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Refonte du système et de la politique nationale de santé en Algérie : Quelques questions à l'ordre du jour
Publié dans El Watan le 04 - 07 - 2020


Introduction
La crise du système de santé algérien n'a pas été provoquée par la Covid-19, elle est bien ancienne et structurelle. De nombreux citoyens, politiciens, observateurs et professionnels de la santé ont dénoncé l'état de déliquescence avancé de notre système de soins et l'absence de toute vision et de toute politique nationale de santé depuis au moins 20 ans. La pandémie actuelle a révélé en grand les failles du système de santé en place et notamment les menaces sur la sécurité nationale tant sur le plan sanitaire qu'économique dans un contexte de fragilité politique et de vulnérabilité financière.
Le dossier de la réforme du système et de la politique de santé est remis officiellement à l'ordre du jour. Il est ainsi question de «refonte totale du système national sanitaire», de «contractualisation», de reconsidération de «la gratuité des soins», de «suppression du service civil», de «primes et de revalorisation des salaires» mais aussi de création d'une «agence nationale de sécurité sanitaire». On voit bien que des décisions sont prises pour répondre à des considérations conjoncturelles, alors que les contours et la vision de la nouvelle politique nationale de santé ne sont pas encore annoncés, discutés et définis. Il faut souhaiter que les choix faits à court terme n'obèrent pas la réflexion et le développement d'une politique nationale de santé cohérente, efficiente et équitable. Voici quelques questions qu'il faudra bien se poser et traiter avec rigueur.
Politique de santé et projet de société
C'est une tâche ardue que celle de définir une vision pour la santé et de la traduire ensuite sous forme de stratégie et de politique nationale de santé. Cela pour trois principales raisons : i) la place effective accordée à la santé reflète le projet de société que l'on veut construire, ce dernier est encore loin de faire l'unanimité même si la soif de justice sociale, de liberté et de solidarité a été clairement exprimée par le mouvement populaire et est dominante au sein de la société algérienne ii) la santé ne se confond pas avec les soins et ne concerne pas seulement les professionnels et le ministère de la santé.
Toutes les politiques publiques (éducation, habitat, transport, agriculture, nutrition, environnement,.) y contribuent, de nombreux déterminants sociaux (revenu, statut social, genre,..) participent à la promotion ou la dégradation de la santé collective et individuelle iii) établir une stratégie et une politique de santé passe par la définition et la mise en œuvre de priorités nationales de santé, des choix clairs sur les objectifs et les moyens et des arbitrages subtils et explicites surtout lorsque les besoins sont énormes et que les ressources du pays sont sous forte contrainte.
Ces priorités et ces choix ne peuvent jamais contenter tout le monde et iront, dans certains cas, à l'encontre des intérêts de certains intérêts et groupes au sein et en dehors du système de santé.
Pour tenir compte de ces facteurs et surmonter les obstacles cités, seul un processus ouvert, participatif, consensuel, fondé sur des données et preuves scientifiques et des débats contradictoires peut permettre l'émergence d'une vision et d'une stratégie nationale de santé qui survivra aux conjonctures et qui recueillera l'adhésion de la grande majorité des citoyens et des acteurs concernés. C'est une des dimensions de la démocratie sanitaire.
Dans cette note, nous souhaiterions suggérer quelques thèmes et sujets prioritaires à débattre en préparation à la formulation d'une nouvelle politique nationale de santé. Celle-ci ne se réduit pas à une augmentation des budgets, des salaires des personnels ou du nombre de CHU ni même à un changement du mode de gestion des hôpitaux ou de financement des soins. Elle concerne des questions sanitaires et intersectorielles, complexes mais fondamentales, trop souvent ignorées ou gérées avec des demi-mesures et dans l'opacité.
Développement, modes de vie et santé
La société et l'économie algériennes se sont transformées profondément et connaissent des bouleversements considérables à tous les niveaux. De nombreuses transitions sont en cours sur le plan économique, sociologique, démographique, épidémiologique environnemental et politique.
