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De la banalisation du crime de guerre
Publié dans El Watan le 31 - 10 - 2006

Hasard ou coïncidence calculée par les éditions Plon, ce livre-brûlot sortait en même temps que passait pour la première fois en France, 6 ans après sa réalisation, dans des conditions tendues, La bataille d'Alger, cultissime film de Gillo Pontecorvo. Les réactions ont été nombreuses. Elle venaient des «anciens purs et durs de la coloniale», nostalgiques brocanteurs de crimes de guerre, qui applaudissaient l'ancien patron de la 10e DP. Plus gênées étaient celles d'une certaine gauche qui se voilait la face espérant ainsi dissimuler ses complicités avec les IVe et Ve Républiques du temps où l'on votait les pouvoirs spéciaux et où il pleuvait plus de bombes que de pluie sur l'Algérie. Elles montaient enfin de la jeunesse en chemises à fleurs qui chantait Bob Dylan sur les routes vers Katmandou, et voyait s'éloigner sa révolution sur les bancs de la Sorbonne, indignée par la guerre de papa.
Ce n'était pas la première ni la dernière fois, loin s'en faut que la simple évocation de cette guerre, qui s'appelait encore «les événements», divisait les Français. Le commissaire René Gille qui s'estimait diffamé par le livre de Massu lui a adressé en 1971, autrement dit dès sa sortie, une longue lettre dans laquelle il laisse libre cours à sa colère.
Cette correspondance n'a jamais été publiée, elle est inédite. Un compatriote vivant en France, qui a voulu garder l'anonymat, nous a remis une copie du manuscrit que lui ont confié les héritiers du fonctionnaire de police, désireux de témoigner. Ce ne sont pas des faits d'histoire mais juste un aspect de la tyrannie ordinaire.
En voici quelques fragments.
«Vous me calomniez monsieur et vous insinuez que j'ai pu être, ne serait-ce que sentimentalement, complice d'assassins de Français… Je vous demande donc avec insistance de vous rétracter ou mieux de vous justifier. Par lettre.» Ces propos ne sont pas une réplique extraite des dialogues d'un film de cape et d'épée des années 1950.
Ce sont des phrases d'indignation du commissaire René Gille (voir encadré), outré par des passages du livre du général Jacques Massu(1) qui met en doute son engagement dans la lutte contre le FLN pendant la guerre d'Algérie. Ce fonctionnaire, caricature de l'inspecteur Javert des Misérables de Victor Hugo, étouffe de rage en «relisant et décortiquant certains passages».
Il se sent accusé, dit-il, et «c'est grave parce que vous dites : bien entendu, toute idée de sympathie pour le FLN est à écarter !»
Quand Massu, auquel le pouvoir politique parisien a délégué la responsabilité des opérations de police à Alger et ses environs, écrit «certains fonctionnaires dont la personnalité avait été fortement traumatisée par la déportation ou fortement influencés par leur foi en une idéologie favorable à la rébellion», l'auteur de cette lettre se sent
directement visé puisque le général ne cite que lui et Paul Teitgen (2) «personne d'autre», lui reproche-t-il.
«Vous commencez à m'attaquer de front en ces termes : ‘'…à partir de l'extérieur, et ce qui est un comble à partir de la police elle-même, certaines pressions s'élevèrent pour provoquer des réticences chez les paras. [….] Le commissaire divisionnaire René Gille, qui avait partagé avec Jeanpierre (3) les souffrances de la déportation, lui rendit visite à son P.C. de la villa Sesini dans les premiers jours de la bataille''. Avant de poursuivre point par point l'étude de votre développement, j'en viens au motif de ma prise de contact avec Jean Pierre, exactement de la prise de contact de Jean Pierre avec moi.
‘'…Gille lui rendit visite à son P.C. de la villa Suzini…'' Pas du tout ! C'est ‘'Gille lui rendit sa visite à son P.C. de la villa Suzini''. Ce qui n'est pas du tout la même chose. Car Jean Pierre avait peut-être des raisons impérieuses de venir me voir, pas moi de chercher à le rencontrer. Il est venu me rendre visite à mon domicile de Diar El Mahçoul en pleine nuit. Voici en quelles circonstances.
