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Assignés à perpète hors du Sahara : Le désert interdit
Publié dans El Watan le 02 - 07 - 2015

Peu m'importait que j'embarque pour le désert au puits d'In Ziza ou à l'ombre de la montagne Iharen, des gorges de Tin Irlalen ou de la frange de sable de Murzuk. Je partais. Il m'arrivait même d'attendre d'être sur le terrain pour enfin regarder une carte …
Si j'avais su que l'on ne pourrait plus m'offrir de départ insouciant, j'aurais dit « oui» d'un air grave et j'aurais questionné « où ? » Je me serais penchée sur la carte, aurais tenté de deviner le terrain de mon départ, sable ou caillou j'aurais affrété mon voyage avec un soin infini, prenant un plaisir fou à sa préparation. Sachant qu'il pouvait être le dernier, j'aurais tout fait pour qu'il soit le plus beau.
Au point de départ, je prenais conscience de qui allaient être mes compagnons de voyage. Je n'avais exigé personne, j'acceptais tout le monde, même l'inconnu. Je renouais tranquillement avec ceux que je connaissais, je faisais connaissance des nouveaux et apprenais leurs noms, leurs tribus, leurs liens parentaux. Je recommençais à zéro sans me presser, pensant avoir le temps de me laisser découvrir et connaître à mon tour. Mes amis habitent le désert, et le désert est grand; on ne peut pas être partout comme dit le Touareg Abdulahi lorsqu'il ne peut nous accompagner pour raison familiale ou travail et caravane ailleurs. Mes nouveaux compagnons construisaient l'ambiance et je laissais faire, et d'ailleurs que faire d'autre? C'était toujours bien, plus ou moins, et formidable avec les meilleurs de nos amis.
Mais, si j'avais su que mes voyages m'étaient comptés, j'aurais exigé avec détermination que mes bons amis soient de chaque départ. J'aurais refusé de laisser faire le hasard, je ne me serais pas résignée à des compagnons anonymes qu'il me faudrait apprivoiser. Je n'aurais pas supporté l'absence d'Abdulahi ou celle de Ramran ; je savais trop ce que peut être avec eux le plaisir du cheminement. Sachant que mon voyage pouvait être l'ultime, j'aurais désiré partir avec les meilleurs Au lieu d'exiger, je me contentais, attendant la prochaine occasion …
Je voyageais le long des pistes avec désinvolture, ayant dans ma tête et mes jambes un temps indéfini. Un voyage qui finissait augurait d'un autre. Je n'avais nulle inquiétude pour l'avenir et avais toute confiance dans la grandeur du désert comme dans la patience du chameau et l'obstination des caravanes. Je croyais que le désert entier m'étais promis, sans limite, sans frontière, temporalité, contrainte ou interdit. La porte ouverte à tout. j'avais tout mon temps pour son exploration. Je croyais que je pourrais, les prochaines fois, aller là, découvrir ce blanc sur la carte, vérifier ce dire, partir où je voulais, toutes voiles flottant à tous les vents de mes désirs. Illusion.
Si j'avais su qu'un jour, on mettrait fin à mon plaisir, j'aurais couru au lieu de musarder, flatté mon chameau pour lui presser le pas. Si j'avais su, j'aurais continué chaque jour plus loin, j'aurais allongé ma foulée, allongé mes journées, mis les bouchées doubles; si j'avais su je me serais hâtée pour arriver au bout, pour vivre plus. Au lieu de passer outre le détail en pensant « j'ai le temps » ou « la prochaine fois », j'aurais dû profiter mieux, mieux de tous les plis de mon désert, de ce qu'il cache au creux de ses rides, au fond de ses oueds et à la cime de ses
montagnes. Pourquoi n'ai-je pas mieux herborisé armoises et graminées, mieux distingué le silex du caillou, mieux reconnu la trace du chacal qui rôde la nuit près des bivouacs, mieux retenu le rire et le regard de mes compagnons de désert? Je ne suis pas collectionneuse, mais si j'avais su … Pourquoi n'ai-je pas tout thésaurisé?
j'aurais dû escalader tous les sommets au lieu de simplement passer à leur pied en disant « une autre fois» j'aurais dû traverser toutes les crêtes au lieu de sagement les mettre de côté, « pour plus tard ». j'aurais dû m'enfoncer dans chaque gorge au lieu de préserver leur mystère « pour un autre jour», remonter les oueds jusqu'à leur tête pour savoir où ils naissent … J'aurais vraiment dû. Au lieu de ça, je passais, insouciante, la fleur à la bouche et le nez au vent. le n'avais aucune impatience, et la certitude que cette haute mer qu'est le désert me mènerait partout et me ménageait un plein de surprises auxquelles j'avais droit. Et croyant avoir devant moi l'éternité, mon étonnement ne fut jamais sans limite. Au contraire, je traversais innocemment mon désert sans tenir le décompte de rien. Inutile, le décompte des oueds franchis, des acacias qui nous offrirent l'ombre, des sommets escaladés sans un regard en arrière, des trous d'eau où nous fîmes le plein. Sachant que je ne reviendrais pas, je serais restée un peu plus longtemps au sommet de la Garet, j'aurais regardé avec plus d'intérêt la tête d'une fleur inconnue, j'aurais épié le petit rongeur tellout à la sortie de son trou, j'aurais écouté sans impatience Borha me raconter l'interminable légende d'Arnmarnellen. je n'aurais pas perdu mon temps au bord de l'eau. L'eau est un plaisir que l'on peut prendre ailleurs que dans le désert; le désert a d'autres richesses.
