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Extraits. Roman de Salah Benlabed : Notes d'une musique ancienne
Publié dans El Watan le 10 - 04 - 2010

U n soir, peut-être de pleine lune – je devais avoir treize ans – au bord d'une crique d'une côte méditerranéenne, j'ai vu surgir sur le plan immobile de la mer éclairée par la lune naissante une masse noire, comme née de l'eau dans un clapotis sinistre. Je n'ai pas appelé, ne me suis pas inquiété : j'ai simplement regardé en silence cette forme fantomatique jusqu'à ce que, dans le même bruit tragique, elle replonge de nouveau. Depuis, cette question me torture : qu'est-ce que c'était ? Nous sommes ainsi les uns pour les autres : un mystère à peine digne d'une attention éphémère, une curiosité malsaine à travers un regard sur soi, égoïstement retenu, puis nous replongeons dans les profondeurs de notre oubli mutuel et tournons la tête vers d'autres criques pour y rechercher d'autres mystères. Le temps bouillonne et s'efface mais ces apparitions nous font mesurer son avance, meublent sa trajectoire en nous accompagnant vers notre propre oubli. Car le temps qui passe alourdit la mémoire puis l'amène à se perdre et, s'il s'écoule dans le lit de l'exil, nous prive de parents, d'amis, de liens et de lieux. Pour lutter contre l'oubli, cette solitude de l'absence, et préserver de l'inutilité quelques-uns de nos jours anciens, il nous faut plonger dans son cours et le remonter jusqu'à faire ressurgir à sa surface assagie quelques êtres humains qui, sauvés de la noyade inéluctable, continueront à nous accompagner. Notre temps passé aura ainsi servi...
Q uatre ans après la mort du figuier, quatre années d'hésitations confuses, je suis enfin entré chez le Chinois silencieux ; j'ai acheté le calepin vert bronze de sa vitrine. Cette fois je suis décidé ! Je m'étais promis dès notre arrivée d'écrire ce best-seller : l'histoire, peu ordinaire mais si fréquente, d'un déplacé qui redécouvrirait l'Amérique ! Dans ma jeunesse, nous ne pensions pas exilé, expatriéou banni et je n'imaginais pas l'être un jour pour avoir à le raconter. En ce temps-là pourtant nous jalousions les globe- trotters ; nous attendions les pigeons voyageurs porteurs des nouvelles de ces Sindbad qui avaient préféré l'aventure à la douillette quotidienneté, mais rien ne nous poussait à renoncer à la nôtre ! Peut-être ai-je trop retardé cet achat : aujourd'hui ma conscience est bien trop chargée, assiégée de peines et de regrets, alourdie de trop de découvertes... Mon trip a été une défaite, et l'exilé de mon histoire aimerait bien rentrer chez lui après le film. Mais ce qui lui reste là-bas est perdu pour toujours ! Je crains donc que cet ouvrage ne soit une longue pleurnicherie ou la litanie des présages qui auraient dû me prévenir. C'est la perte de cet arbre fétiche qui m'a convaincu de l'existence de messages dont nous ne connaissons ni le messager ni l'expéditeur, mais dont nous devrions pourtant tenter de saisir le sens. Le premier avertissement, un mois environ après notre exil, ma fille et moi, avait de quoi laisser songeur ; il concernait justement la mort de ce figuier, cadeau de ma mère lorsque nous avons occupé notre maison de jeunes mariés. Dans sa lettre, l'ami qui s'en occupait précisait, un peu gêné, que tout de suite après notre départ, son tronc avait commencé à pencher lentement avant de s'affaisser au lendemain d'une nuit de tempête. « Le plus étrange est que ses racines étaient desséchées, pourtant je l'arrosais régulièrement, comme tous les autres arbres qui, eux, se portent bien. » J'avais compté les jours : quarante s'étaient évanouis depuis notre départ ! Quarante jours, chiffre sacré, magique : le nouveau-né cesse de pleurer, l'isolement est levé, le calme revient après le déluge et nous finissons de pleurer les morts, les noyés, les exilés, les...