Ce devait être en février 1957, je me trouvais chez moi lorsque vers 23 h, un policier demeurant à proximité vint me prévenir que les paras procédaient de façon brutale à des visites domiciliaires dans une petite cité musulmane voisine. Il s'agissait de petites maisons basses à terrasses, isolées — […] le genre Casbah — assez belles, [….] très propres, pas des gourbis, manifestement le logis d'habitants aisés, voire cossus. Quand j'arrivais je trouvais là une petite unité, deux ou trois sections, de ‘'bérets verts'' en pleine action. Dehors, les musulmans en chemises sortis de leur lit étaient couchés par terre, à plat ventre, la tête et bras autant que possible en l'air, position assez incommode, reconnaissez-le. (Je ne vois pas de sévices «actifs», mon arrivée ayant été un pavé dans la mare aux grenouilles). Plus loin, les femmes apeurées, avec leurs nombreux enfants terrorisés et pleurant, tous rassemblés sur le sol. Au total, 50, 80 et 100 personnes, je n'ai pas de souvenir précis à ce sujet. Dans les maisons, tout était brisé, vitres, glaces, vaisselle, meubles en menus morceaux, linge déchiré, matelas défoncés et, par terre de nombreux écrins, tous vidés de leur contenu. Je demandai au capitaine qui dirigeait l'opération (un grand, cheveux et moustaches d'un blond tirant sur le roux) ce qui se passait. ‘'Nous cherchons des bombes'', me dit-il, apparemment assez gêné. Je lui dis mon étonnement de ce qui, pour ce faire, on doit tout mettre en miettes et lui demandais combien ses hommes en avaient trouvé dans les écrins.
Bien entendu, ma présence stoppa les opérations, lesquelles au demeurant, étaient manifestement terminées… (…) Les paras étaient partis et j'étais tout juste rentré chez moi, lorsque le colonel Jeanpierre vint me rendre visite, accompagné du capitaine en question. Evidemment, Jean Pierre était très ennuyé, il couvrait son subordonné — «petit fils de commandant, donc lui-même républicain», me dit-il — il redoutait des graves suites pour lui et il me demanda de renoncer à l'enquête. Si j'avais pu lui donner satisfaction, je l'aurais fait car j'étais désolé que cette affaire tombât sur lui. Je ne pouvais, l'enquête étant en cours déjà et une telle opération à proximité immédiate de deux cités populaires — Diar El Mahçoul et Diar Es Saâda — ayant eu trop de témoins.
C'est à la suite, je crois, de cela, qu'à l'issue d'une conférence sur le maintien de l'ordre que vous présidiez à la préfecture et à laquelle j'assistais, vous me dites : ‘'Je voudrai bien Monsieur le Commissaire principal que lorsque je tire dans les brancards dans une direction, vous ne tiriez pas, vous, en sens contraire''. C'est un officier de police dépité, contraint par la réalité d'avouer son impuissance et ce qu'il appelle ‘'l'inanité de tout espoir de voir modifier certaines méthodes''. Frustré de son incapacité à changer l'ordre des choses, il se console en relevant que malgré tout il aura été «un témoin de cette époque». Il avait, en face de lui, ‘'une machine puissamment et savamment réglée, mise au point par des spécialistes, rodée depuis longtemps en Indochine'' ainsi que l'expliquait Massu. Une machine ‘'qui fonctionnait'' rondement malgré quelques bavures (Audin- Boumendjel) et en toute impunité. Que pouvait faire un commissaire principal en sous-ordre, dans un poste, même important qu'il occupait ? De plus puissants que moi s'y seraient brisé les dents.» L'auteur de ce document n'avait-il pas compris à l'époque que Massu, avec la bénédiction du pouvoir politique, menait «sa» guerre et il entendait en fixer les lois et les règlements tout comme il voulait son propre casting pour accomplir ce qu'il avait à faire. Le patron d'Alger et de la 10e DP se demande à ce propos, «par quelle méconnaissance de la formule ‘'The right man in the right place'' on avait pu lui (René Gille, ndlr) confier une mission pareille».