Assurée que mes nuits ne m'étaient pas comptées, je me couchais tôt pour être d'attaque au lever du jour, comme les Touaregs. Je dormais à poings fermés sans penser aux lendemains. Ils m'étaient promis … Je situais mes bivouacs dans des creux de terre, sur des plis de sable, sous des auvents rocheux, le long d'une berge d'oued. Ce sont eux qui rythmaient mes étapes, qui découpaient mon voyage; ils m'aidaient à tenir à jour mon périple. Mais jamais, jamais, je n'ai passé une seule nuit blanche à regarder le ciel tourner autour de la Polaire Oui, bien sûr, je regardais le ciel avant de m'endormir (magnifique le ciel 1). Mais attendon Orion ou Vénus comme on espère la comète de Halley? Je savais mes étoiles non pas immobiles, mais en constance surveillance au-dessus de moi. Je savais les retrouver le lendemain, dans huit nuits, dans quinze
comme trente, un peu en retard, un peu en avance, mais fidèles, rarement effacées par les nuages. Effacées jusqu'à l'absence, elles l'étaient les nuits de pleine lune qui me faisaient pester contre cette lumière blanche qui enlevait toute intimité nocturne.
Si j'avais su que le ciel me serait lui aussi interdit, j'aurais meublé mes nuits d'insomnies volontaires j'aurais appris pat cœur le nom des étoiles, des constellations et des planètes. J'aurais calculé l'heure qu'il était avec la queue de la Grande Ourse et dans combien de jours le croissant de la lune deviendrait plein. Tiens! j'aurais dû profiter de la pleine lune pour aller me balader comme en plein jour. j'aurais dû partir à la conquête de Troie …
Ayant compris que mes bivouacs ne seraient pas éternels, j'aurais veillé sans doute plus longtemps au bord du feu. j'aurais demandé à Entayent de remettre encore un peu de bois, j'aurais plus longtemps offert les paumes de mes mains aux flammes, j'aurais rêvé longuement en regardant s'éteindre l'incandescence rouge des braises, j'aurais écouté mes compagnons parler de la piste du lendemain, du pâturage et du prochain point d'eau. Mais au lieu de cette veille lumineuse, mon assurance d'éternité me plongeait dans l'inconscience du sommeil et raccourcissait ainsi mes heures de lucidité. Et que dire de mes réveils? Eux aussi prenaient leur temps, sans aucune curiosité envers le ciel du matin. Sans doute auraient-ils été plus impatients, plus empressés à découvrir la nuance du petit jour, plus aptes à saisir la fugacité du moment. Des réveils éveillés, voilà.
Je quadrillais avec Jean-Louis le désert algérien, et nous fûmes souvent les tout premiers, de l'Ahnet à lAmadror. de l'erg Mehedjibat aux Tassili n'Ahaggar, de Tamanrasset à Djanet. Nous sommes allés aux confins de la Libye et avons réussi le pari de l'Égédé de Mourzouk, nous avons exploré dune après dune l'immensité des Ergs Oriental et Occidental, nous avons relié l'Adrar à la Tadrart. et sommes entrés dans le Guelb er Richat avec une pensée pour Monod, nous avons traversé le Sahara d'une traite, trois mille kilomètres, d'El Abiod Sidi Cheikh à Agades … Naturel. Je trouvais naturel cet itinéraire en pointillés tracé au pas des caravanes. Que n'ai-je pas fait plus! Que n'ai-je pas tout abandonné, fermé la porte du bureau et de l'agence, pris mon baluchon! Ce n'est pas quelques mois par an que j'aurais dû passer dans le désert, mais une vie entière. M'ennuyer? Me lasser du désert? Non, impossible, notre bataille de Troie n'était pas gagnée. Au lieu des blancs qui sont encore sur nos cartes, il y aurait maintenant l'entier plein du reconnu. Plus aucune terra incognita dans le désert ..
