– Que s'est-il passé au juste samedi dernier à l'imprimerie ? J'avais envoyé le journal à l'imprimerie comme à l'accoutumée, en fin de journée. Nous avions consacré deux pages à l'état de santé du Président. Vers 18h30, je reçois un appel du ministère de la Communication me demandant de retirer les deux pages. Cela a été fait de manière très cordiale en me disant : «Aidez-nous à régler la situation.»
– Voulaient-ils le retrait des deux pages ?
Effectivement. Ils voulaient que les deux pages soient enlevées ou remplacées. J'ai répondu que techniquement, cela était impossible. Il était 18h30. Nous avions bouclé le journal, nous ne pouvions intervenir sur le contenu. Même du point de vue déontologique, je ne peux accepter l'autocensure ni exercer une quelconque forme de censure sur les journalistes qui ont confectionné le contenu des deux pages. Notre credo, au journal, est de privilégier l'information et de s'interdire tout commentaire. J'ai dit que j'étais d'accord pour ne pas imprimer le numéro en question. C'est ce qui a été retenu.
– Qu'est-ce qui «dérangeait» dans le contenu de ces deux pages ?
Les articles faisaient état de la détérioration de la santé du Président. Ils ont été écrits sur la base d'un de ses bulletins de santé.
– Le dernier ?
Je ne sais pas s'il s'agit du premier ou du dernier. L'essentiel est qu'il s'agit d'un bulletin, d'un de ses bulletins de santé, qui est un document crédible. Le dossier sur la santé du Président tournait autour des informations contenues dans ce document.
– Peut-on connaître ce que dit ce bulletin de santé ?
En clair, il fait état d'un déficit immunitaire et métabolique dû à un traitement abusif de fortifiants. Ajouté à cela un cancer de l'estomac métastasé depuis plusieurs années. Ce sont ces informations, obtenues auprès de sources médicales et militaires proches de l'hôpital Val-de-Grâce, qui ont alimenté les articles contenus dans les deux pages qui devaient paraître dans notre édition d'hier.
– Qu'en est-il de la situation de votre journal aujourd'hui ?
Comme nous n'avons reçu aucune notification, nous avons travaillé normalement hier. L'édition a été préparée et elle va être imprimée. Nous n'avons aucun problème pour l'instant. Le journal sera chez les buralistes demain (aujourd'hui)…
– Avec le même contenu relatif à l'état de santé du Président ?
Non. Il faut être réaliste. Nous ne pouvons pas mettre en péril le gagne-pain des journalistes qui font le journal. Les deux pages ont été retirées…
– Ne pensez-vous pas qu'il s'agit là d'une censure qui nous renvoie aux années 1990, où les journaux étaient surveillés à la loupe au niveau des imprimeries ?
Vous avez raison. Depuis l'arrivée du président Bouteflika, il n'y a plus eu de censure. C'est la première fois que cela arrive. Je ne sais pas quelle qualification lui donner. Cependant, je peux dire que cet acte maladroit exprime la mauvaise gestion de la communication officielle relative à la maladie du Président et des affaires de l'Etat. Nos dirigeants ne communiquent pas. Cela n'est pas propre uniquement à eux. C'est une culture générale, y compris chez les chefs de parti qui refusent des entretiens à des journalistes, alors que par essence, ils doivent continuellement informer les citoyens de leurs activités, stratégies, etc. A la fin, j'ai pris les choses du bon côté. Il n'y a pas de panique. J'espère seulement qu'à l'avenir, nos autorités pourraient faire mieux pour éviter de se donner une mauvaise image. Qu'est-ce qui empêche le médecin du président de faire un communiqué sur la santé de Bouteflika ? Pourquoi ne pas diffuser des images prises dans sa chambre, comme cela a été fait en 2005, afin de rassurer l'opinion publique sur l'état de santé de son Président ?
– L'état de santé du Président est-il juste objet de polémique ou est-il tellement grave qu'il suscite la polémique ?
Si polémique il y a, ce sont nos dirigeants qui l'ont suscitée par leur silence. Ils doivent à tout prix réagir soit pour mettre un terme aux rumeurs, soit pour faire état de l'évolution de la santé du Président, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Il n'est pas question de rester sans nouvelles du premier responsable de l'Etat, depuis près d'un mois.