dans le premier cas, les algériens musulmans sont faiblement concernés et les rares élus du système n'ont, à quelques individualités près, pas du tout été intégrés dans les cercles restreints du pouvoir. Il en est de même dans le système actuel, en dépit d'un développement massif de la scolarisation, le système d'enseignement fonctionnant par l'échec a produit plutôt des diplômés qu'une élite, voire des intellectuels. Le système politique et social a pratiquement fonctionné depuis l'indépendance jusqu'à aujourd'hui avec une «vieille» élite politique qui doit sa place plus à une légitimité historique que scientifique ; et même si l'on peut admettre que le système d'enseignement a produit des élites, on ne peut s'empêcher de remarquer, de la même façon que dans la situation coloniale que l'élite autochtone n'a pas participé à l'exercice des pouvoirs politiques et économiques, celle actuelle et au moins jusqu'aux débuts de la décennie est restée en dehors des sphères de décisions, dominée et instrumentalisée. Ainsi, les deux cas de figures se caractérisent par une circulation bloquée des élites et cela au moins jusqu'à l'irruption de nouvelles catégories sociales dans le jeu politique.
S'il en est ainsi, c'est parce qu'il y a de fait une extranéité de l'Etat par rapport au système d'enseignement ; ce dernier en effet n'existe que tant qu'il permet de contrôler la société et de la maintenir à distance par rapport au «bloc au pouvoir». Dans cet ordre d'idées, l'accès aux ressources politiques n'apparaît que comme le fait de pratiques de cooptation : l'Etat dans les deux situations historiques ponctionnant selon des critères subjectifs et ponctuels, clientélistes, dans le «vivier» des produits du système d'enseignement.
Cette mise à distance, redevable dans le cas colonial d'un dilemme – acculturer c'est en même temps éveiller les consciences – peut être référée dans le cas national au vieil atavisme soupçonneux d'un noyau rural du pouvoir à l'égard de qui est porteur de savoirs qui plus est, en langue étrangère, ayant participé à la domination.
Cette extranéité amène à douter de l'effet de socialisation de l'institution dans les deux situations historiques ; dans un cas comme dans l'autre, l'intégration sociale et politique ne semble pas avoir pris sur les produits du système scolaire ; et la société profonde apparaît avoir été faiblement atteinte dans ses ancrages traditionnels. Dans le cas colonial, cela s'explique bien par l'effet d'un malthusianisme rarement démenti dans la scolarisation des autochtones et d'une ambiguïté constitutive de la stratégie de contrôle de la société dominée. Dans le cas national, cela relève de l'effet pervers de développement d'un système d'enseignement de masse qui a abouti à une profonde déculturation, du moins, à une paupérisation de ce qui était élément de culture paysanne ou communautaire ou de quartiers citadins pour laisser place à une double inaptitude d'expression et de pensée. Cet effet similaire n'a pas été simplement porté par des modalités différentes de développement du système éducatif, il a été aussi produit par les équivoques qui ont accompagné les définitions de la place de la langue arabe et de la religion qui lui est consubstantielle dans la société. Celle-ci a été à chaque fois pensée plus en termes d'alibis à des processus complexes de domination que de mises en œuvre de modalités concrètes de «modernisation».
L'université, un appareil idéologique
Le deuxième trait qui signifie aussi dans la comparabilité les deux situations historiques, coloniale et nationale, est celui de la permanence de l'équation culturelle algérienne qui se pose à des décennies de distance quasiment dans les mêmes termes, la division «francophone arabophone» au fondement de cette équation traverse ainsi, depuis l'imposition du système scolaire français à l'Algérie toute l'histoire intellectuelle, culturelle et politique de l'Algérie contemporaine. L'indépendance n'a pas été à cet égard une transformation de la nature de cette opposition, mais plutôt un approfondissement qui va aller jusqu'à la rupture des contradictions qui ont travaillé la formation et le développement de l'élite algérienne. L'arabisation s'est développée dans cet ordre d'idées, moins comme une mise en œuvre d'apprentissage intellectuel d'ouverture, qu'«idéologisation» à connotation religieuse substituant dans le temps à un enseignement religieux traditionnel plus ou moins articulé sur des cultures savantes, un enseignement néo-religieux, fortement simplifié et stéréotypé. Par ailleurs, l'enseignement en langue française s'est approfondi après l'indépendance dans une rhétorique néo-marxiste de rupture d'autant plus affirmée que ses porteurs se sentaient culpabilisés par le passé colonial.
