C'est la première du genre, une foire spécialement consacrée au monde rural. La présentation et la vente des produits agricoles et artisanaux, non traités avec des produits de synthèse chimique. Pas «bio», comme on le dit improprement (lire l'article ci-contre), mais sains et naturels. Le «bio», en effet, doit répondre à des exigences formulées dans un cahier des charges, ce qui, à quelques exceptions près, n'est pas le cas chez nous, à défaut de textes et d'organismes de contrôle. 'espace du Grand Bassin de Tlemcen n'a pas désempli durant les deux jours de la manifestation économique, puisque les paysans ont vendu leur marchandise à de nombreux acheteurs curieux et enthousiastes, mais également culturelle et écologique, car elle couronne une action de conservation de la biodiversité au centre d'une démarche de développement rural. L'engouement a été tel que les organisateurs ont dû prolonger le délai de deux heures le lendemain de la clôture. Un franc succès auprès du public alerté plus par le bouche-à-oreille que par la communication officielle qui, par ailleurs, a été défaillante. Les organisateurs nous ont avoué être déçus, même si le wali a assisté à l'ouverture de la foire, par les services de la communication de la wilaya qui ont reçu le dossier de presse suffisamment à l'avance. Une affluence pour découvrir les produits d'une soixantaine de paysans venus de la commune d'Aït Bouadou, dans le Parc national du Djurdjura (Tizi Ouzou et Bouira), des communes de Oued Bared et Babor dans le tout dernier-né des parcs nationaux, celui de Babor-Tababor (Sétif, Béjaïa et Jijel) et ceux de la commune de Aïn Ghoraba, à la périphérie du Parc national de Tlemcen. Avec beaucoup de couleurs vives et chatoyantes, un achalandage soigné, de la dégustation, les paysans ont montré des dispositions certaines à être de très bons vendeurs. «Ils se sont débrouillés tout seuls pour la présentation de leurs produits, nous leur avons simplement indiqué leurs stands respectifs et fourni les tables et les chaises», expliquent les organisateurs de l'AREA-ED, qui précisent «qu'il y a eu, bien entendu, une rigoureuse sélection des communes et des participants». «Vous n'utilisez aucun produit chimique ?», avons-nous demandé à certains d'entre eux. Aucun, pas même l'eau chlorée du réseau public, c'est le cahier des restrictions du projet ACPP (voir article ci-joint). Un boucher d'Aït Bouadou explique, à qui veut l'entendre, que ses produits, viande, beurre, fromage et œufs sont dénués de produits chimiques. «Depuis plusieurs générations, nos animaux sont nourris avec des fourrages que nous cultivons sans engrais ni pesticides et paissent dans des prés qui n'ont jamais connu de produits chimiques». «Ce sont des produits frais issus de l'agroécologie», nous expliquent les agronomes associés au projet, qui disposent de stands pour vulgariser cette pratique agricole passée au rang de science et qui connaît sous d'autres cieux une médiatisation très forte. Elle désigne un modèle agricole alternatif pour des systèmes alimentaires viables, respectueux des hommes et de leur environnement. Pourquoi les parcs nationaux et pas ailleurs ?, s'est-on interrogés. «Par définition, les PN sont les lieux et les instruments par lesquels la biodiversité est conservée in situ. Pour cette raison, le projet les a ciblés en premier, mais les méthodes de l'agroécologie sont applicables là où les conditions sont réunies». La foire et le forum qui l'ont suivie le lendemain ont montré que pour les petits paysans, les semences locales sont à préserver jalousement pour entretenir la diversité cultivée qui garantit son indépendance des multinationales semencières et dispose ainsi d'un réservoir dans lequel elle peut puiser en cas de nécessité. La commercialisation en circuit-court, directement du producteur au consommateur est un autre facteur qui améliore les revenus des produits de l'agroécologie. – Sauver la biodiversité cultivée Pour Bob Brac de la Perrière, coordinateur de Bédé, (association internationale de droit français qui travaille avec les paysans au Maghreb), conseiller en gestion des ressources génétiques des plantes, présent à cette foire, la biodiversité cultivée est l'enfant pauvre de la biodiversité générale qui, comme chacun le sait, subit une érosion sans précédent dans l'histoire de l'humanité en provoquant une nouvelle extinction des espèces, la sixième de l'histoire géologique de la Terre. Autrefois, les paysans adaptaient leurs variétés à leur terroir, grâce à la sélection et l'échange des semences et des savoir-faire. Avec l'émergence des entreprises semencières et des lois qui les protègent, puis leur concentration en cartels, la biodiversité cultivée recule. En Algérie, la biodiversité cultivée, un inestimable patrimoine naturel et culturel accumulé depuis des millénaires, menacée par l'utilisation intensive de variétés introduites, est ignorée. Aussi absurde que cela puisse paraitre, elle n'est pas prise en charge par le secteur de l'Agriculture, au motif que les questions liées à la biodiversité relèvent du secteur de l'Environnement et vice versa à propos du terme «cultivée». Il faut agir vite, selon Bob Brac de la Perrière. Commencer par éliminer cette double difficulté et ensuite mettre en œuvre une politique de sélection des variétés plus performantes. Les variétés avec de haut rendements introduites sont faibles en biodiversité. Or c'est cette dernière qui préserve le potentiel génétique fabriqué dans le terroir et qui offre les opportunités d'une adaptation aux changements et à la demande comme celles, par exemple, de l'agriculture bio. S. S.