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Etre historien en Algérie
Publié dans El Watan le 01 - 11 - 2014

En témoigne l'effervescence éditoriale autour des ouvrages ayant trait au Mouvement national. En témoignent également tous ces films consacrés à des figures emblématiques de la Révolution : Ben Boulaïd, Zabana et, bientôt, Ben M'hidi, ou encore Krim Belkacem. A cela s'ajoutent les festivités, les colloques, les émissions spéciales et autres rituels commémoratifs qui ont marqué le cinquantenaire de l'indépendance.
Si cette ébullition est de nature à rafraîchir les mémoires en ravivant les passions autour de ce passé exalté, pour autant nos historiens, comprendre ceux qui vivent et travaillent en Algérie, sont-ils mieux considérés, accompagnés, soutenus, outillés ? «Il suffit de voir l'état de notre Institut pour vous faire une idée de la considération qu'a l'Etat pour l'histoire», résume Fateh, étudiant en 3e année à l'Institut d'histoire de la fac de Bouzaréah (université Alger 2). De fait, s'il ne fallait retenir qu'une image pour dire la place de l'histoire dans l'espace public, ce serait celle-là. Ces salles de cours délabrées, ce bâtiment lugubre, confiné aux fins fonds du campus, comme s'il était mis au rebut. S'il n'y avait que cela.
Le sentiment partagé par nombre de chercheurs et d'universitaires que nous avons rencontrés est que l'historien n'est pas encouragé. A la clé, ce postulat : l'équipe au pouvoir, sous ses différentes variantes, dont «l'ADN» renvoie au clan d'Oujda, verrait d'un mauvais œil une historiographie «folichonne» qui irait «fourrer son nez» dans le passé encore fumant des tenants du pouvoir.
L'historien de métier, porteur de «vérités vérifiées», serait plus «dangereux» que la moyenne, assimilé à un agent de «délégitimation». Explication expéditive et simpliste, sans doute, mais qui est pourtant bien ancrée tant au niveau de l'imaginaire populaire que dans les sphères académiques elles-mêmes.
Historia non grata
«La recherche historique n'est pas du tout considérée à sa juste valeur dans notre pays. Les chercheurs sont méprisés. On nous interdit l'accès aux sources car ça dérange le pouvoir. C'est pour cela que l'histoire est falsifiée», tonne un historien spécialiste de la période ottomane, rencontré au Centre national d'étude et de recherche sur le Mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954, à El Biar. «On nous alloue une bourse minable de 800 euros par mois pour aller faire des recherches à l'étranger. Moi, je l'appelle ‘‘el mihna' ‘(la peine) et non ‘‘el minha'' (la bourse). Et je suis obligé de payer le billet d'avion de ma poche !» appuie-t-il.
Ce sentiment de marginalisation est forcément conforté par la chronique malheureuse de la recherche historiographique sous nos latitudes, quand on sait que des historiens de renom ont subi l'opprobre des «autorités mémorielles» et ont été indignement ostracisés. Mohamed El Korso, professeur à l'Institut d'histoire de l'université Alger 2, nous rappelait comment un historien de la dimension de Mohamed Harbi, invité dans le monde entier, était banni dans l'université algérienne et, à notre connaissance, Harbi est toujours persona non grata dans nos facultés.
Fouad Soufi, chercheur au Crasc, rappelait de son côté la descente aux enfers qu'avait connu le vénérable Mahfoud Kaddache du temps de Boumediène. «Mahfoud Kaddache a été le seul historien à avoir osé dire non à Boumediène. C'était à l'occasion d'une rencontre à la villa Susini, à Alger, qui a réuni l'ex-président de la République avec des universitaires spécialisés en histoire. Lors de ce regroupement qui s'est déroulé en 1972, Boumediène a donné des orientations qui devaient guider les universitaires dans leur travail de recherche historique. A la surprise de tout le monde, Mahfoud Kaddache s'était levé pour dire à l'ex-Président qu'il n'avait pas, en tant que responsable politique, à s'immiscer dans le travail des historiens», rapportait Fouad Soufi au cours d'une rencontre à Tizi Ouzou (in Le Soir d'Algérie du 26 décembre 2012). Son audace lui coûtera cher : il sera chassé comme un malpropre de l'université et interdit d'enseigner.
