Dans une interview exclusive accordée récemment à El Watan, Salim Dada, secrétaire d'Etat chargé de la production culturelle a affiché sa fierté d'avoir pris part à la confection du chapitre dédié à la culture dans le Plan d'action du gouvernement. Un plan qui, rappellera-t-il, «reposera sur une démarche visant à soutenir et à accompagner la création artistique et l'entreprenariat culturel, à travers la mise à disposition au profit des artistes et des créateurs, d'espaces dédiés dans les friches industrielles et dans les espaces libres». L'enthousiasme du jeune secrétaire d'Etat vaut certainement sa sincérité, d'autant qu'il s'agit d'un musicien qui a son idée du secteur. Il y a lieu de s'interroger cependant si le membre du gouvernement maîtrise son sujet et tient compte de la dimension politique de son ambition qui ne peut être matérialisée sans bousculer l'ordre sur lequel repose le pouvoir autoritaire qui ne cède rien sur l'espace public, surtout pas aux artistes. Cette idée fera l'objet d'un autre article, mais ici, il est question de démontrer la fragilité du département de la culture, incapable de gérer correctement l'infrastructure dont il dispose et la complexité de la tâche s'agissant d'en créer d'autres sur un modèle importé. En effet, Salim Dada ainsi que la ministre de la Culture et l'ensemble du gouvernement ne doivent pas ignorer que les établissements culturels inventoriés sont fermés à l'activité artistique et aux artistes. Ils ne doivent pas ignorer que ce qui existe n'est souvent pas conforme et se trouve parfois dans des situations absurdes. C'est le cas du Zénith de Constantine à 160 millions d'euros. Ce dernier, ouvert officiellement en avril 2015, demeure à ce jour non réceptionné (avis au gouvernement). Le palais de culture de la même ville, restauré excessivement cher pour accueillir la triste et amère manifestation «Constantine capitale de la culture arabe 2015» est toujours sans certificat de naissance et ne sert à ce jour qu'à accueillir des braderies de livres et autres manifestations commerciales sans relation avec la culture. Nous pourrions aussi sérier longuement des cas pour démontrer que la bureaucratie préfère maintenir vides des centaines d'espaces que de les offrir aux artistes pour installer leurs activités. Cette bureaucratie est toujours en poste et continue à agir comme elle sait le faire. Le combat du département de la culture pourrait d'abord engager la révolution dans ces structures pour libérer les mentalités et, par conséquent, les espaces et l'action culturelle. Friches dites-vous ! La récupération de friches industrielles et son versement dans le portefeuille foncier de la culture est une pratique répandue en Occident depuis plusieurs décennies. Des sites abandonnés ont été radicalement transformés en poches urbaines bénéfiques à tous points de vue : la collectivité locale valorise ses biens, les artistes trouvent des conditions idéales pour donner libre cours à leur art et les populations à proximité sont fédérées autour de nouveaux liens sociaux. Le modèle est un succès. Ce modèle, cela dit, ne peut fonctionner que dans des pays où la culture est affranchie des brides politiques et où le cadre législatif et les traditions institutionnelles admettent la culture comme priorité et non pas comme un élément aléatoire, à peine utile pour la propagande et le contrôle des masses. Or, ni dans le programme du président de la République, traduit dans le programme d'action du gouvernement ni dans la mouture de la Constitution n'est inscrite une rupture avec la vision ancienne de la culture. La doctrine culturelle du pouvoir en place est déterminante, en outre, de la volonté politique nécessaire pour mener le projet à terme. Sans cette volonté, il est d'expérience impossible d'avancer et concrétiser la démarche, celle-ci étant suspendue au bon vouloir de plusieurs départements indépendants du ministère de la Culture. La preuve, une expérience similaire a été tentée par Khalida Toumi qui a échoué à transformer le quartier des Halles face aux résistances de ses collègues du gouvernement. A Batna, des centaines de mètres carrés libres, situés sous les gradins du gigantesque théâtre de verdure de la ville, devaient être attribués aux artistes en 2011. On devine facilement que la promesse n'a jamais été tenue. Ces friches étant propriétés des collectivités locales, du département de l'industrie ou de l'armée, ne sont pas acquises en effet par simple désir des autorités culturelles. Ces dernières étant en plus considérées comme la dernière roue de la charrue gouvernementale, le maillon faible, celui dont on réduit le budget à 90% au premier éternuement du trésor public. Last but not Least, le concept de friche industrielle est un bazar technique qui repose essentiellement sur la conceptualisation, l'institutionnalisation et la maîtrise totale du maillon ERP (établissement recevant du public), notion à multiples facettes qui exige un savoir et un savoir-faire cristallisés en une conscience collective des différents intervenants, et des élus locaux forts de leur légitimité, ayant une vision moderne de leur ville. Ce ne sont pas les «élus» illégitimes, incompétents et conservateurs de la sinistre «coalition présidentielle» de Bouteflika, toujours en poste, qui vont porter à bout de bras ce projet. Loin de nous l'intention de décourager le secrétaire d'Etat, mais même quand on croit à son bon vouloir, rien ne pousse à se faire des illusions sur les capacités du ministère de la Culture dans sa version actuelle, pour mener la révolution.