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Je suis un Algérien biométrique
Publié dans El Watan le 25 - 11 - 2015

Un moment, j'ai cru naïvement que le président remerciait les zmigris de France de leur fidélité au pays en leur octroyant un lopin de la mère patrie, y compris dans les zones pétrolifères. Mais non, les compatriotes se pressent par milliers pour obtenir le passeport biométrique, désormais incontournable et cela avant janvier 2016. Le peuple émigré est pris de panique et moi de même ; je suis aussi concerné que ces masses compactes qui butent sur les grilles consulaires depuis des mois. Côté paperasse, j'avais l'essentiel, le fameux S12, précieux et indispensable, obtenu grâce à l'entregent d'un marchand de légumes…
Le ventre noué comme au jour du bac, je monte au front par une nuit d'avril. Dans l'obscurité, je discerne des chibanis, des femmes enceintes, des enfants à moitié endormis.. Pourquoi les autorités malmènent ainsi leur peuple à ciel ouvert ? Il fut une époque où les Algériens étaient grands au regard du monde. Pourquoi une telle déchéance ? Après deux heures d'attente dans le froid matinal, la grille laisse passer dans le tumulte les trois cents stoïques : certains d'entre eux ont dormi sur place.
J'ai hérité du numéro 73 qui me permet de passer à… midi pile. Première étape, demander le transfert de mon dossier de Vitry à Nanterre. Une secrétaire penchée sus son portable me demande de remplir un formulaire et se replonge dans ses mails. A la fin des formalités, je la vois écrire mon nom avec une faute caractérisée. Je le lui fais remarquer. Elle me fusille du regard en serrant le dossier contre sa poitrine.
– Ah mais ça c'est à nous, vous n'avez pas à regarder. Je fais profil bas pour ne pas compromettre la suite. La République algérienne est bien la seule à vous donner tort quand vous avez raison… J'ose une question stupide, qu'aucun Algérien sensé ne poserait.
– Comment vais-je savoir que mon dossier est arrivé ?
– Vous n'avez qu'à téléphoner…
Sa réponse me met hors de moi. Je redeviens le Bouzid révolté qui n'aime pas qu'un bureaucrate se fiche de lui.
– Vous êtes sûre madame qu'il y a quelqu'un qui répond au téléphone. Bien sûr que non et elle le sait. Débusquée dans sa mauvaise foi, elle baisse les yeux et ça tombe bien pour elle : un message s'est affiché sur son écran.
La négligence nationale
Comment vais-je savoir que mon dossier est arrivé ? Le guichetier d'accueil au rez-de-chaussée est plus probant. Il me montre son ordinateur.
– Il y a tout dans son ventre. Repassez dans un mois à une heure tranquille et je vous renseignerai. Enfin un fonctionnaire irréprochable ! Un mois après, il me donne la bonne nouvelle : mon dossier est bien là. Pourquoi un mois pour transférer un dossier entre le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine. Un coursier aurait mis 50 minutes ? Mystère de l'Algérianitude. M'attend alors la deuxième étape, établir une nouvelle carte consulaire, la fameuse carte blanche sans laquelle aucun fonctionnaire n'acceptera de vous parler.
Tôt le lendemain, je reprends le chemin du consulat pour revivre le même cauchemar. Les mêmes regards transis et hagards et cette résignation fataliste qui m'indigne. Seul point positif, début juin, il fait moins froid à 6h. Prévoyant cette fois, j'ai apporté une canne rustique, taillée dans du bois d'olivier, ainsi qu'un siège pliable. Les jeunes qui m'entourent me font de l'espace tout en jacassant leurs blagues, leurs insinuations sur les vices du pouvoir. L'un d'eux vibrionne autour de la file, s'en va, revient, insaisissable.
Il me donne le tournis, et je le surnomme Bouzenzel… la guêpe. Grâce à ce groupe truculent, le temps s'écoule plus vite. Les grilles s'ouvrent enfin, provoquant un frémissement animal, une ruée contenue de la foule. Déception : au guichet j'hérite du numéro de passage 70, moi, qui espérais un 40/50. Je me suis donc mal battu ou alors, d'autres se sont mieux débrouillés.
Notre groupe se reconstitue dans la salle bien connue du deuxième étage. Le martèlement du tableau électronique égrène ses avis creux, puisque les guichets n'ouvrent que dans une heure. C'est alors que Bouzenzel se rassied à côté de moi et me glisse un papier dans la main. Je baisse les yeux sur un ticket numéroté 26. Dans un murmure complice, il m'explique :
– J'ai réussi à avoir des numéros intéressants. Ne me demande pas comment. Je ne te le vends pas, je te le donne, car tu m'as fait pitié. Te faire attendre à ton âge, c'est vraiment de la hogra.
La faute du logiciel
Son ticket me fait gagner deux heures. A dix heures, je tends mes papiers à une préposée plutôt jeune et rondouillarde. Elle paraît délurée. Bon signe. En cinq minutes à peine, elle me sort une carte blanche toute neuve, avec ma belle photo, pas numérique.
– Vérifiez, me dit-elle, en se curant les ongles avec un stylo.
Je parcours à peine le document. Mon identité est correcte et malgré mon détachement, une coquille me saute aux yeux.
– Madame, Neuilly ça prend deux l. Sinon, ça fait pas ye ça fait Neuily…
J'adopte un ton des plus humbles pour ne pas l'indisposer. Elle me toise d'un air souverain, indignée, et me montre son ordi posé sur le comptoir.