De nouveaux modes de vie et de consommation ont émergé, certains sont nocifs et pathogènes à terme De nouveaux besoins apparaissent et se traduisent par des demandes de soins induits tant par ces transformations que par les influences et intérêts divers qui dominent la société algérienne dans sa grande diversité.
Les maladies chroniques et non transmissibles (diabète, asthme, hypertension, cancers, accidents vasculaires, accidents cardiaques, handicaps divers) représentent une part croissante dans la charge de morbidité du pays. Il en est de même pour les accidents de la route, domestiques et du travail ainsi que des nombreux effets et conséquences de l'urbanisation, de la violence et de certains choix en matière de nutrition, de modes de vie ou de transport.
Face à ces défis, deux approches s'imposent. Soit une approche purement biomédicale et technique qui privilégie le recours aux soins spécialisés, aux médicaments, plateaux techniques et équipements de diagnostic et de traitement sophistiqués, coûteux et souvent importés.
Soit une approche intégrée, pluridimensionnelle, donnant toute sa place à la réponse médicale et technique mais privilégiant les déterminants sociaux, la prévention, l'amélioration des conditions de vie et de travail, la lutte contre la pollution et les facteurs de risque pour la promotion d'un environnement sain et d'un mode de vie et de consommation équilibré et responsable. Dans ce dernier cas, il faudra, par exemple, prendre des mesures strictes contre le tabagisme, les boissons trop sucrées, les aliments trop gras, les produits cosmétiques dangereux, l'habitat insalubre, les véhicules, activités et entreprises polluantes. Les études des coûts, des bénéfices et des impacts potentiels de ces deux approches, non exclusives par ailleurs, seraient fort utiles avant de poursuivre sans discernement des investissements massifs dans les infrastructures et technologies de soins, coûteuses et à impact réel incertain à terme.
L'investissement dans la santé : un moteur du développement et de la sécurité nationale
Longtemps les dépenses de santé ont été considérées comme une consommation dans un secteur jugé, par nature, improductif. Cette conception est fausse et est partout remise en cause. Au-delà de la contribution bien connue du secteur de la santé à l'emploi, à la génération de revenus et à la production industrielle de biens de santé et de technologies médicales, l'investissement dans le secteur de la santé peut être un puissant facteur du développement humain lorsqu'il est bien orienté et géré. Les effets de la Covid-19 montre que le secteur de la santé est au centre de la sécurité nationale, de la protection de tous et de l'économie nationale.
En effet, l'investissement dans le domaine de la prévention des risques et des catastrophes, dans les programmes de santé publique, dans la recherche médicale, dans la formation de qualité des personnels de santé, dans l'information éclairée des patients et des familles et dans la gestion rationnelle des établissements de santé à un effet multiplicateur positif sur la santé, sur la durée et la qualité de vie, sur la réduction des causes de la morbidité et mortalité, sur les fonctions cognitives des enfants et des adultes, sur l'éducation et sur la productivité du travail et sur la capacité de création et d'innovation. Il appartient aux autorités du pays et aux élites en sciences de la santé et de la vie d'orienter cet investissement, de trouver l'équilibre pertinent entre prévention et soins curatifs et de mettre en place les politiques, les budgets et les outils d'aide à la décision au service de la sécurité nationale, de la santé et de l'homme.
La dépense nationale de santé : on ne la connaît pas avec précision
La première et dernière estimation officielle de la dépense nationale de santé faite en Algérie date de 2003. Elle a montré les tendances et révélé les déséquilibres. Elle a été d'une grande utilité pour estimer les montants et les sources du financement de la santé en Algérie. Ses recommandations sont malheureusement restées lettre morte jusqu'à présent.
Depuis 2003, les changements ont été nombreux au sein du système de santé tant du côté de l'offre, que de la demande et du financement. Le secteur privé s'est étendu, les structures hospitalières et spécialisées sont plus nombreuses, les coûts des équipements, médicaments, consommables et traitements se sont considérablement accrus pour de multiple raisons. Les seules dépenses relativement connues sont celles gérées par le Ministère de la Santé (MSPRH) notamment les crédits ouverts.
