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Architecte atypique
Publié dans El Watan le 24 - 05 - 2014

Son exigence était de construire vite, pas cher, en tenant compte des contraintes de chaque projet et surtout en ajoutant un supplément de plaisir à voir et à habiter. Son cachet particulier consistait à intégrer toutes sortes de références historiques et de clins d'œil audacieux. L'architecte, et enseignante à l'EPAU (Ecole polytechnique d'architecture et d'urbanisme), Meriem Maâchi-Maïza, a eu la bonne idée de revenir sur ce personnage controversé et ses œuvres en Algérie à travers une exposition réalisée avec le soutien de l'Institut français d'Alger.
La première rencontre de Pouillon avec l'Algérie date de 1953. Il reçoit un télégramme de Jacques Chevalier, maire de la ville à l'époque, soucieux de répondre à la problématique du logement de masse dans la ville. «A midi, j'étais chargé de faire 3000 logements, à cinq heures du soir d'en faire 8000», se souvient-il dans une interview. L'architecte était déjà connu pour ses réalisations à Marseille, à l'image de la cité de la Tourette, dans le cadre des chantiers de reconstruction après la deuxième guerre mondiale. Tranchant avec toutes les chapelles de l'architecture moderne, Pouillon était un adepte de la «théorie de la pratique», pour reprendre une expression de Bourdieu. Peu importe les conceptions abstraites, l'essentiel est que cela fonctionne sur le terrain. Cet architecte qui avait commencé à bâtir avant d'obtenir son diplôme d'architecte plaçait le «métier» et la capacité d'adaptation avant toute forme de calcul ou de théorie. Il avait également une solide réputation de «corsaire de l'architecture», prêt à tout pour décrocher les chantiers les plus ambitieux.
Sa première période algérienne est marquée par la construction de trois grandes cités HLM, qui restent aujourd'hui encore des sites singuliers et emblématiques dans le paysage urbain algérois : Diar Essaada, Diar El Mahçoul et Climat de France. Ces cités se composent de plusieurs milliers de logements qui répondent aux besoins d'habitat confortable pour le plus grand nombre, avec divers équipements de proximité : école, mosquée, église, marché, voire téléphérique pour Diar El Mahçoul. En plus de cette vision quasi d'urbaniste, Pouillon tenait à ajouter un cachet artistique à l'ensemble : «L'homme a besoin d'un décor, il aspire toujours à mieux vivre, dans le luxe si possible», affirmait-il. Artistes et artisans sont mis à contribution pour embellir les cités. «L'architecture méditerranéenne est faite pour vivre aussi à l'extérieur, affirme Maâchi-Maïza. Pour réussir son pari, il revalorise les corps de métier : les artisans céramistes comme les frères
Sourdive ou Mohamed Boumehdi, les tailleurs de pierre, les ferronniers, les jardiniers…».
Bref, le logement social n'était pas du logement au rabais et l'économie n'excluait nullement l'audace. Il fait ainsi réaliser à Diar Essaada un ruisseau artificiel parcourant la cité de bout en bout, traversant notamment une mosaïque de Jean Chauffey qui a la particularité d'être l'une des plus vastes du monde, 3000 mètres carrés, mais aussi l'une des moins coûteuses, 200 francs le mètre carré.
A Diar El Mahçoul, on rencontre des sculptures de Jean Amado et une fontaine monumentale de Louis Arnaud représentant Neptune conduisant un char, dont subsistent les chevaux, déportés aujourd'hui en face du Bastion 23. Au Climat de France, l'architecte tentera de compenser la modestie des logements, destinés aux Algériens des couches sociales les plus pauvres, par la monumentalité de l'ensemble et ses fameuses 200 colonnes. Cet espace central gigantesque est d'ailleurs inspiré du Meidan Imem d'Ispahan en Iran où l'architecte avait séjourné auparavant pour la construction de gares ferroviaires.
Dans sa première expérience algérienne qui prend fin en 1957, Pouillon réalise le tour de force d'utiliser des matériaux nobles, de la pierre et de la brique pour du logement social, alors que le béton emportait les suffrages des architectes de son temps. «J'étais un des rares à n'avoir pas de préjugés pour les structures, rapporte-t-il dans ses Mémoires. Les chapelles d'architectes modernes me l'ont toujours reproché : être de son temps, c'est construire en béton et en acier, sinon on n'est pas dans le coup… Je prétends que l'architecture est un art au service de la société. Si le service est bien rendu, le choix du matériau importe peu.» Ses confrères, de même que les revues spécialisées, lui tiendront rigueur de cette originalité et passeront son œuvre sous silence. Après l'affaire du CNL (Comptoir national des logements, dont il était actionnaire), Fernand Pouillon sera radié de l'Ordre des architectes et se retrouvera à sa sortie de prison, en 1964, dans l'incapacité d'exercer son métier en France. Après le sommet de la gloire, c'est le creux de la vague. Il remportera quand même un certain succès, mais cette fois sur le terrain de la littérature. Son roman Les pierres sauvages, écrit en prison, remporte le prix des Deux Magots.
