Non, la chambre n'est pas un lieu de passage comme tous les lieux que nous traversons dans la vie. Et certainement pas dans ce livre. La chambre, on peut l'adorer ou l'abhorrer. La chambre nous aspire entre paradis promis et enfer insurmontable. Elle porte toujours l'empreinte de la solitude ou du partage, ou de la multitude, de l'errance ou de la captivité, de la violence ou de la libération, du bonheur, du malheur, de l'imagination, des retrouvailles avec soi. Comme on le découvre dans ces nouvelles, la chambre met à jour son rôle infini, énigmatique, toujours solitaire, c'est le lieu où se taisent tous les mystères, où se construisent les rêves et résonnent les cauchemars, c'est le lieu aussi où s'élaborent et se décident toutes les ruptures : avec la famille, avec la société, avec l'homme ou la femme de sa vie, avec soi-même. En peignant la multiplicité des chambres et des personnages qui les occupent, Leïla nous révèle les paroles et les présences vivantes des chambres. Une diversité de chambres et de destins. Talent d'écrivaine ou de conteuse, je ne sais, mais Leïla nous entraîne dans les chambres de la munificence des favorites, celles de la culpabilité et de la douleur : le meurtre du père, celles de l'amour : du chef de tribu et de la fille du colon, celles de la révolte : d'Isabelle-Mahmoud, celles du courage, de la liberté, de la jeunesse et des écrivaines, celles de la jalousie : Zahia le modèle sans âme, celles de la folie : bordel des poupées, de la prostitution à Belleville… S'y déroulent des vies ardentes, passionnées, désordonnées, douloureuses souvent. Elles nous éclairent constamment sur les histoires permanentes des femmes dans la permanence de l'Histoire de la différence que se construisent les humains pour assujettir et dominer. Des histoires où s'inscrivent des territoires – d'Alger à Tlemcen, de Tipasa à Constantine, mais aussi de Marseille à Lille ou de Strasbourg à Toulon, des villes d'où l'on peut imaginer de partir à l'aventure, de fuir l'oppression, d'oublier ce que l'on a été, ce que l'on nous a fait, de se cacher parmi la foule, s'effacer, fuir le clan – des histoires où pointe la guerre et ses peurs, où le conservatisme des sociétés est omniprésent, des histoires où Leïla a campé des vies comme on plante des arbres dans un parc, avec leurs différentes essences, leurs couleurs saisonnières, leurs profondes racines qui fouillent le passé et le présent. Un vaste panorama dans le style bref, fluide, saisissant, propre à Leïla. Un style qui fait ruisseler les mots sous nos yeux de lecteurs impatients de savoir mais qui ne savent plus s'ils sont dans l'imaginaire de Leïla ou la vérité des gens. Un peu-beaucoup des deux, certainement. Dans la belle préface qu'elle consacre à ce livre, Michèle Perrot nous dit : «La chambre est le creuset de nos vies, cristal de nos mémoires, elle condense des fragments d'existence.» On ne peut mieux dire. Car Leïla nous ouvre les portes de chambres où les femmes (et les hommes moins souvent) laissent les traces de leurs larmes et de leur sang, de leurs colères, de leurs plaisirs. Secrets inavouables ou inavoués de ces chambres (…) C'est dans ces lieux divers que se noue la relation, si quotidiennement poignante, que les femmes entretiennent – bon gré, mal gré – avec le genre masculin, avec leur société, avec même les conditions de leur environnement géographique et surtout avec elles-mêmes. Alors la chambre est un antre, où se coagulent le poids des voix, la résonance des rires et la coulée des larmes, «des fragments d'existence»… Un livre à lire sans faute, mais méfiez-vous, lorsque vous l'aurez ouvert, vous ne le poserez qu'après la lecture de la dernière ligne. Passionnant.
Par Behja Traversac Editrice , Dans la chambre, recueil de nouvelles (éditions Bleu autour) 2019