On sait peu de choses sur les dépenses des mutuelles, des entreprises et surtout sur celles des ménages qui restent une « boite noire » malgré les estimations de l'Office National des Statistiques (ONS). Cette question de la dépense de santé nécessite l'élaboration régulière des comptes nationaux de la santé qui sont à institutionnaliser. Cependant, rien ne sert de produire des comptes nationaux de la santé sans une utilisation effective des données pour éclairer les débats des acteurs concernés, aider à la prise de décision, à la définition des priorités, à l'évaluation des politiques de santé et à l'allocation et projection des ressources.
Quelle part de la richesse nationale doit être consacrée à la santé ? qui doit payer quoi et avec quels résultats en termes de santé restent des questions sans réponse explicite actuellement ?
Les citoyens paient une part importante de la facture des soins
L'ampleur du paiement direct des soins et biens médicaux par les ménages est un bon indicateur de l'accessibilité et de l'équité d'un système de soins. Il révèle le degré de solidarité et de protection financière face au risque maladie et aux dépenses catastrophiques de soins, celles qui appauvrissent les malades et leurs familles. On a observé en Algérie une croissance continue des dépenses totales de santé mais aussi des dépenses de soins financées directement par les ménages qui représentent au moins 25% de la dépense nationale de santé.
De nombreux facteurs expliquent cette tendance : la gratuité des soins dans le secteur public n'est plus aussi large qu'elle l'a été dans le passé, des paiements sont demandés pour certains actes et produits.
Les pénuries réelles ou fictives dans les services publics obligent les usagers à recourir au secteur privé pour nombre d'examens radiologiques et biologiques et pour l'achat de produits pharmaceutiques et autres. Enfin, les paiements informels ne sont plus une exception et viennent alourdir les frais à la charge des malades et usagers.
Par ailleurs, l'extension rapide du secteur privé augmente inexorablement les coûts de soins pour les ménages d'autant plus que la sécurité sociale ne rembourse, pour les assurés, qu'une partie de frais réels des prestations et des biens consommés. La conjoncture de chômage, de sous-emploi et de fléchissement du pouvoir d'achat des couches vulnérables induit bien évidemment un report du recours aux soins mais aussi une augmentation de la part du paiement direct par les ménages. Ces nouvelles réalités du système de santé sont vécues par tous mais très peu étudiées et documentées. Elles devraient figurer parmi les priorités de recherche et d'action si on s'intéresse à l'accès aux soins et à l'équité du système. Quel est l'ampleur du paiement direct ? Quels services et biens et quels segments de population sont concernés ? Quelles sont les formes et modalités du paiement direct dans les secteurs public et privé? Quelles sont les conséquences sur l'accès aux soins et sur les états de santé des populations ? Dans quelles conditions et pour quels produits et services le paiement par les usagers est justifié ? Comment réduire et réguler le paiement direct par les usagers ?
De quoi est composée la consommation de soins en Algérie ?
L'essentiel du discours sur le système de santé porte sur l'offre et la croissance du nombre d'hôpitaux, centres de santé et médecins dans les secteurs public et privé. La consommation effective reste inconnue, peu documentée et analysée. Elle seule peut nous révéler les nouveaux modes de consommation de soins et le niveau d'utilisation des ressources en place. Qui consomme quoi et pourquoi ? Quelle est la part de l'hospitalisation par rapport aux produits pharmaceutiques, à la médecine de ville ou même à la médecine traditionnelle sous toutes ses formes? Quelles sont les filières et parcours de soins et la répartition par catégorie de population ? Quelle est la part de la prévention dans la consommation médicale ? Quels sont les facteurs influents (âge, sexe, revenu, éducation, lieu d'habitation, catégorie sociale, morbidité, proximité de structures de soins, prix, assuré social ou pas, information) et comment ces déterminants évoluent-ils ?