Le long des pistes, nous tissions l'amitié avec nos compagnons, Touaregs, Chaanba, Maures, Arabes, Berbères, Reguibats.. Notre premier vrai coup de foudre fut Abdulahi. Les autres vinrent plus timidement, mais forcirent peu à peu en même temps que s'allongeaient nos pistes. Avec les Touaregs, on apprit à parler de part et d'autre le langage des autres. Quelques-uns suivirent nos plus folles aventures, disant « oui » tout de suite avant même de savoir où nous voulions aller. Abdulahi, Mussa, Uksem, Bey, Entayent. Akulan, Ramran, Belkech, Borah, Atankawes, El Burari. Ils se relayaient et marquaient chacune de nos caravanes de leur empreinte personnelle. Moi, je serais allée avec eux au bout du monde. Confiance totale. Ils furent des compagnons idéaux, faisant de notre désert un monde vivant, où tout était montré, expliqué, appris, partagé. Connivence et amitié. Bien sûr, j'avais mes préférés, Abdulahi pour apprendre et rire, Ramran pour rire et apprendre. le les pensais semblables au désert, éternels et immuables; et bien sûr, lorsque les premiers partirent, nous fûmes tristes. Rassi. Abdelkader. Uksem. El Mudden Khabti. Mais pourquoi à ce moment-là n'avons-nous pas eu le réflexe? Bon, allez 1 On part tous ensemble! Une fois, pour nous rendre aux salines de l'Arnadror en plein été, nous convoquâmes Mussa, Abdelkader, Abdulahi et Entayent pour le plaisir d'être noyés en milieu touareg … Nous aurions dû le faire avec tous Une grande caravane, un voyage au long cours pour conjurer les départs impromptus, les absences subites.
Trop occupée à bouger, trop éprise d'espace, trop désireuse de courir à droite et à gauche, je n'acceptais pas toujours l'invitation des femmes à vivre avec elles, sédentaires en des campements exubérants de vie. Certes, je passais deux-trois jours par ci par là, chez Chadika, Hessa, Adda; j'allais garder les chèvres une semaine, pas trop plus, avec les femmes célibataires de Tagmart Je viendrais plus longtemps, leur promis-je maintes fois. Quand je serai plus vieille, pensais-je Moi qui défends avec ferveur la femme qui est derrière le guide de haute montagne, dans l'ombre, efficace, attentive, solide mais oubliée, je remettais à plus tard le moment de mieux connaître celle de mes compagnons. Adema, Chicha, Chadika, Raïcha et Raïchabou, Tebilbilt, Teori.

Adema, Adda, Rambechicha, Hessa, Tabubert.
Je pensais vraiment que l'instant arrivant où je ne pourrais plus courir la montagne, je prendrais le temps de longues pauses. C'était un projet agréable, un rêve paisible de retraitée heureuse Aller avec Adema garder les chèvres un jour sur deux; avec Raïchabu jusqu'au point d'eau avec les ânes, un autre jour sur deux. Paire la VIP chez Adda qui me montrerait comment filer le poil de chèvre. Passer à l'improviste chez Tebilbilt pour simplement entendre son grand rire. Tourner la meule à grain chez Teori, apprendre à baratter chez Chadika et à cuire la galette sous le sable chez Badlulik. M'asseoir sous la tente comme une grandmère et regarder les tout petits vivre nus et pieds-nus … Trop tard. Bila, Tabubert, Rambechicha, Adda et Chicha sont déjà parties. Impossible On ne va plus dans le désert ..
Que n'ai-je tenu mes promesses! M'en veulent-elles d'avoir préféré la vie dehors, dar ténéré disent les Touaregs lorsqu'ils sont loin des campements? M'accusent-elles d'avoir failli à mes promesses?
Au lieu de m'attarder, à la fin de chaque voyage ou en quittant les campements, je leur disais simplement « merci », « au revoir » et « à bientôt », ce qui était vrai puisque nous étions certains de revenir. Je disais « au revoir» comme on pose le pied sur un quai pour une courte escale alors que j'aurais dû m'éterniser dans mes adieux, dire que je n'oublierais jamais ce beau voyage, dire que je penserais à eux le restant de ma vie.

Et maintenant?
Le grand vide … Nous, Jean-Louis et moi, incapables de mouvement, impuissants, brisés dans nos élans. Moi, colère énorme. Une boule de chagrin gonfle à chaque soleil qui se couche derrière mes montagnes. Jean-Louis? Je n'ose questionner; je sens, je sais; j'imagine. Ulysse vainqueur fut heureux de rentrer à Ithaque; Jean-Louis est assigné à perpète hors du désert.
Pour eux, Touaregs, Chaanba, Maures, Arabes, Berbères, Réguibats, un vide affreux, un trou noir de silence, un puits de lumière obstrué. Finie cette belle ouverture qu'ils avaient vers l'extérieur, coupé net le lien qui les encordait au reste du monde Retour en arrière, plus d'échange, plus de partage, interdiction Volte-face vers l'abandon absolu.
Nous sommes désormais tous vacants. Nous, dans la nostalgie des souvenirs et l'amertume des projets engloutis. Eux, dans l'incompréhension envers un monde immérité et injuste, Inch Allah.
Il ne nous reste que les yeux pour pleurer, disons-nous.
Il ne manque de vous que les yeux, disent les Touaregs lorsque leurs amis sont loin.


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