Outré, le commissaire s'insurge : «Quelle mission donc ? J'étais commissaire de police, tout simplement, et la loi française applicable à l'Algérie, même en guerre. L'exercice de mon métier n'était pas différent juridiquement et dans la forme de ce qu'il pouvait être à Paris, Marseille ou Boulogne-sur-mer.» En fait, si en apparence les différents corps de l'état colonialiste français, qui étaient engagés sur le terrain de la guerre et de la répression en Algérie, semblaient s'affronter, leur but commun était, il ne faut pas le perdre de vue, de conserver la colonie. La contradiction se situait au niveau des méthodes et des préséances administratives.
De plus, les commissaires Gille, fonctionnaires courtelinesques aux prises avec leur conscience après une guerre, dont la brutalité a marqué le XXe siècle, ne sont pas légion. Ce n'est pas un hasard si la guerre d'Algérie a enregistré le niveau le plus bas des déserteurs de tous les conflits, et nombreux sont ceux qui ont mené les armées françaises sous toutes les latitudes depuis Napoléon Bonaparte.
L'Etat colonial avait tranché : entre la légalité et la colonie le choix était fait. La morale, les grands principes des Lumières, tout cela n'était que littérature. L'Algérie était française, il fallait qu'elle le demeurât quoiqu'il en coûtât à Monsieur Voltaire qui soutenait une pincée de siècles auparavant : «Périssent les colonies plutôt qu'un principe, celui de la liberté.» Un principe qui servait de pouf à Jacques Massu, pour qui les «scrupules» des Gille ou autres Teitgen, «auraient pu les conduire à refuser d'accepter leur mission». Le commissaire, également convaincu de sa mission sacramentelle, de répondre : «Nous y voilà, il fallait accepter les yeux fermés, oreilles bouchées et bouche cousue, ce que vous savez et rester ou m'insurger et partir ! Eh bien non mon général, ni complicité, ni complaisance, ni désertion ! Pas du tout ! C'aurait été trop facile, et je trouvais précisément je le pense plus que jamais aujourd'hui que ma place était à Alger…»
Gille consacre la seconde partie de sa lettre à relever un certain nombre d'omissions volontaires ou pas et d'erreurs, qu'aurait commises le général dans son livre. La lecture en est plutôt édifiante.
«Jusqu'ici, écrit-il, je n'ai fait que me défendre…» Il fait remarquer que les réponses qu'il adresse à Massu ne se basent que sur «sa seule mémoire… n'ayant pas comme vous l'avantage de détenir des documents d'appui, surtout des pièces secrètes, les instructions en vigueur de toujours, dans la police interdisant formellement aux fonctionnaires, sous peine de poursuites administratives, disciplinaires et même judiciaires de conserver la moindre archive officielle, sauf celles intéressant directement et exclusivement leur carrière. J'ignorais que les militaires, bien qu'ils soient fonctionnaires, n'étaient pas soumis aux mêmes contraintes, ou qu'ils eussent la faculté de s'y soustraire».
Ainsi, c'est donc de mémoire qu'il l'interpelle : «Au sujet de l'attentat contre le colonel Bigeard à Bône (…) Pourquoi, mon général, omettez-vous… de dire que ses paras se livrèrent à Bône à de nombreuses ratonnades, à des chasses à l'homme sanglantes, injustes et aveugles où, vous le savez, sans aucune distinction, de nombreux innocents payent pour un ou deux coupables ?»
Ce fut un massacre faisant, m'a-t-on dit – car je n'étais pas à Bône à l'époque – de très nombreuses victimes, une soixantaine, des centaines et des centaines de musulmans étant sauvés par la police urbaine qui s'interposa.
Le général Massu, grenouille de bénitier à sa manière, «croyant mystique» persuadé «de la sainteté de la guerre», s'appliquait à mettre en harmonie ses actes et sa piété.
A ce propos, le commissaire ne manque pas de trouver «scandaleux» et je ne suis pas le seul, qu'un aumônier, un homme de Dieu ait l'impudence de cautionner, excuser et même justifier la torture… Il est vrai que lorsqu'à votre demande, le pape accorde sa bénédiction à vos paras, suivant en cela cet autre pape qui bénit en 1936-1938 les franquistes et pourquoi pas les Marocains des Tercios (4), comme Mgr Spillman bénit les futurs héros de la tuerie de Mi Lay au Vietnam (5), le père Delarue (6) doit se sentir délivré de tout complexe !