Quels liens existent entre la consommation observée, le profil épidémiologique dominant et l'offre de soins par exemple ? Quelle est l'ampleur des disparités géographiques et sociales dans la consommation de soins ? Comment interpréter les données et corriger les inégalités dans la répartition de la consommation de soins et des biens médicaux? Quelle est la part du gaspillage ou de consommation irrationnelle ? Que pensent les usagers et les citoyens des services et programmes de santé ? Cette liste de questions est évidemment loin d'être exhaustive.
C'est gratuit certes, mais combien cela coûte ?
On ne sait pratiquement rien des coûts des services publics de santé. C'est le flou total en ce domaine. Cette information ne peut être obtenue avec les outils administratifs et de gestion en place chez les prestataires publics et même chez les prestataires privés de soins. Connaître les coûts des prestations, des services et de ce qui est «offert gratuitement» dans le secteur public est indispensable pour mesurer le rapport coût efficacité ou coût bénéfice, pour rationaliser les choix et les décisions, maîtriser les dépenses et envisager une contractualisation des rapports entre prestataires et payeurs des soins. Il ne s'agit pas forcement de faire payer le patient les soins prodigués mais de savoir au moins ce que coûte la prestation délivrée. De nombreuses tentatives ont été amorcées en Algérie mais jamais un effort systématique et rigoureux n'a été engagé à large échelle avec la technicité et la continuité qui s'imposent. C'est là un immense chantier, plus actuel que jamais.
Avons-nous des établissements et des services de santé performants ?
Aujourd'hui, nous disposons au mieux de données et de descriptions de l'offre brute de soins : nombre de médecins, d'infirmiers, d'hôpitaux, de centres de santé, d'ambulances, de médicaments enregistrés, de centres d'hémodialyse et de la répartition selon le secteur privé ou public. Dans certains cas, des données sur le taux d'utilisation moyen ou sur les déficits sont disponibles. Certains services sont performants cependant aucune information fiable et pertinente n'est publiée concernant la qualité, l'efficience, la productivité des services et moyens existants. On sait par exemple que les taux d'utilisation de certains établissements hospitaliers sont relativement bas et très inégaux. Le système privilégie la logique de la croissance extensive de l'offre (toujours plus de CHU, d'hôpitaux, de cliniques, de médicaments et de médecins, etc.) sans toujours s'interroger sur le degré de pertinence, d'utilisation, de productivité et de qualité des ressources disponibles et des prestations offertes.
Il est de la responsabilité des acheteurs et des payeurs institutionnels des soins (départements ministériels et organismes de sécurité sociale) de mettre en place les outils d'évaluation de la bonne utilisation des services et des équipements, de la qualité des soins et de satisfaction des usagers. Les gestionnaires des établissements de santé prendront au sérieux les quelques tentatives de mise en place de tableaux de bord et d'indicateurs de résultats lorsqu'ils verront que l'allocation des ressources et leur propre statut dépendront du niveau d'efficience des services et de la qualité des prestations produites.
Quelle formation et gestion des personnels de santé ?
Le nombre de professionnels de la santé a connu une croissance exponentielle depuis l'indépendance. La multiplication des facultés de médecine et instituts de formation paramédicale et l'extension de l'offre de soins tant publique que privée expliquent en partie ce phénomène. Il y a lieu cependant de s'interroger si les formations dispensées et les pratiques promues sont en accord avec les besoins de la population dans toutes les régions, avec les progrès des technologies et sciences de la santé, de la médecine du XXIe siècle et avec les capacités et ressources du pays. Quelles sont les effets de cette démographie médicale sur les coûts du système de santé et sur l'accès aux soins ? Combien coûte la formation inadaptée en prescriptions abusives, en actes inutiles, en infections nosocomiales, en déficit de sécurité du patient, en dépenses indirectes pour les patients, leurs familles et la société?