C'est dire qu'il est des métiers qui consomment trop de liberté pour pouvoir être exercés en toute tranquillité. Et le métier d'historien en est fatalement un. Donc, en plus des conditions matérielles, socioprofessionnelles, psychologiques, épistémologiques, conceptuelles, il faut aussi tenir compte du climat politique qui entoure la recherche. Toujours est-il que le besoin d'historiens de métier se fait plus que jamais sentir. Dans le feu des polémiques suscitées par les révélations des uns et des autres, cette «lave en fusion», comme l'appelle Harbi, avec son lot de règlements de comptes et ses violences narratives, les «professionnels de l'histoire» sont instamment sollicités, eux qui ont les mots, les outils, la méthode pour apaiser le débat, mettre de l'ordre dans cette foire aux récits, filtrer les sources sans les censurer en faisant le tri entre les faits et les légendes.
«Comme si rien n'est plus facile que d'être historien»
Mais voilà. Dans le foisonnement des écrits historiques, la parole des historiens, en premier lieu ceux de souche académique, semble ensevelie sous une montagne de papiers, devenant inaudible dans le fracas des vociférations. Dans une étude intitulée «En Algérie, l'histoire et sa pratique», Fouad Soufi note : «Dans le champ de la recherche historique – pour être plus exact, dans celui de l'écriture de l'histoire – l'historien n'est pas seul.
Les historiens universitaires qui forment, de par leur statut, ce qui peut tenir lieu de communauté historienne, ne sont même pas les plus nombreux dans l'espace éditorial.» Et de lâcher en forme de boutade : «En Algérie, tout se passe comme si rien n'est plus facile qu'être historien, si ce n'est un historien professionnel. Mais écrire l'histoire est-il une profession ?» (En Algérie, l'histoire et sa pratique in http://www.crasc-dz.org/article-755.html)
Fouad Soufi pose une question-clé. Oui, écrire l'histoire est-il une profession ? Ce qu'on peut dire d'emblée, et cela se constate en parcourant les étals de n'importe quelle bonne librairie, c'est que les auteurs se divisent en deux grandes familles : les académiciens rattachés à des centres universitaires ou des unités de recherche, avec leur appareil conceptuel, leur méthode critique et leur rigueur scientifique. Et puis, il y a les «autodidactes», les historiens «amateurs» comme les désigne Mourad Ouznadji, responsable des relations extérieures au Centre de recherche sur le 1er Novembre 1954, lui-même auteur de plusieurs ouvrages, dont Hadith sarih maâ Aboulkacem Saâdallah (En toute franchise avec Aboulkacem Saâdallah, éditions Hibr) qui en est à sa troisième édition.
«Il y a, en gros, les professionnels de l'écriture de l'histoire et ce que j'appellerais avec prudence les ‘‘historiens amateurs'', mais il n'est pas dit que les seconds n'ont pas de mérite. Tewfik El Madani ou Abderrahmane Djillali ont écrit des merveilles sur l'histoire sans être des historiens de métier. Du reste, on peut contribuer de différentes manières à l'écriture de l'histoire, y compris par le roman, la poésie, le cinéma…». Mourad Ouznadji est justement sur le point de publier un livre consacré au traitement de la Révolution dans le cinéma, un ouvrage basé sur l'analyse de 56 films.
Les «ministères de la vérité historique»
Au-delà de cette dichotomie, historiens de métier/historiens par passion, l'un des enjeux de l'écriture de l'histoire porte sur les garanties d'indépendance des pratiques historiographiques. Indépendance en termes de «distance critique» vis-à-vis du matériau lui-même et vis-à-vis du récit officiel véhiculé par un Etat prescripteur qui entend «chaperonner» la recherche historique. Fouad Soufi relève que l'histoire officielle est administrée par ce qu'il appelle, avec une pointe d'ironie, les «ministères de la vérité historique».
En l'occurrence : la Culture pour la période antique, les Affaires religieuses pour la période médiévale, les Moudjahidine pour la période coloniale et tout particulièrement celle de la Guerre de Libération nationale (cf. L'Algérie, l'histoire et sa pratique). Parlant de la mission de ce dernier, le chercheur souligne que l'une des missions assignées au ministère des Moudjahidine est «de contrôler les publications ou productions cinématographiques relatives à la lutte de libération nationale».
En 1994, le ministère s'est doté d'une structure de recherche : le Centre de recherche sur le Mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954 précédemment cité. Ce dernier a édité jusqu'à présent un millier d'ouvrages et financé plus de 30 documentaires et autres longs métrages. Le Centre édite également une revue historique : la revue El Massadir, qui en est à son 25e numéro.