A propos des affaires dites «sombres» du sort tragique qui a été réservé à nombre de militants du FLN, le commissaire dans sa mise au point écrit : «Ne jetons pas un voile hypocrite sur la disparition de Maurice Audin. Qu'il fut communiste, qu'il ait apporté une aide, bénigne ou efficace à la rébellion et un intellectuel de son envergure est d'autant plus coupable, ne change rien (je ne le défends pas, loin de là et je n'ai que mépris et répulsion pour un Maillot, une Raymonde Peschard (7) ou un pauvre minable comme Yveton). Vous dites vous-même que ce n'était pas un "personnage dangereux". Audin était l'expression la plus parfaite de l'antihéros, de l'anti-homme d'action, de l'antisportif par excellence, portant certainement flanelle et caleçons longs en période de sirocco ! Alors Audin sautant d'une Jeep en marche la nuit, même si elle ralentit dans ce virage bien connu et échappant à la détente rapide et sûre de la mitraillette et les jarrets des paras, vous savez bien que c'est là un exploit qui était hors de ses possibilités ! Dois-je vous rappeler que si l'on a trouvé ensuite sur place des douilles en grande quantité, en revanche pas un seul point d'impact ne fut constaté, pas un seul projectile ne fut retrouvé !» Parlant en «technicien» des séances de torture qu'il se refuse à nommer comme telles, l'auteur de cette bien curieuse Vraie bataille d'Alger explique que «…chacune des équipes d'interrogatoire était dans certains cas obligée d'avoir recours à la violence. Les pilotes de cette entreprise étaient des capitaines…»
«Les uns et les autres étaient catalogués et jugés dans cette qualification de questionneur, comme dans leur dextérité de tireur ou de parachutiste». Le commissaire de lui rétorquer : «Est-ce à dire que la spécification de questionneur, avec tout ce que cela comporte, entrait en ligne de compte dans la distribution des décorations et des promotions au même titre que le périlleux comportement au combat devant un adversaire puissamment armé ? Si cela est vrai, quels critères vous permettaient de chiffrer les mérites pour, dans un cas ou dans l'autre, doser équitablement honneurs et avantages ?» Vous êtes muet, dans votre livre, sur les disparus, non seulement FLN actifs, mais simples suspects, ou plus simplement encore, raflés. Or, je me trouvais un jour à la préfecture peu après la manifestation au cours de laquelle des milliers de musulmanes s'étaient assises sur la chaussée de la rue (Leluch ?), ce qui vous avait décidé à créer une commission d'enquête et de recherche, Mme Massu devant, je crois y participer de façon importante. Ces femmes demandaient simplement des nouvelles de leurs maris, frères, pères, fils dont on fixait le nombre de disparitions à l'époque à 1800 environ, plus ceux, nombreux, que personne n'a jamais réclamés. Disparus sans laisser de trace, pour ne pas être revenus de «la corvée de bois», avoir fait l'objet d'un «classement vertical» ou avoir «bénéficié» de baptêmes de l'air en hélicoptère. La rapine et les trafics en tous genres étaient monnaie courante dans ce capharnaüm sanglant qu'était devenue l'Algérie aux mains des militaires. Officiers et politiques de connivence fermaient les yeux sur bien des agissements moyenâgeux, dont ils connaissaient l'existence, mais qu'ils n'ont à aucun moment empêchés ou encore moins condamnés.