Quels effets à la mauvaise répartition et la concentration des spécialistes sur la santé de la population et les dépenses de santé? Quelles conséquences économiques et sanitaires à l'absence de formation continue ou même de celle orientée et financée par les producteurs, distributeurs et commerçants des produits médicaux et pharmaceutiques? Quelle répartition des professionnels de la santé entre le secteur public et le secteur privé ? Quelle nouvelle formation, régulation gestion des personnels pour promouvoir la qualité des soins et les performances ? La réflexion rigoureuse sur la question des ressources humaines dans le secteur de la santé est de toute première importante car elle détermine le succès ou l'échec de toute politique et système de santé.
Des mécanismes pervers de rémunération ?
Le secteur de la santé est d'abord au service des malades et des populations en général mais il est également un pourvoyeur d'emplois et de revenus pour les professionnels de la santé et leurs familles. Il est un des premiers employeurs dans le pays.
La conciliation entre le rôle social et humain du secteur de la santé avec sa fonction de pourvoyeur d'emplois et de revenus n'est pas évidente et pose problème dans le monde entier. Les modes de rémunération sont ici en cause et notamment le salariat dans le secteur public et le paiement à l'acte dans le secteur privé. Le salaire à base fixe n'incite pas à la performance et à la qualité, la rémunération à l'acte pousse à l'inflation et à la consommation d'actes pas toujours justifiés mais rentables pour le prestataire. De même, le système de marges relatives (un certain pourcentage du prix du produit) pour les grossistes et détaillants du médicament n'incite pas toujours à promouvoir les génériques ou les produits les moins chers à efficacité et qualité équivalente.
A l'évidence les modes de rémunérations actuellement dominants en Algérie peuvent contredire les objectifs de santé publique, d'usage rationnel des soins et des médicaments, et de maîtrise des dépenses de santé. Il y a place pour l'innovation et la concertation et la mise en place de mécanismes motivants et incitatifs de rémunération des professionnels de la santé et de meilleure gestion des ressources humaines. Les expériences sont nombreuses dans le monde en ce domaine mais la réflexion est peu engagée en Algérie, elle est indispensable pour ouvrir la voie à des innovations et des réformes utiles.
Etablir de nouvelles relations avec le secteur privé ?
Le secteur privé a connu une extension et une diversification remarquables ces vingt cinq dernières années tant en milieu urbain qu'en milieu rural. Il est devenu une composante majeure du système de santé et offre de nombreux services à la population mais ses pratiques restent suspectes aux yeux de nombreux acteurs. Le secteur privé est loin d'être homogène et monolithique dans ses composantes, acteurs et pratiques. Les conditions d'exercice, les activités et les revenus sont très différents de même que les rapports avec les patients et avec les organismes publics.
Les relations public-privé, officielles ou occultes, sont complexes, diverses, non évaluées et marquées par de nombreux conflits d'intérêts. C'est une boîte noire opaque, entretenue pour de multiples raisons par de nombreux acteurs. La complémentarité vertueuse entre secteur public et secteur privé, que chacun appelle de ses vœux, reste souvent un souhait pieux. La complémentarité est à promouvoir, elle exige une définition et une pleine reconnaissance du rôle de chacun et une transparence dans les relations et obligations des parties concernées. La législation et les instruments actuels de la régulation en ce domaine semblent obsolètes et défaillants. Identifier, décoder et évaluer les divers segments et pratiques du secteur médical et pharmaceutique privé est un immense champ d'analyse et de réforme dans le cadre d'une nouvelle politique de santé.
Des payeurs institutionnels relativement passifs
Quels rôles et fonctions les payeurs institutionnels, à travers les budgets du ministère de la santé et de la sécurité sociale, doivent-ils assumer dans le développement et la régulation du système de santé ?
La question est très complexe du fait de l'intrication actuelle des sources de financement et de l'opacité dans le processus de prise de décision. Y-a-t-il une différence dans leurs fonctions et leurs responsabilités ? Doivent-ils être à la fois des financeurs et des prestataires de soins ? Ont-ils avantage à financer seulement et à passer des contrats avec les prestataires publics et privés ? Comment ? Pour quelles prestations de soins et pour quelles populations ? Comment assurer la coordination et la cohérence de leurs financements et leurs interventions ?