«L'appareil idéologique» que n'avait jamais cessé d'être l'université s'affinait davantage dans la modulation d'un discours profondément unitaire et homogénéisant, discours qui va rapidement connaître ses limites devant le désenchantement qui va caractériser le reflux développementaliste. Dès lors, les enjeux se radicalisent, les illusions se dévoilent, l'institution perd de ses finalités de promotion sociale ; l'arabisation apparaît pour ce qu'elle a toujours été, un vaste mouvement de déclassement social qui allait en s'élargissant. Du même coup, s'achevait dans un procès de désinstitutionnalisation généralisée la déqualification des produits de l'institution et s'exprimaient les limites de ceux-ci à se constituer en intelligentsia porteuse de sens, relativement autonome par rapport à l'Etat.
Ces caractéristiques générales historiques de division de l'élite, comme les modalités d'instrumentalisation de l'institution universitaire n'ont pas permis ainsi l'autonomisation d'un champ intellectuel ni l'autonomisation d'une intelligentsia qui serait en rupture avec un discours normatif longtemps développé en langue de bois.
Système de référenciation
Dans le reflux général d'une intelligentsia qui n'avait jusque-là que suivi le mouvement de l'histoire, s'inscrivant souvent comme appendice des pouvoirs établis, émergeaient des intellectuels prolétaroïdes (1) d'autant plus exigeants qu'ils n'avaient rien à perdre. Ce mouvement, en rencontrant dans le même temps la lame de fond des exclus de la société profonde, s'affirmait dans la rupture ; on pourrait penser alors à un retour définitif du balancier rétablissant dans leur rôle d'avant-garde et les liant davantage à leur société des intellectuels que l'histoire avait durablement occultés. C'est méconnaître ce que ceux-ci doivent aussi dans leur formation à un système éducatif en faillite ; ils portent les mêmes stigmates et ont les mêmes limites que ceux qui avaient occupé, mais dans un autre registre, le devant de la scène politique. Derrière la mutation sociologique, le mode d'acquisition de ce qui se donnait comme savoir n'avait guère varié et la jeune garde islamiste formée d'ingénieurs, de médecins et d'avocats n'avait rien à envier à sa devancière. Dans des systèmes de référenciation opposés et souvent en empruntant les outils conceptuels et les démarches qui avaient eu cours une décennie auparavant, les mêmes schèmes de pensée et les mêmes stéréotypes continuaient à fonctionner. Toute une réutilisation, par «remise sur sa tête» du marxisme, pouvait se développer ; du paradigme marxisme inversé, il en découlait dans le nouveau système de pensée :
– (Une) Diabolisation du bourgeois et l'idéalisation du prolétaire (…) une vision manichéenne du monde où le capitalisme – c'est-à-dire l'Occident tout entier – se substitue au destin, où l'exploitation devient la souillure originelle, le bourgeois le symnbole des forces ahrimaniennes, le prolétariat, l'ange libérateur, la révolution une résurrection et la société sans classes le paradis perdu et retrouvé (…) (2)
Dans le même temps de l'affirmation de cette nouvelle utopie, la transformation des conditions générales de fonctionnement de la société, à travers aussi bien un formalisme juridique qui prend souvent lieu et effet de véritables réformes que le délitement social avancé d'une société déboussolée, on approfondi les contradictions et remet à l'ordre du jour des formes autoritaires d'exercice du politique. Ces processus fortement engagés se développent sur fond d'oppositions durablement ancrées, dont la radicalisation est lourde d'une implosion de la société nationale.
Etat de droit ou le droit d'état ?
La radicalisation d'une telle opposition, qui s'est élargie jusqu'à constituer des univers cohérents entre lesquels la communication apparait impossible et dont les contradictions se sont développées jusqu'à la rupture, a été aussi sous-tendue et portée par la confrontation permanente dans l'histoire de l'Algérie contemporaine de deux ordres normatifs à vocation hégémonique : le droit islamique et le droit positif. Il y a de ce point de vue une identité des rapports conflictuels qui ont pu se développer dans l'une et l'autre phase historique ; c'est là la troisième caractéristique de l'analyse comparative. En effet, ici aussi, l'indépendance n'a pas constitué une rupture ; l'Etat national s'est défini dans son rapport au droit musulman quasiment de la même façon que l'Etat colonial. L'occultation du droit musulman a été dans l'après-indépendance presque aussi forte que dans la période coloniale – il a fallu en effet attendre une vingtaine d'années pour voir promulguer un code rétrograde, d'ailleurs fortement contesté, régissant le statut familial. Dans le même temps, le droit de l'Etat national s'affirmait dans le volontarisme tous azimuts et l'institution d'enseignement instrumentalisée enregistrait dans l'exégèse le «droit nouveau».
