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Un beur dans la cour des césars
Abdellatif kéchiche, l'art de l'esquive
Publié dans El Watan le 10 - 03 - 2005

Ce jeudi est projeté à la salle Ibn Zeydoun, le très beau film de Abdellatif Kéchiche, L'Esquive. Et disons-le d'emblée : il faut se précipiter pour aller le voir.
S'il a été encensé comme une véritable révélation, et pour cela récompensé par quatre césars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur espoir féminin), L'Esquive marque en réalité la confirmation du talent d'un réalisateur, né en 1960 à Tunis, que l'on connaissait acteur (il a notamment tourné dans Bezness de Nouri Bouzid, Un Vampire au paradis de Abdelkrim Bahloul, Les innocents de Téchiné) et qui, pour son premier long métrage, La Faute à Voltaire, avait obtenu en 2000 le Lion d'or de la première œuvre à la Mostra de Venise. Par la force de son entêtement, de sa patience, de sa passion, Kéchiche a réussi la gageure de venir à bout de ce nouveau projet envers et contre tout. A partir d'un sujet peu vendeur, avec un petit budget, une petite équipe technique, des comédiens amateurs, L'Esquive a été réalisée sans financement particulier ni subvention !
Marivaudages
L'action se déroule dans une cité quelconque d'une banlieue française quelconque - ou telle que l'on croit se l'imaginer - et met en scène les atermoiements amoureux d'une bande d'adolescents. Il y a Lydia (interprétée par Sara Forestier, magnétique et explosive), sorte de tourbillon permanent, qui répète en compagnie de Rachid et Frida la fameuse pièce de Marivaux Le Jeu de l'amour et du hasard et qu'ils doivent interpréter pour la fête de fin d'année de leur collège. En contrepoint, il y a Krimo (Osman Elkharraz, magnifique de tension et de tourment intériorisés) qui vient de rompre pour la énième fois avec sa petite amie Magalie. Il est maintenant amoureux de Lydia et n'ose pas lui dire sa flamme. Celle-ci le néglige, ne voit rien derrière son regard captif, soucieuse seulement de la préparation de la pièce, obnubilée par les répétitions, préoccupée par son jeu et par la robe de scène qu'a confectionnée pour elle un tailleur chinois. Il y a enfin Marivaux sorte de contrepoint littéraire à la vie de ces « jeunes de banlieue ». Tout le monde connaît la fortune de Marivaux. Il fait partie de ces rares écrivains dont la postérité est assurée sans même qu'on ait à les lire et qui nous ont légués un adjectif qui résume leur univers et qui contribue à nourrir l'imaginaire universel. On a ainsi « proustien » pour désigner les souvenirs qui affluent en nous soudainement à la suite d'un choc émotionnel, « don quichottesque » pour dire les combats perdus d'avance, ou encore « kafakaïen » pour décrire un univers de cauchemar, etc. Marivaux, lui, a donné « marivaudage », pour signifier les jeux légers de l'amour, la badinerie, cette joyeuse ronde des sentiments qui se cherchent, se ratent, se rejoignent, s'annulent, ronde infinie par essence. L'intelligence de Kéchiche a été précisément de placer au cœur de son film le marivaudage. Pour lui, il s'agit de déminer une situation caricaturale - le film de banlieue, avec tous les archétypes et les clichés que l'on imagine - et de poser un postulat simple : ces adolescents ne font que traduire la blessure de leurs sentiments, avec une énergie, un vocabulaire, des jeux langagiers qui leur sont propres mais qui sont similaires dans leur nature à l'énergie et aux jeux langagiers de Marivaux. Ainsi, Krimo, pour déclarer son amour, imagine-t-il un stratagème malin. Il soudoie Rachid pour pouvoir reprendre son rôle dans la pièce de Marivaux et devenir le partenaire de jeu de Lydia. Il croit s'attirer par-là ses faveurs ou tout du moins se faire remarquer. Or Lydia n'en a cure, du moins en apparence, plus que jamais habitée