Aujourd'hui les payeurs institutionnels (Etat, sécurité sociale) sont passifs dans l'évaluation de la pertinence, de la qualité et de la continuité des soins qui sont délivrés par les prestataires, tant publics que privés.
Les moyens de régulation sont très limités et peu opérationnels. La sécurité sociale participe de manière forfaitaire au budget public de santé sans avoir un vrai droit de regard sur l'utilisation des ressources allouées et des résultats obtenus. Elle prend en charge ou rembourse des frais médicaux ou des médicaments sans interrogation réelle sur leur pertinence, opportunité ou qualité du fait qu'elle n'utilisent pas encore d'outils et mécanismes performants de traitement de l'information et d'évaluation des prestations médicales et biens de santé. C'est un comportement économique bien singulier : un payeur qui ne sait pas ce qu'il paie réellement.
Le financement est acquitté de manière forfaitaire, sans lien avec les coûts réels pour les établissements et pour les usagers. Cette situation peut rapidement devenir intenable avec la croissance rapide des dépenses et l'apparition de déficits structurels des budgets de l'Etat et de la sécurité sociale. La contractualisation entre ministère de la santé et sécurité sociale et au sein des établissements est une des solutions. On en parle depuis 30 ans, elle a ses exigences et contraintes qui, semble-t-il, n'ont pas encore été comprises et prises en charge. Pourquoi ?
Etat et gouvernance du système de santé.
C'est là une des questions clés pour tout système de santé dans le monde et il n'y a pas de réponse unique satisfaisante. Le rôle de l'Etat au niveau central, régional et local est déterminé par les circonstances historiques et sociales et par les politiques en place dans chaque pays. Cependant, il y a une convergence pour affirmer que tout Etat doit garantir ce que l'OMS a appelé une couverture sanitaire universelle qui consiste « à veiller à ce que l'ensemble de la population ait accès aux services préventifs, curatifs, palliatifs, de réadaptation et de promotion de la santé dont elle a besoin et à ce que ces services soient de qualité suffisante pour être efficaces, sans que leur coût n'entraîne des difficultés financières pour les usagers ».
Cette définition est claire sur les trois dimensions essentielles : garantie de l'accès aux soins, paquet complet de services de qualité et enfin moindre coût pour les usagers à travers le financement collectif des soins. La difficulté réside dans le comment. Deux options s'opposent quant au rôle de l'Etat : planificateur et régulateur ou alors financeur et prestataire. Dans le premier cas : il évalue la situation et les besoins, identifie les priorités et élabore des plans et des règles mais aussi régule et évalue les acteurs et les performances. Dans la deuxième : il planifie, décide, finance, produit des soins et des biens de santé et gère les services publics de santé. Il y a là souvent confusion et cumul des fonctions.
Ces deux options ne sont pas exclusives mais peuvent être complémentaires selon les pays. Elles supposent toutefois des cadres législatifs, des compétences et des outils techniques spécifiques de même qu'elles déterminent des relations différentes avec les structures et les prestataires publics et privés de soins. A cela s'ajoute les questions de l'allocation et de la gestion des pouvoirs et des ressources pour la santé au niveau central, régional et communal. Dans le cas de l'Algérie, les choix sont loin d'être clairs, réfléchis, assumés et évalués. La question du rôle de l'Etat en tant que puissance publique tout comme celle de la société civile dans le secteur de la santé est fondamentale. La crise liée au virus SARS-CoV-2 nous le démontre, si besoin en est.
Production locale des produits de santé : protection ou innovation ?
Il est évident qu'il y a un relatif divorce entre le système de santé et le système productif local du fait qu'une partie significative de ce qui est consommé par les prestataires et les usagers des soins est importée (médicaments innovants, produits biologiques, appareils de diagnostic et de traitement, consommables, équipements hospitaliers spécialisés,.).