C'est dans l'Algérie indépendante qu'il trouvera son deuxième souffle architectural. En décembre 1965, il est nommé architecte en chef pour l'aménagement touristique de tout le territoire national. S'éloignant du classicisme des premières réalisations, il s'amusera littéralement à multiplier les références à diverses architectures de la Méditerranée dans les hôtels et complexes touristiques qu'il concevra entre 1966 et 1984. On peut citer, entre autres, le complexe touristique de Sidi Fredj, le complexe hôtelier de la Corne d'Or à Tipasa, ainsi qu'une quarantaine d'hôtels dans tout le pays, dont les Zianides (Tlemcen), Mekther (Aïn Sefra) ou El Mountazah à Séraïdi (Annaba). Pour donner libre cours à sa virtuosité, l'architecte a dû remettre en question tout ce qu'il avait appris en s'imprégnant plus profondément de l'architecture locale. «Lorsque j'ai touché à ce programme touristique algérien, dans un climat que j'aime, car je suis méditerranéen, et lorsque j'ai vu ce que l'on pouvait faire, j'ai changé de nature. D'abord, je me suis adapté à l'Islam. Puis, je me suis adapté à la manière de travailler, c'est-à-dire dans un abandon total de trame, de tout ce qui est linéaire dans la conception. Si vous voulez, j'ai travaillé davantage en sculpteur qu'en architecte.» En véritable caméléon, il adoptera les particularités architecturales algériennes et les intégrera à son langage qui en deviendra babélien.
Dès son arrivée à Alger, Pouillon avait été frappé par l'architecture de la vieille ville qui mêle les références ottomanes et andalouses. Il prendra ensuite le temps de parcourir le pays pour découvrir ses merveilles architecturales, notamment celles du M'zab et du Sud algérien. Evoquant ses projets touristiques, Meriem Maâchi-Maïza parle d'une architecture multiculturelle et pittoresque : «Pouillon n'hésite pas à mixer les références. Par exemple, au Quartier du Corsaire (Sidi Fredj) où un kbou et un patio algérois s'ouvrent sur un pont vénitien». En compositeur moderne, Pouillon ne craint pas d'intégrer la dissonance à son harmonie. Un projet comme l'hôtel Riadh à Sidi Fredj peut regrouper à lui tout seul plusieurs influences : mozabite, andalouse, italienne… «L'humour, ou plus exactement le pittoresque peut se lire dans le night-club, où se côtoient poteaux champignons en briques artisanales et portiques à arcades outrepassées… les patios ouverts sur l'extérieur (villas à Matarès) ou les kiosques à typologie de mausolées qui sont en fait des salons de thé. Puristes s'abstenir!», prévient encore Maâchi-Maïza. Pouillon est-il pour autant un architecte sans style ? Sa patte est pourtant reconnaissable aux audaces, au spectacle et aux surprises qu'offrent ses réalisations au passant comme à l'habitant.
Cet homme qui concevait ses bâtisses «en piéton et non en aviateur» donne littéralement à voir et à lire. Si son vocabulaire est hétéroclite à force de références, c'est sa syntaxe et son art de la composition qui font l'homogénéité de l'ensemble. Pouillon se plaît à sculpter l'espace en alternant les vides et les pleins ; portiques, grandes places et tours impriment une certaine théâtralité à son œuvre. Il fait aussi preuve d'une très grande capacité d'adaptation au site. Par exemple, le terrain en pente à Oued Koriche où a été construite la cité Climat de France était réputé inconstructible. Qu'à cela ne tienne, l'architecte avait conçu des bâtiments sur des hauteurs différentes épousant le relief du site. L'importance du paysage est également primordiale, tant dans les cités HLM qui dominent la ville que dans les complexes touristiques tels que celui de la Corne d'or à Tipasa qui offre un merveilleux panorama méditerranéen.
Longtemps négligé par les écoles d'architecture, il bénéficie d'une reconnaissance tardive avec un prix spécial à la Biennale de Venise en 1982 et le président François Mitterrand l'élève au rang d'officier de la Légion d'honneur en 1985, soit une année avant sa mort. Interrogée sur sa postérité auprès des architectes algériens, Meriem Maâchi-Maïza déclare que ces derniers «revendiquent son influence, même si les libertés prises par l'architecte font que l'œuvre reste difficile à décrypter. Beaucoup reconnaissent la valeur de ce patrimoine qui nous reste en héritage. De nos jours, l'architecture de Fernand
Pouillon fait l'objet de recherches universitaires, elle est étudiée à l'Epau et dans les départements d'architecture. Mais face aux tendances actuelles qui attirent les étudiants, fera-t-elle école ?». Il est manifeste que dans ces temps où l'Algérie multiplie les projets de logements sociaux, souvent sans penser au confort des humains qui les habiteront, et tente de revaloriser son potentiel touristique, le travail de Pouillon, tant dans son style que dans sa méthode, a encore beaucoup à nous apprendre.


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