par la pièce. Et lorsqu'il se décide enfin à lui avouer son secret, elle fait mine d'être uniquement inquiète pour sa robe et le botte en touche ! En effet, pour Krimo, l'amour n'est plus tout à fait un jeu, mais plutôt un poids qu'il lui faut porter et il erre, telle une âme en peine, taciturne et bougon. pour Lydia, en, revanche, la pièce est une occasion pour changer de peau, habiter un autre personnage, bref, comme le dit leur professeur, c'est une occasion pour essayer « de sortir de soi, pour aller vers un autre langage ! » Elle se laisse guider par le plaisir et la joie de son personnage, refusant, alors que tous lui intiment de se décider, de prendre parti, décidant de ne dire ni oui ni non. On l'oublie souvent : l'art, la création est un jeu, c'est une joie perpétuelle, c'est une fête des sens, des émotions. Et tel devrait être l'amour, semble nous dire Kéchiche, ou en tout cas, on peut regarder ces jeunes dit de banlieue, issus de l'émigration, on peut aussi les regarder s'agiter, souffrir, parler, aimer avec ces yeux-là. Leur monde est aussi un monde de tourments habituels, ordinaires. Sa mise en scène est au diapason de ce principe. Fluide, en mouvement, elle se tient au plus près de ses personnages, faisant corps avec eux, épousant leurs paroles, cadrant justement leur corps, les éclairant d'une belle lumière. On sent bien qu'il est proche d'eux, qu'il leur a parlé longtemps avant d'avoir leur confiance. On sent bien qu'il a arpenté cette cité, qu'il la connaît bien et qu'il n'en retient que l'essentiel, ce qui doit servir son sujet : un square, un bout de mur, un banc,... loin, encore une fois, des stéréotypes du genre.
Le plaisir de la parole
S'il l'on parle beaucoup dans le film de Kéchiche - dans la grande tradition d'un cinéma français de la parole, de la conversation (Truffaut, Rohmer,...), au risque d'énerver le spectateur - c'est aussi pour magnifier les mots de ces jeunes, pour montrer que leur langage, loin d'être pauvre ou confus, est une fête permanente des sons, qu'il porte en lui des ressorts insoupçonnés, qu'il traduit l'énergie et les désirs cachés de ces adolescents. Si l'on est dérouté au début du film par leurs mots, leurs tics de langages, si l'on ne comprend pas tout ce qu'ils disent, ce n'est pas grave car, très vite, l'énergie et la cohérence de leur univers nous emportent, et on se laisse guider sans peine et avec plaisir dans ce dédale de sonorités. Dans le film de Kéchiche, tout est virevolte, mouvement, énergie. Tout est vie. Et l'esquive qui donne le titre du film est celle de Lydia, qui plutôt que de se décider à une chose, dribble et contourne les obstacles, « esquive » pour mieux s'abandonner au jeu. Comme le dit un personnage, elle « ne se soucie pas de ce qui est possible ». Sauf que, bien entendu, si le théâtre peut être la vraie vie, la vie n'est pas vraiment un théâtre ou alors ce n'est plus de marivaudage qu'il s'agit, mais d'une farce tragique qui peut s'achever tristement. Comme l'écrivait Ibn Hazm au XIe siècle, dans son fameux traité amoureux Le Collier de la colombe, au tout début de son ouvrage : « L'amour - puisse Dieu te rendre puissant ! - commence par le badinage et finit par des choses sérieuses. » Reste à la fin du film, le visage et les corps de petits enfants qui jouent une autre pièce (en préambule à la pièce de Marivaux) et qui, à l'unisson et joliment, déclament : « Ces vallées n'étaient qu'un songe, nous sommes toujours à la même place. Nous avons fait un long voyage pour parvenir à nous-mêmes. » L'Esquive de Kéchiche est aussi un long voyage, qui nous enjoint de changer de langage, de sortir de nous-mêmes, un voyage joyeux et vivifiant - qui sait être dur et nous ramener à la triste réalité - pour parvenir à nous-mêmes.


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