« Abdelmadjid Tebboune n'a pas accordé d'entretien à des journaux français »    Déjouer toutes les machinations et conspirations contre l'Algérie    Campagne de sensibilisation autour des menaces sur les récoltes de la tomate industrielle    Un nouvel élan aux efforts de développement équitable et intégré    Les MAE de plusieurs pays arabes et musulmans condamnent    Ambiance maussade en Israël où la guerre des ombres devient l'apocalypse publique    Les dernières sueurs de la saison    La finale WAT – MCA décalée à mercredi    Ligue 1 Mobilis: le leader tient bon à Chlef, CRB nouveau dauphin    Au cœur des Hauts Plateaux de l'Atlas saharien, Aflou offre bien plus qu'un paysage rude et majestueux    Formation professionnelle: vers l'intégration de 40 nouvelles spécialités dans le domaine numérique dès la rentrée prochaine    Conseil de sécurité: une paix durable en Syrie passe par un processus politique sincère et inclusif mené par les Syriens    Chaib reçoit le SG du Haut-commissariat à l'amazighité    Les amendements contenus dans le projet de loi de l'exploitation des plages visent à améliorer la qualité des services    La présidente de l'ONSC reçoit la Secrétaire générale de l'Union nationale des femmes sahraouies    Para-athlétisme/GP de Tunis: 11 médailles pour l'Algérie, dont 4 en or et un record mondial signé Berrahal    Hydrocarbures: annonce des résultats préliminaires de l'appel à concurrence Algeria Bid Round 2024    AAPI : le groupe pharmaceutique jordanien Hikma discute de ses projets en Algérie    Le président de la République reçoit l'ambassadeur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord auprès de l'Algérie    Agrément à la nomination du nouvel ambassadeur d'Algérie au Koweït    Accidents de la route : 50 morts et 1836 blessés en une semaine    Ouverture à Alger de l'exposition collective "Héritiers de la lumière"    Relizane : le Moudjahid Abed Salmi inhumé à Mazouna    Palestine occupée : plus de 16000 étudiants tombés en martyrs depuis le 7 octobre 2023    Commerce extérieur : le ministère appelle les sociétés d'importation à fournir une liste de documents avant le 31 juillet    Ghaza: l'UNRWA met en garde contre l'arrêt complet des opérations humanitaires    L'USMA stoppe l'hémorragie, l'USMK enchaîne    La télévision d'Etat annonce une nouvelle salve de missiles contre l'entité sioniste    Quels impacts le classement du GAFI (Groupe d'action financière) sur la liste grise et noire dans la lutte contre la corruption ?    La première journée des épreuves marquée par une bonne organisation dans les wilayas de l'Est du pays    Une date célébrée à travers plusieurs wilayas de l'est du pays    Foot/CAN féminine 2024 (décalée à 2025) : début du stage des Algériennes à Oran    Ghaghaa, la fontaine oubliée... ou l'art d'assoiffer la mémoire    C'est parti !    Les lauréats de l'édition 2025 couronnés    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Emir Kusturica, un cinéaste bien de chez lui
Il était une fois un pays
Publié dans El Watan le 26 - 05 - 2005

l'actualité cinématographique du Festival de Cannes donne la vedette à Emir Kusturica dont la personnalité secrète et exubérante ne laisse pas indifférent. Etonnant et talentueux personnage dont j'ignore la nationalité depuis qu'il ne peut plus être yougoslave, ce dont je me moquais bien jusqu'au moment où la scène finale de son célèbre Underground, m'a imposé la vision d'un morceau de terre qui se détache et finit par disparaître, après l'ultime réplique de l'un des protagonistes : Il était une fois un pays.