L es derniers jours de notre précédente vie, ma mère avait commencé à vieillir et mon père à se taire, mais j'étais aveugle à ces bouleversements : je ne pensais qu'à sauver ma fille, lui éviter d'enjamber d'autres ruisseaux de sang, de se faire narguer sur la route par des têtes qu'elle ne connaissait même pas. Les derniers jours de notre ancienne identité avaient été venteux et sombres comme des nuits d'hiver. « Le mois de mars est celui des fous », insinuait ma mère tandis que mon père opinait... Les derniers jours furent un cauchemar dont je ne me suis pas réveillé ! Un matin vers sept heures, une semaine environ avant que nous quittions la maison et le pays, le téléphone avait sonné... C'est Salim qui m'appelait de sa ville saharienne... Salim et moi avons fait nos études ensemble, du secondaire à l'université ; beaucoup de pistes aussi dans le désert... Et dans la vie. Mais il a fait son chemin personnel sur des sentiers battus et rebattus par la conformité, pas à pas, au jour le jour, sur le fil des ans, dans des ornières creusées par l'habitude, balisées par la nécessité de la sécurité ; il a fait sa vie comme on suit une route mille fois empruntée, avec pourtant la crainte de s'y perdre. En fait, il avait peur de la vie ! Salim pleurait ! À l'autre bout du fil, mon plus vieil ami pleurait ! C'est une torture plus douloureuse d'écouter pleurer un ami que de voir ses larmes. Il m'informait comme dans un message d'adieu qu'il venait de recevoir son troisième coup de fil : « Tu meurs aujourd'hui ! »lui avait annoncé la voix anonyme et lâche. Et lui, le con, me demandait ce qu'il devait faire ; et cela m'énervait... J'imaginais ses assassins le guettant dans le parking de la misérable cité où il avait accepté de vivre au service de l'Etat. J'ai songé un instant à aller le chercher, mais quatre cents kilomètres, six heures de route criminelle et retour demain : trop tard, ou jamais ! Pas question bien sûr de voyager de nuit : la nuit est un barrage dans le domaine des fous du Diable ! Alors j'ai trouvé cette lâche échappatoire : « Salim, écoute-moi ! Quatre-vingt-dix pour cent des gens qui ont été prévenus de leur condamnation sont encore en vie, quatre-vingt-dix pour cent de ceux qui sont morts n'ont pas été avertis. Ça te laisse cinquante chances sur cent. Mais tu as un handicap : tu es un con ! Un con précis avec des horaires réguliers et des habitudes de fonctionnaire. Ecoute-moi bien : passe par le balcon de la voisine, descends par l'autre cage d'escalier et va voir tes patrons. Parle-leur de tout ça, demande une mutation quelque part, une ville où tu n'es pas connu. Mieux encore, demande à rejoindre la capitale ! Tu es depuis si longtemps à ce poste ! Va maintenant et rappelle-moi ! » Je suis resté à pleurer, mais de rage, d'inquiétude et de honte, à trembler aussi, devant un téléphone, et cela est devenu une habitude ! Deux heures plus tard, il m'a rappelé : « Je les ai vus ; le préfet m'a tapé sur l'épaule en me disant de ne pas m'inquiéter ; il pense qu'ils cherchent seulement à m'intimider. »Alors moi, j'ai hurlé : « T'a-t-il expliqué pourquoi il y a quatre gardes pour son corps de pourri ! Viens ! Tu te fous du reste ! » Il a rejoint la capitale mais a perdu son emploi : pour l'administration, c'était une trahison ; un abandon de poste avancé dans l'autre Monde !
C e matin, lorsqu'elle est revenue – toute en beauté – pour m'assurer d'avoir enfin compris ma détresse, mes désillusions, elle m'a expliqué que je n'avais pas su surmonter mes défaites ; elle m'a accusé de ne lui avoir pas permis de me rendre heureux ; elle m'a reproché au passage l'existence insipide que je lui avais imposée. Puis dans un élan de grande sagesse, elle a proposé : « Nous allons repartir d'un bon pied, nous allons nous imposer des objectifs merveilleux à la mesure de tes capacités extraordinaires et blablabla... » Au fond de mon ventre vide – je n'avais pas fait les courses –, j'ai senti se tordre la boule du serpent qui hante mes cauchemars. En dedans de ma poitrine, une porte a claqué provoquant un ouragan qui s'est échappé dans ces cris « Non ! Rien ! Jamais ! »Puis le silence est revenu. Je me suis servi un verre et le disque est tombé sur le plateau... Mon tube de dentifrice ne sera plus jamais écrasé par le haut ! Après son départ, je lui ai écrit un poème que je n'enverrai pas : « Nous revoici nous-mêmes quand nous voulions être d'autres, à parler du beau temps où il y a de la pluie, à nous dire au revoir lorsque nous nous croisons, à nous donner la main sur ce grand Titanic pour nous noyer ensemble, chacun dans son chagrin... Si la pitié suffit pour que nous nous aimions, si l'habitude fait notre chemin, commun, si nos discours trichent dans notre long silence, que tu dois repartir sans dire à demain, emporte donc avec toi tous nos souvenirs. » Pourquoi devient-on si critique à mon âge à l'égard de ces femmes qu'on a si longtemps courtisées ? Leur attribuons-nous nos libidos en détresse, ces rêves en course effrénée qui auraient éparpillé nos jeunesses ? Ou est-ce à cause de leurs bilans éternellement négatifs de ce que nous croyons être nos prouesses, de leurs regards sceptiques à l'égard de nos illusions ?
Ancien professeur d'architecture à Alger, Salah Benlabed s'est exilé à Montréal en 1994. « Notes d'une musique ancienne » est le premier roman de ce nouvelliste. Un livre remarquable qui dénote une écriture élégante et dynamique. Sans doute le livre de la nouvelle diaspora algérienne. L'auteur sera à Alger le 23 avril pour y rencontrer ses lecteurs. « Notes d'une musique ancienne ». Ed. APIC, Alger, 2010, 240 p. 500 DA


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