Par Brahim TAZAGHART * Ecrire sur l'histoire suppose des connaissances, une sensibilité, et un point d'appui dans le temps et dans l'espace. L'histoire est une science « humaine », pas une science naturelle pour ce détaché totalement de son objet d'étude. De ce fait, l'homme ne peut être entièrement étranger et insensible au passé, au présent et à l'avenir de son peuple. User de sa plume, sous couvert d'une histoire savante et normée, pour amoindrir son peuple et son pays n'est pas nouveau chez quelques uns de nos historiens et intellectuels, tant ils sont encore nombreux les adeptes de l'école coloniale qui a tout fait pour persuader les algériens en particulier, les maghrébins en général qu'ils n'ont aucunement participé à la civilisation humaine. A cet effet, la polémique nait après l'inauguration de la stèle de Chachnaq à Tizi Ouzou doit être mise à profit pour clarifier quelques approches et interrogations qui demeurent entières. Aussi, je profite d'un article tendancieux de M. Sidi Mohamed Negadi, professeur en histoire médiévale à l'université de Tlemcen qu'il a réservé à une conférence que j'avais animé en 2018 à la maison de culture de Tizi Ouzou pour contribuer à ce débat qui doit être élargi à d'autres sujets qui touchent à la réécriture du récit national. QUI EST CHACHNAQ ? C'est la question que pose le professeur Sidi Mohamed Negadi pour débuter son texte, avant d'entamer sa réponse par cette phrase : « Les informations que nous donnons sont tirées du « Livre des Rois » et sont rapportées par l'égyptologue Arthur Weigall ». Première observation : M. Sidi Mohamed Negdi reconnait d'emblée qu'il n'a pas pris connaissance de l'ancien testament qu'il cite en référence, mais qu'il se réfère à la lecture faite par une tierce personne en l'occurrence Arthur Weigall, égyptologue et journaliste anglais. S'il avait pris le temps de le faire avant d'aborder la rédaction de son article, il aurait su que l'ancien testament, dans sa partie « Livre des Rois » ne parle nullement des origines de Chachnaq, ni de sa prise de pouvoir et de la fondation de sa dynastie. L'ancien testament parle plutôt de la conquête de Jérusalem par ce roi, « avec lui un peuple innombrable des Libyens, des Sukkiens et des Ethiopiens »(1) , peuples composants son empire et son armée. Après une présentation très approximative des origines de Chachnaq, il conclue avec beaucoup de certitude : « Nous ne trouvons dans aucune autre documentation une quelconque allusion à son origine libyenne ». Il utilise « aucune autre documentation », sans citer aucun des livres qu'il aurait consultés et qui se rapportent à l'histoire ancienne de l'Afrique du Nord. De ce fait, il est clair qu'il a travaillé uniquement sur l'ouvrage d'Arthur Weigal, l'exploitant dans l'objectif de nier « toute histoire » aux peuples de notre région. Or, les documents qui soulignent l'origine libyenne de ce roi sont nombreux, et les musés de Louvre, de Londres et de Berlin possèdent diverses pièces qui l'attestent. Dans son « Encyclopédie de l'Egypte ancienne », composé de 10 tomes, Salim Hassan, considéré comme le père de l'archéologie égyptienne, a consacrée le tome 09 à « La fin de la 21 dynastie et le pouvoir de l'Etat libyque en Egypte jusqu'à l'émergence de l'époque éthiopienne.. »(2) Le titre de ce tome est lui-même une affirmation sans équivoque de l'origine Libyenne de Chachnaq. Dans « L'histoire ancienne de l'Egypte », Nicolas Germal ne dit pas moins, il cite le refus des prêtres de Taiba de reconnaitre Chachnaq comme roi car étranger ; ils ne le reconnaissaient que comme « Grand Chef des Machaouiches-amazighs » avant de se plier devant son pouvoir pour le saluer comme l'aimé de dieu Amon. A relever que les gouverneurs amazighs des régions ont continué à porter les noms et les plumes d'ornement qui les distingués jusqu'à l'avènement de 25 dynastie éthiopienne, d'après plusieurs sources. Je crois que le professeur Sidi Mohamed Negadi aurait dû prendre connaissance des travaux de ses collègues : le Pr Taklit Mbarek Selouati ou le Dr Oum El-khir Laggoune qui a soutenue sa thèse sur le pouvoir des amazighs dans l'Egypte pharaonique au Caire, devant un jurée de spécialistes du pays du Nil sans que personne ne remette en cause ses conclusions ; ou encore, le chercheur l'algéro-égyptien Nacer Mohamed Ismail, spécialiste de la période pharaonique. L'AMALGAME SHESHONK – CALENDRIER « ON VOUDRAIT BIEN COMPRENDRE PAR QUEL HASARD UN EVENEMENT CONCERNANT UNIQUEMENT LES EGYPTIENS POURRAIT-IL ETRE UN EVENEMENT FONDATEUR DU CALENDRIER CHEZ LES LIBYENS ? » S'est-il interrogé ! Le plus grand problème qui peut se poser à un chercheur est son incapacité à replacer les événements dans leur contexte, dans le cadre d'une vision globale qui se projette naturellement dans l'avenir. Certes, Chachnaq a gouverné au nom de l'Egypte, mais son empire a englobé une partie de la Libye, le Soudan, la Syrie, la Palestine et le Liban. Quand je dis Libye, je parle de tout le territoire allant de la partie occidentale du Nil jusqu'à l'Atlantique comme l'avait écrit Hérodote, et non de la Libye avec ses frontières actuelles. Chachnaq était l'homme de son époque, et celle-ci ne peut être regardée avec les lunettes de l'Etat-national d'aujourd'hui, ni pensée avec la vision sectaire qui commence à s'accaparer de quelques esprits. Chachnaq était amazigh, comme Alexandre le Grand était macédonien, comme Omar Ibn Al-Ass était arabe et Salah Eddine El-Ayoubi kurde. Ces hommes dépassent les frontières de leurs naissances et gouvernances pour devenir des mythes, des symboles auxquels se reconnaissent des peuples et des nations. C'est partant d'une vision qui replace notre pays dans une aire historique et civilisationnelle qui est la sienne, et qui l'engage à assumer toutes les dimensions de son identité que nous pourrons saisir l'importance de faire de Chachnaq le symbole d'une histoire à revisiter et à réécrire pour la dépouiller des odeurs colonialistes qui étouffent notre présent et hypothèquent notre avenir. Commencer la datation de l'année agricole amazighe par son arrivé au trône dans cet empire en déclin n'est que justice rendue à ce Roi exceptionnel que des forces malintentionnées ont tout fait pour l'effacer de la mémoire du monde. Il faut reconnaitre d'ailleurs, que sans le travail du mouvement amazigh, ce grand Roi allait rester dans l'ombre de l'oubli tant beaucoup de chercheurs ont voulu réduire son importance en l'occultant sciemment. « Etranger en Egypte », « Egyptien au Maghreb », sa position de symbole unificateur ne cadrait pas avec les logiques sectaires et les divisions qui régnaient sous la dicté d'un Occident qui refuse obstinément de lâcher sa proie africaine. C'est pour cette raison que Chachnaq, comme symbole, dérange ceux qui ont perdu, ou qui n'ont jamais eu de rêves de grandeurs, et bien évidement, ceux qui tirent profit de cette situation d'éclatement qui caractérise les pays de la rive sud de la méditerranée. Advertisements