Histoire VS mémoire
Il faut bien le concéder, l'écriture de l'histoire n'est pas l'apanage des «professionnels», tant s'en faut. Mais de tous les écrits historiques, les mémoires et autres témoignages des acteurs constituent, sans doute, le principal «concurrent» des historiens de métier. Invité du forum de Liberté le 21 janvier 2014, Benjamin Stora constatait : «Durant les années 1990-2000, il y a eu 150 à 200 ouvrages publiés. Les acteurs ressentaient la nécessité de livrer leur version de l'histoire et c'est quelque chose de tout à fait nouveau.» L'historien observait «une tendance à l'individualisation de l'histoire avec un risque de privatisation de cette histoire».
Benjamin Stora mettait en garde, dans la foulée, contre un «effet pervers» de cette profusion mémorielle : le risque que les acteurs dénient aux historiens le droit de tout travail critique sur ce matériel et «que ce soient les acteurs qui donnent la ‘‘vérité'' de l'histoire indépendamment de la lecture critique des historiens». De fait, pour les spécialistes, cette avalanche de mémoires, pour précieuse qu'elle soit, n'est pas prise pour argent comptant. «Je ne peux pas prendre pour argent comptant le témoignage d'un acteur.
On est obligé de se pencher sur les archives quand on en trouve, ce qui est rare pour une organisation qui a été clandestine. Sinon, on procède à des recoupements des témoignages des acteurs», préconisait Mohamed Harbi dans une interview qu'il nous avait accordée (in El Watan du 26 mai 2011). Harbi nous confiait : «Je vais vous dire comment ils ont procédé en France. Tous les grands acteurs sont passés par des instituts pour livrer leur témoignage devant des historiens qui ont étudié la période concernée.
Et ces témoignages sont dûment emmagasinés dans des archives. Chez nous, cela se passe autrement. J'ai, chez moi, plus de 123 ouvrages algériens de témoignages. Ce n'est pas satisfaisant parce que les gens ne parlent pas de la réalité culturelle, de la réalité sociale, de la stratégie des acteurs. Ils parlent de faits, comme ça… Il faut dire que chez les acteurs de la Révolution algérienne, la véritable culture était plutôt rare. Partant de là, ils ne peuvent revoir et vivre d'une autre manière leur expérience qu'à travers le regard de gens du métier. L'histoire, c'est aussi un métier.»
Censure archivistique
De tous les écueils soulevés par les historiens, c'est le difficile accès aux archives qui les turlupine le plus. «Il y a un problème d'accès aux archives, de propriété (appropriation privative) des archives et de statut des archives», martèle Daho Djerbal. Au Centre national des Archives de Birkhadem, il nous est confirmé que pour certains documents il faut une dérogation délivrée par une commission spéciale (voire notre reportage sur le Centre national des archives). Mohamed Harbi estime que «le pouvoir qui est là depuis 1962 n'a aucun intérêt à ce que l'histoire devienne la matrice d'une reconstruction du pays.
Je me souviens, quand j'étais à Révolution Africaine, j'avais publié un document sur la Fédération de France du FLN. Il y a eu tout de suite une réaction du ministre de la Défense (Boumediène, Ndlr) et des pressions sur Ben Bella pour dire cette histoire, on n'en parle plus» (El Watan du 26 mai 2011). Quid de la nouvelle génération de chercheurs ? Fateh témoigne : «Moi, j'ai voulu ardemment suivre cette discipline.
Mais la grande majorité des étudiants inscrits en histoire ne l'ont pas fait par vocation. Très peu d'entre eux s'y intéressent vraiment et ont envie de consacrer leur vie à la recherche historique.» Harbi nous disait à ce sujet : «Il y en a quelques-uns (jeunes chercheurs, Ndlr) qui sont remarquables, mais malheureusement ils restent à l'étranger. Et ceux qui rentrent ici, je ne donnerai pas de nom, mais… Il y en a un ou deux qui sont vraiment remarquables, qui sont capables de devenir de grands historiens. Les autres, ils sont en train d'ahaner pour avoir des postes parce qu'il faut faire valider son diplôme universitaire acquis à l'étranger. C'est une manière d'avoir des historiens destinés à produire une histoire officielle.»


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