– Mais monsieur, ce n'est pas moi, c'est le logiciel. J'y peux rien.
J'observe son appareil en cherchant comment m'adresser à lui. Le logiciel ! Imparable. Me voilà renvoyé à mon tour dans le silo de la résignation. Mais qui a organisé cette pagaille nationale ? Qui a conçu cette hachma à portée internationale ? Je redescends les marches somme toute content de ce premier trophée.
Ce qui compte, c'est le passeport, la carte consulaire n'est là que pour satisfaire l'orgueil de l'administration. Il me reste à revenir un autre matin pour le dépôt du dossier passeport. L'ultime étape. Et puis subitement, une idée germe dans mon cerveau embrumé. Je redescends au guichet d'accueil. Le jeune homme des tickets est toujours là. Le parterre est jonché de détritus, confirmant la pérennité de la négligence bien de chez nous. Je demande au préposé s'il délivre encore des tickets d'attente pour le passeport.
– Ecoute mon frère, il doit y avoir 100 numéros avant toi. T'en as pour la journée. Reviens demain matin. Mais si tu y tiens absolument, je te donne un numéro. Banco, il me tend un biffeton qui affiche le 183. C'est abyssal mais la loi des grands nombres ne m'effraie plus. Je fonce dans l'escalier pour consulter l'écran qui égrène les numéros d'appel. Il est figé sur le 50. Il y a donc 130 personnes avant moi. Il me faudra patienter quatre ou cinq heures.
Tant pis, je suis d'humeur combative aujourd'hui ! Faire contre mauvaise fortune, bon appétit, c'est ma devise. Je trouve sur le boulevard Clémenceau la gargote qui me convient. Je m'abîme dans des mots fléchés géants puis dans la lecture de la presse. Je prends un menu complet pour laisser à l'horloge le temps de dérouler sa mécanique. Je retourne lentement sur les lieux. Le tableau magique affiche le numéro 123. Plus que 60 numéros.
La salle est pleine, les visages sont las, l'atmosphère sent le moisi à force de macérer dans la sueur rance des frustrations populaires. Je trouve une place à côté d'un quadragénaire débonnaire qui me sourit. Je lui rends la politesse, élégance mutuelle de ceux qui sont embarqués dans le même naufrage. Il vit à Belfort dans l'est de la France. Il s'est déplacé à Orléans où réside sa tante diabétique. Comme elle n'a personne, il l'accompagne en voiture à Nanterre dont dépend sa circonscription. Mon voisin est ingénieur en informatique, il a sacrifié une semaine de RTT pour aider sa tante.
Cette solidarité existe encore. Merci le consulat de me l'avoir fait retrouver ! Dans cette dernière étape il y a des sous-étapes. D'abord remettre son dossier puis attendre de payer, car même pour donner des sous, ils vous font poireauter. Puis attendre le final avec le photographe qui décide de la bobine que vous aurez sur le passeport pendant dix ans. Il est sympa le trentenaire, frais, futé. Il me demande de patienter un mois et demi, car le passeport se fait à Alger ! A quoi sert le consulat ?
Il est 18h quand je quitte l'institution. Cela fait douze heures que je suis arrivé. Comment peut-on infliger une telle ignominie à ses concitoyens ? Je rentre à Neuilly épuisé, vidé. Me revient la question sidérée de l'actrice Ariane Ascaride, rencontrée au Salon du livre de Casa.
– Mais qu'est-ce que tu fous à Neuilly-sur-Seine ?
– C'est le destin qui m'a jeté là. J'en profite pour éduquer politiquement les mamies qu'on a formatées pour l'urne électorale… Fin août,
j'apprends que mon biométrique est prêt. C'est le copain Rachid qui m'a briefé en consultant internet avec mon code. Lui n'a mis qu'une heure pour récupérer son passeport. Rue d'Argentine à Paris. Il m'en a fallu un peu plus. Dans la salle des retraits, l'ambiance est plus détendue. Normal, c'est la fin du calvaire. Je m'assieds à côté d'un Bougiote qui a la bougeotte. La dame qui me remet mon passeport me demande de vérifier si tout va bien. Je lui raconte le coup du logiciel et la faute sur Neuily. Elle n'en revient pas
– Mais Neuilly c'est en face, comment elle ne le sait pas ?
Je préfère me taire et examine ce document qui m'a valu dix-huit heures de chaîne. Il n'y a ni adresse ni état civil. Un document tout petit, une photo de bagnard ! Tout ça pour ça… Je quitte les lieux un peu las, déçu mais soulagé. En dévalant les marches, je suis saisi d'un immense éclat de rire. Me revient à la mémoire cette blague racontée par le tonitruant Bouzenzel. Un vieil Algérien s'adresse à un jeune compatriote.
– Tu vois mon fils, tel que tu me vois, j'en ai fait des guerres dans ma vie. J'ai connu 39-45, contre l'Allemagne, j'ai fait l'Indochine avec la France, la guerre de Libération contre la France et bien d'autres choses encore…
Le jeune homme écoute respectueusement le vieil homme et s'exprime à son tour.
– Cheikh, excusez-moi, mais j'ai vécu bien pire que vous !
– Ah bon, s'esclaffe le chibani. Mais qu'as-tu pu faire si jeune ?
– Moi, dit le jeune homme, j'ai fait le consulat.


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