Plus les services de santé se développent et se modernisent, plus l'écart par rapport aux capacités locales de conception, d'innovation et de production s'agrandit. L'évolution de la charge de morbidité, l'importance des maladies chroniques et non transmissibles, la croissance du nombre de spécialistes et d'établissements hospitaliers et spécialisés accentuent cette tendance, ce divorce. C'est là une donnée structurelle du système de santé malgré par exemple l'objectif répété depuis 30 ans de réduire la facture des importations de médicaments et de satisfaire 80% de la demande nationale. Les efforts en ce domaine sont significatifs et les progrès certains ces dernières années.
Ils restent cependant éloignés des objectifs affichés et de ce que pourrait être une véritable stratégie industrielle, pharmaceutique et sanitaire autonome et innovante en ce domaine. Cette stratégie nécessite une vision à long terme et multidimensionnelle, un leadership politique, un climat de confiance, des législations adaptées et stables, des procédures transparentes, des partenariats solides, un management technique de qualité et une continuité dans l'action et l'innovation.
Quel rapport à un monde en pleine mutation ?
Notre système de santé est très ouvert sur le monde et sur l'Europe en particulier : importation de produits pharmaceutiques et de matériel médical, flux d'informations et de données, influences sur les pratiques des professionnels de la santé et des usagers des soins, alignement des programmes de formation et des protocoles de soins, reprise des normes et standards dans de nombreux domaines. Cela se traduit aussi par un transfert de malades pour soins à l'étranger mais aussi de fuite de professionnels de la santé vers l'étranger et des flux d'exportations et d'importations illégales ou informelles de biens pharmaceutiques et de services médicaux sous diverses formes.
Cette ouverture coûte d'autant plus cher qu'elle est souvent à sens unique.
Cela confirme le caractère largement extraverti de notre système de santé et la force des relations verticales avec l'Europe au détriment des rapports avec les acteurs locaux, maghrébins et africains. Y-a-il un autre rapport à l'environnement international à concevoir et à mettre en œuvre ? Quelles sont les conséquences économiques et sanitaires des rapports actuels et de ceux prévisibles d'ici 2025-30 ? Quels scénarios et parteneuriats envisager avec le Maghreb, les pays émergents, l'Afrique et l'Asie ? Quels sont les termes d'un nouveau partenariat avec les multinationales ? Quels sont les enseignements des expériences des pays émergents et de ceux à revenu intermédiaire dans la réforme et le développement des innovations dans leurs systèmes de santé ? Sur toutes ces questions et bien d'autres comme la coopération sanitaire, la réflexion scientifique est balbutiante en Algérie. Elle est pourtant fondamentale pour développer notre diplomatie sanitaire, un nouveau rapport à l'international et une nouvelle politique nationale de santé.
Conclusion
Cette liste de questions à traiter est loin d'être exhaustive. Elle concerne tous les experts et praticiens de la santé publique au sens large mais aussi les décideurs, les cadres et représentants des professionnels de la santé, les universitaires et les représentants de la société civile. La réponse à ces questions suppose une approche pluridisciplinaire et multidimensionnelle alliant diverses compétences et expériences. Elle exige la production et diffusion régulières d'une masse considérable d'information et de données rigoureuses pour alimenter un dialogue de qualité et éclairé et sortir des préjugements et étroitesses. Dans ce domaine, le déficit est abyssal. Ces conditions «techniques» ne suffisent pas, car sans une volonté réelle de transparence et d'implication de tous les acteurs sociaux concernés, les débats resteront limités et superficiels, d'autant plus que personne ne détient de solutions faciles et évidentes aux problèmes du pays.
Le retournement dramatique de la situation économique et de la conjoncture financière du pays, l'ampleur de la crise sanitaire amplifiée par la Covid-19 et l'insatisfaction généralisée par rapport au fonctionnement actuel du système de santé offrent une opportunité unique d'engager un débat national et sociétal sur la refondation de notre système et politique nationale de santé dans le cadre de l'édification d'une nouvelle Algérie.
Par Miloud Kaddar , économiste de la santé, Avril 2020


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