Sensation non pas de déjà vu et entendu, mais de déjà senti. Assurément, à cet instant précis, ce qui était profondément ressenti devenait avec exactitude une image. Image de déchirement et de dérive, comme un morceau de cœur arraché qui était un bout de la Yougoslavie de Kusturica. Je me suis dit quelle chance de pouvoir dire : « Il était une fois un pays. » Quelle chance de pouvoir le montrer, ce bout de pays qu'on porte en soi, en fragments de douleur, en une image, en un mot, île ! Rien qu'un mot. Ile ! Le mot qui coupe du silence, qui serre ta poitrine dans les bandelettes du souvenir. D'autres hommes, avant cet Emir-là, avaient perdu leur pays dans des circonstances différentes, il y a longtemps. Des Africains à la peau noire avaient été chassés et transportés comme des bêtes jusqu'en lointaine Amérique après le tarissement de la sueur indienne. Une fois éteinte la source jaune, il avait bien fallu assurer la trésorerie en ponctionnant dans la chair noire. Réduits à la sous-humanité de l'esclavage, les Noirs devaient ressembler à ce groupe de Yougoslaves qui, dans Underground, vivent pendant des années dans les entrailles de la terre sans savoir que la lumière existe. Nuits sans nom. Longue nuit sans lune. Les uns pédalent pour actionner des dynamos, les autres piochent entre deux coups de fouets, les jarrets sectionnés pour rester cloués à l'inhumaine condition, la chair morte et noire tisonnée au fer rouge. Et puis, comme les Yougoslaves du film de Kusturica, les Noirs sont sortis de terre et de leur hébétude. Un jour, ils découvrent que la lune n'est pas le soleil, mais c'est à peu près tout. De voyages, ils n'ont vécu que des déracinements. Ils connaissent par cœur le pays de la souffrance, mais pas le leur, celui de leur origine. Si bien que lorsqu'ils décident de revendiquer l'or de leur minerai noir, ils ne peuvent pas faire comme Kusturica. Faute d'avoir ne serait-ce que des lambeaux de souvenir de leur pays, ils décident de tout prendre, en gros, en vrac. Gourmands et ambitieux, ils se saisissent de tout le continent africain comme d'une maison natale. Affamés, ils disent qu'ils sont à eux « ces quelques milliers de mortiférés qui tournent en rond dans la calebasse d'une île », une « île non-clôture », audacieuse et debout comme la négritude qui affirme qu'elle est humaine à cent pour cent. Au bout de la longue nuit underground, l'Afrique ancestrale, amicale, se dresse en un spectacle total, ancêtre Bambara, savane et forêt, fleuves et arbres fétiches, pileuses de mil et lianes bandelettes douces. Il était une fois mon pays. Mon pays grand comme un continent qui dérive, tam-tam de mains vides qui n'ont rien inventé, ni la boussole ni la poudre. Mains vides qui ont planté et cueilli coton, café, canne à sucre pour remplir armoires solides, tabatières argentées, coffres-forts impériaux. Temps perdu. Pays perdus qui dérivent en morceaux. Il était une fois mon pays. Ni île, ni continent. Une terre entière et indivisible, tête de proue du continent africain. Sans ethnies à la mode yougoslave, sans noirs déracinements. Tout un peuple s'y est retrouvé dans une nuit sans lune. Dans les caves underground, beaucoup ont pédalé pour actionner les dynamos. Il fallait de la lumière pour guider les mains couseuses de drapeaux et brodeuses de lettres d'amour mêlé de ressentiment. Et puis, à la faveur d'un gros trou dans le mur de l'histoire, les hommes et les femmes de mon pays se sont frayés un chemin à l'air libre. Tout le monde était là-haut, contrairement au film de Kusturica, où quelques-uns étaient restés en bas, trompés par les brigands humant le grand air pourri du trafic et des affaires. Dans mon pays, tout le monde était remonté là-haut, en plein été, en plein soleil. Tout le monde, dans mon pays, savait qu'il était midi, mais bizarrement, bientôt, il n'y eut plus de midi. Pas de midi qui tienne. Rien ne tenait. Des hommes couchés attendant l'aumône d'une chefferie, la loi piétinée, l'éthique étiquetée avec une mauvaise punaise sur le mur qui ne se prête pas au rituel des lamentations - pas assez de monde pour espérer un effet communautaire -, mais à la colère autistique, solitaire, inaudible, ignorée, sanctionnée par ceux qui ne discutent pas des ordres pour rester chefs. Au pied du mur de la relégation, j'ai ressenti en plein cœur le morcellement d'un territoire où les valeurs s'affaiblissent au profit du profit brut. J'étais en plein dans l'image finale de Underground, dérivant sur un bout de mon pays. Impossible de dire : « Il était une fois un pays ». Affolement. Le cœur en fragment, je plonge dans ce morceau de chair rouge d'humanité africaine, comme au plus fort de la négritude déracinée, mais rattachée férocement à son île-continent. Du fond de ma cave et jusqu'au bout de mon ressentiment, je m'en remets à la foi sauvage du sorcier. Je ne me dérobe point. « Donnez à mes mains puissance de modeler. Donnez à mon âme la trempe de l'épée.
Faites de moi un homme de terminaison.
Faites de moi un homme d'initiation.
Faites de moi un homme de recueillement,
Mais faites aussi de moi un homme d'ensemencement.
Faites de moi l'exécuteur de ces œuvres hautes.
Voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme. » J'ai renoncé à connaître la nationalité de l'Emir ex-yougoslave. Son petit bout de terre me va droit au cœur. Il était une fois mon pays, mon université. Il était une fois tout ce qui m'a fait, irrémédiablement ceinte de ma vaillance et de ma faiblesse.
Avec la collaboration fraternelle d'Aimé Césaire, Léon Gontrand Damas, Paul Niger et Jacques Rabemananjara.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.