Cette identité d'imposition du droit de l'Etat et de sujétion du droit musulman n'est pas loin de produire les mêmes conséquences : la société s'inscrit dans la récusation de ce qui lui paraît un «corps étranger» à son expérience historique.
Cette récusation est d'autant plus profonde que l'échec de l'Etat comme vecteur de progrès et de modernisation est ici encore plus patent. Aussi bien la contestation a-t-elle tendance à viser le politique et le mode d'exercice du pouvoir. Si elle s'élargit jusqu'à concerner l'ensemble de la société civile face à l'Etat, elle n'en apparaît pas moins différenciée en contestation «séculière» et «religieuse».
Cependant, alors que le premier mouvement en se situant dans les catégories et les règles du jeu politique que définit l'Etat, sinon s'épuise en se commettant du moins se développe sur une base segmentaire, le second mouvement s'enracine davantage dans la recherche identitaire et la dénonciation du caractère étranger et autoritariste de l'Etat et de son droit ; c'est qu'effectivement jusque-là «l'Etat de droit» avait fonctionné comme l'exercice «d'un droit de l'Etat» et les multiples réadaptations aux exigences sociales n'ont fait, dans leurs ambiguïtés, que nourrir le procès de contre-légitimation.
Hors de l'Etat, mais de plus en plus face à lui et contre lui, s'affirme et se structure une contestation qui s'articule sur un ordre traditionnel ébranlé mais qui perdure. Le référent religieux, substrat érodé mais toujours permanent de cette société, apparaît dans ce mouvement comme ce qui ramasse et qui synthétise les différentes dimensions de la contestation ; mais surtout dans sa volonté de récusation de l'Etat, il présente une alternative fondée sur l'application de la loi suprême : la charia ; en cela, il concurrence l'Etat dans sa légitimité. Ce faisant, l'insertion du religieux dans l'action contestatrice se fait politique ; l'espace de contestation tend à se construire en ordre politique de légitimité supérieure à celle de l'Etat ; «le droit» apparaît comme le vecteur essentiel de cette affirmation ; l'anomie de la société y prédispose ; les règles sociales perdent de leur efficience. Minées par les changements sociaux, elles deviennent obsolètes et dans ce vide, dans ce «désespoir idéologique généralisé» (3), l'utopie nouvelle d'un retour à l'âge d'or ici et maintenant, s'avère un exutoire à toutes les frustrations.
Dans la société en crise, le droit devient ainsi le cristallisateur, le lieu d'expression de l'affrontement entre «la raison moderniste et l'émotion identitaire» ; il manifeste ainsi l'enjeu culturel fondamental qui traverse la société et qui s'exprime dans l'irréductibilité de l'une à l'autre référenciation. Si la radicalisation de ce rapport de force s'est définit dans l'inéluctabilité, c'est bien parce que l'institution d'enseignement s'est avérée incapable de produire une culture juridique de synthèse portée par des intellectuels critiques, restituant au droit son historicité et sa temporalité. Les soubresauts cathartiques, qui secouent périodiquement la société algérienne, marquent avant tout l'échec du projet éducatif de l'Etat national développementaliste ; cet échec a porté, accompagné et conforté un procès plus large de désinstitutionnalisation.
La phase qui démarre dans les années 1990 apparaît, comme celle de l'achèvement d'une époque qui, commencée avec le colonialisme, a toujours nié la société profonde. Elle participe ainsi de l'oblitération d'une étape historique dans le même temps qu'elle exprime dans la transparence de contradictions portées à leur summum les projets de société en jeu ; en posant dans l'instabilité les termes des conditions du «compromis civique», elle repose celles des conditions qui puissent lui donner sens et dans l'urgence, la question des finalités d'un système éducatif à la dérive. Or, dans l'ordre des questions de conjoncture, la question éducative n'apparaît pas outre mesure dans les priorités.
Notes de renvois :
– 1) Au sens où Max Weber décrit ces «couches (…) munies d'une éducation considérée le plus souvent comme inférieure (…) qui ne sont pas liées par les conventions sociales pour ce qui est du sens à attribuer au cosmos et I'intense passion éthique et religieuse qui les anime n'est pas freinée par des considérations matérielles» Cf M. Weber, Economie et société, trad. fran. Paris : Pion, 1971, pp. 480 et 525.
– 2) D. Shayegan. Qu'est-ce qu'une révolution religieuse, Paris : bibliothèque Albin Michel des idées. 1990.
– 3) Selon la formule de M. Rodinson, «L'intégrisme musulman et l'intégrisme de toujours», Raison présente (72), 4e trimestre 1984, pp. 95-99.


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