Sous les voûtes séculaires du Bastion 23, le palais des Raïs s'est mué, le temps d'une exposition, en un lieu de recueillement artistique. Depuis quelques jours, les murs de pierre racontent, en silence, l'histoire d'un homme et de son œuvre : Mustapha Adane. Une rétrospective lui est consacrée, dévoilant une cinquantaine de toiles qui forment autant de fragments d'un parcours singulier dans l'univers de la peinture algérienne contemporaine. L'exposition se tient jusqu'au 29 août, offrant au public un tête-à-tête rare avec une œuvre intime, dense et puissamment ancrée dans la mémoire collective. Mustapha Adane n'est pas de ceux qui occupent le devant de la scène. Sa démarche, discrète mais résolue, s'est construite à contre-courant des tendances et des discours dominants. Autodidacte avant tout, il s'est forgé un regard par l'expérience, le vécu, l'observation patiente des choses, du monde, des êtres. Ses tableaux, où les formes se dissipent parfois dans un jeu de transparences et d'abstraction, dégagent une force tranquille, nourrie par une émotion retenue mais bien présente. Les couleurs, souvent terreuses, évoquent une mémoire ancienne, presque enfouie, que l'artiste semble remonter avec une lenteur méditative. Ce que ses toiles racontent ne se dit pas avec des mots. Il y a dans sa peinture un va-et-vient constant entre la matière et le souvenir, entre le visible et l'indicible. Chaque œuvre est une sorte de fouille intérieure, une quête personnelle qui rejoint une histoire plus vaste, celle d'un pays, d'un peuple, d'un exil parfois muet. Il ne s'agit pas pour Adane d'illustrer un discours, mais de faire émerger, par le geste et la couleur, ce qui résiste à l'oubli. Le choix du Bastion 23 pour accueillir cette exposition ne doit rien au hasard. Né en 1933 dans la Casbah d'Alger, Mustapha Adane est enfant de ces ruelles pentues et de ces bâtisses blanches chargées d'histoire. Lui rendre hommage dans ce lieu emblématique, c'est faire dialoguer son œuvre avec la mémoire des pierres. À 92 ans, l'artiste aurait dû être présent lors du vernissage, mais des raisons de santé l'en ont empêché. Ce contretemps n'a pas terni l'émotion palpable lors du vernissage, où artistes, enseignants, étudiants et curieux ont salué une figure majeure de l'art algérien. Dans un discours sobre, la directrice du palais, Faiza Riache, a annoncé qu'un film retraçant le parcours de l'artiste, réalisé par un jeune cinéaste passionné, serait bientôt projeté. Un geste supplémentaire pour ancrer cette mémoire dans le temps et permettre aux nouvelles générations de mieux comprendre l'héritage de Mustapha Adane. Son parcours est riche, tissé de multiples engagements. Formé à Leipzig dans les années 60, il revient à Alger avec un bagage artistique dense : peinture, sculpture, graphisme, pédagogie. Il participe activement à la réflexion sur l'art post-indépendance, s'engageant dans une lecture décoloniale des formes et des récits. Membre fondateur du groupe Aouchem, enseignant, président de l'UNAP à une époque charnière, il multiplie les projets, de la création de fresques à la conception de timbres et de médailles pour les anciens combattants. Son atelier, niché dans l'ancien espace du sculpteur André Greck, demeure un lieu de création et de transmission. Et dans ses œuvres récentes, l'artiste n'a rien perdu de sa verve. On y retrouve une satire fine, un dépouillement formel assumé, et une attention aiguë portée aux drames de notre époque, en particulier la cause palestinienne. Ce qu'offre cette exposition, ce n'est pas seulement une plongée dans un univers artistique singulier, c'est une rencontre. Une rencontre entre le regard du spectateur et l'intériorité d'un homme pour qui l'art est un acte de mémoire, un acte de résistance, un acte de vie.