La loi de la jungle a été imposée. Elle a réglé durant pratiquement toute la guerre les relations entre les Algériens et leurs oppresseurs. Les exemples cités par Gille en sont une illustration parfaite : «Etes-vous au courant», écrit-il, «que l'un de vos colonels efficace le 13 mai 1958, abstentionniste le 22 avril 1961 est allé demander au secrétaire général de la préfecture pour l'administration, donc pas Teitgen, 500 cartes grises vierges (cinq cents) pour régulariser la situation d'autant de voitures prises ou à prendre, dont beaucoup de propriétaires n'étaient plus en mesure de venir les réclamer ? Prises de guerre, bien sûr, la moralité très relative d'une guerre permettant bien des accommodements avec le concept de bien d'autrui. Mais demander sans vergogne à un fonctionnaire ayant de hautes responsabilités de couvrir une telle marchandise, il faut le faire ! Ce curieux colonel, qui pour le moins manquait de psychologie, n'obtint rien, bien entendu, mais il n'empêche que dès 1957, on voit de nombreux paras, gradés ou non, verts ou rouges, circulant dans Alger au volant de voitures immatriculées un peu partout en Algérie. Les paras et eux seuls. Paras purs et durs ? Durs à coup sûr !
Que pourrai-je vous dire encore, même sur les affaires du bled et qui sont assez scabreuses, comme celle, par exemple des fusils de chasse «baladeurs», «prises de guerre» au cours d'opérations et qui éternels trophées, toujours les mêmes, faisaient parti du bilan des affaires successives (région de Bône 1956-1957). Tout commentaire est inutile, cette guéguerre épistolaire entre deux acteurs de la tragédie algérienne en dit long sur leurs sentiments à notre endroit.
– Notes :
– 1) Général Jacques Massu. La vraie bataille d'Alger. Plon. Paris 1971.
– 2) Paul Teitgen : secrétaire général de la préfecture d'Alger, il démissionne le 29 mars 1959 pour protester contre l'usage massif de la torture. Il est le premier à avancer le chiffre de 3024 disparus sur 24 000 assignés à résidence lors de la bataille d'Alger !
– 3) Jeanpierre : Lieutenant-colonel du 1er Régiment étranger de parachutistes (1er REP) qui a joué un rôle de premier plan dans la répression des populations d'Alger. Il sera tué dans son hélicoptère qui a été abattu lors d'un engagement avec les forces de l'ALN dans le djebel Marmora (Guelma) le 28 mai 1958.
– 4) Tercio : Corps expéditionnaire espagnol au Rif et Sahara-Occidental.
– 5) My Lay : En mars 1968, une compagnie de GI's, sous les ordres du lieutenant William L. Calley, investissait le village de Mi Lai au Vietnam où ont été exécutés froidement 500 civils, enfants, femmes et vieillards. L'armée américaine avait à l'époque, annoncé «une grande victoire et la mort de 128 ennemis». Reconnu coupable d'un «acte isolé», le lieutenant Calley a été condamné en 1971 à la prison à vie, il fut libéré en 1974 !
– 6) Le père Delarue : Aumônier de la 10e DP de Massu. Apôtre de la torture, auteur d'un «document explicatif à l'usage des hésitants» dans lequel il parle «d'interrogatoires sans sadisme mais efficaces». Il soutient que «le coupable n'a qu'à s'en prendre à lui-même s'il ne parle qu'après avoir été efficacement convaincu qu'il devait le faire».
– 7) Raymonde Peschard (nom de guerre : Taous) : Née le 15 septembre 1927 à Saint Eugène. Assistante sociale à l'EGA (Sonelgaz aujourd'hui), collègue de travail et camarade au sein du Parti communiste algérien (PCA) de Fernand Yveton, elle active en ville avant de rejoindre l'ALN en mars 1957. Affectée au service de la santé en Wilaya III dans la région de Guergour. Arrêtée en novembre 1957 dans la région de Médjana (Bibans), elle est assassiné d'une balle de pistolet tirée à bout portant dans la nuque. Robert Lacoste présentera ce meurtre comme une «grande victoire de l'armée française». Après 1962, ses cendres ont été transférées vers le cimetière de Constantine. Une rue de la capitale de l'est porte son nom de même que l'hôpital de Médjana (V. El Watan du 12 janvier 2006).
– 8) Mauthausen : Camp de concentration établi en 1938 en Haute-Autriche.
– 9) Pouliguen : Port de plaisance dans la région de Saint-Nazaire en France.
– 10) Récit repris par Hamid Bousselham dans Torturés par Le Pen. p.33 à 36. Ed. Rahma/ANEP. Alger 2000.


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