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Alejo Carpentier, le souffle des Caraïbes
Des colonies, une révolution et ses lumières
Publié dans El Watan le 13 - 10 - 2005

le grand auteur cubain est un écrivain cosmopolite par ses origines mêlées et par ses romans qui disent le tumulte de l'histoire universelle. Tant qu'à naître, autant être indigène et de sang mêlé.
Cela évite d'appartenir à un centre dévastateur de certitudes où les mots tombent dans le vide à force de tomber au même endroit et de la même manière. Illustration avec Alejo Carpentier. Né à La Havane en 1904, d'un croisement de père français et de mère russe élevée en Suisse, Alejo Carpentier grandit dans les Caraïbes, le regard braqué vers l'ancien monde qui le fascine, sans hiatus et tout en douceur. Sa patrie, il l'aime et il y est attaché, et c'est pourquoi, sans complexe, il lorgne sans cesse vers un ailleurs réjouissant, en une foulée mentale de coureur de fond infatigable, une enjambée de l'Atlantique féconde et durable, creusant inlassablement un sillon sur lequel se rencontrent et se croisent deux continents, deux cultures. Pour le Cubain, l'archaïque « discours de la méthode » doit être remplacé par un « recours à une méthode » innovante : je sens, donc je suis. A la faveur d'une alliance vivifiante entre le nouveau monde et la vieille Europe, je me sens bien, mieux. Je m'augmente dans le doublement de mon capital humain. Je pense et je me sens bien-pensant. Mais un jour le politique se mêle de la bonne santé d'Alejo Carpentier. En 1927, Carpentier, qui est rédacteur en chef de la revue Carteles, est jeté en prison sur ordre du dictateur cubain Machado. Un an plus tard, il est libéré et ne se fait sans doute pas longtemps prier quand Robert Desnos l'invite à aller sentir un air moins pesant en France. L'enjambée, qui s'était contentée d'être virtuelle durant toute l'enfance et l'adolescence du Cubain, se réalise et débouche sur une carrière d'écrivain fructueux. Comme quoi, les démêlés avec les pouvoirs policiers ont parfois du bon ; ils peuvent susciter des vocations littéraires. Le fait est que Alejo Carpentier ne reviendra à La Havane qu'en 1959, à la faveur de la prise de pouvoir par Fidel Castro qui l'honorera en lui confiant des charges officielles et culturelles. Le fait est qu'à ce moment-là, Alejo Carpentier s'est déjà fait, à Paris, un nom dans le monde des lettres avec Le Royaume du monde (1949), Le Partage des eaux (1953), Chasse à l'homme (1956), et d'autres romans, plus tard, dont la qualité lui vaudra des prix et une nomination au Nobel. De tous ces récits, j'en retiendrai un : Le Siècle des Lumières (1962) parce qu'il nous apprend des choses qui devraient tomber sous le sens et auxquelles pourtant nous n'avions pas songé, parce que nous étions restés sur une position fixe et centrale. La Révolution française n'a pas seulement été l'affaire de la France. Ce fut aussi celle de ses colonies. Vive l'enjambée océanique et ses vertus.
Les plus beaux principes
Le Siècle des Lumières, c'est l'histoire de trois jeunes gens dont la vie se prendra dans les rets de la Révolution française, la grande, celle qui fera valoir les plus beaux principes qui soient de liberté et d'égalité citoyennes, après des siècles de monarchie avec ou sans absolutisme, mais toujours des privilèges pour la même classe de privilégiés. 1789. A Paris, l'Histoire frappe à la porte des Français, et avec la même violence (ou presque) des coups sont frappés sur la porte d'une maison bourgeoise de La Havane, dont le riche propriétaire vient de mourir laissant trois héritiers : Carlos et Sofia qui sont frère et sœur, et leur cousin Esteban. Les jeunes gens ne dorment pas, ils veillent dans une atmosphère désœuvrée et quelque peu dissolue à la manière des enfants terribles de Jean Cocteau. Les trois Cubains s'occupent à occuper leurs nuits lorsqu'une nuit, Victor Hugues frappe à leur porte. En bon romancier qui sait jouer avec les effets dramaturgiques, Alejo Carpentier frappe ainsi les trois coups qui livrent la scène à la lumière de l'Histoire, la grande, et des petites histoires, à l'intersection des deux continents chers à son cœur : l'Europe et les Caraïbes. Pleine lumière sur un siècle dont les événements ont largement outrepassé les limites européennes, en une enjambée épique et outre atlantique. Victor Hugues est un homme exemplaire en cette période de crise de l'Histoire. Figure forte et énigmatique. Naissance obscure à Marseille. La révolution tombe à point nommé pour forger une destinée à cet homme dont les dix doigts ne suffisent pas pour énumérer les différents états par lesquels il passe : boulanger, négociant, franc-maçon, anti-franc-maçon, Jacobin, héros militaire, rebelle, prisonnier, absous par ceux qui ont tué son idole Robespierre (l'homme qui l'a fait) et qu'il continue à servir, agent du directoire, agent du consulat ... Liste à résumer en un seul mot : Victor Hughes est un animal politique. Nul besoin des dix doigts de la main pour désigner celui qui sait se renier quand l'événement l'exige.
Un début magnifique
Et pourtant, cet homme fait un début magnifique dans le roman de Carpentier. Mandaté par un Paris qui a réussi sa Révolution, Victor Hughes est chargé d'emporter cette même Révolution dans les territoires d'outre-mer, dans ces colonies qui parce qu'elles sont françaises, devront devenir elles aussi révolutionnaires. Etendre et unifier le territoire des libertés et de l'égalité. Belle mission en vérité, mais qui, dès le début, révèle une ambiguïté intéressante. Embarqué sur un navire qui fend les flots en direction des Antilles, Victor Hughes dispose de deux atouts formidables. Dans une main, il tient un décret qui abolit l'esclavage ; son autre main est, quant à elle, appuyée sur la guillotine qui profile son triangle noir au biseau froid et acéré à la proue du bateau. Vision hallucinante d'une machine qui a le génie de frapper les esprits avant de faire perdre la tête, aussi bien en route vers les Antilles que sur un quai du port d'Alger, là où Victor Hugo (et non Hughes) avait décidé de la faire débarquer en même temps que la civilisation en 1830. Tant qu'à choisir, mieux vaut celle de Alejo Carpentier qui elle, au moins, était destinée à épauler une vraie révolution à égalité d'hommes. Seulement voilà ! Paris, c'est loin. Le temps que le nouvel ordre s'installe ici, dans les colonies, et c'est déjà le désordre. Grâce à ce décalage inévitable en l'absence de moyens rapides de communication, Alejo Carpentier montre les mécanismes de dérapage d'une révolution qui se veut exemplaire et qui installe l'enfer dans les Antilles : pouvoir arbitraire et absolu des chefs révolutionnaires devenus des hommes d'affaires qui ne se maintiennent à leur place qu'en partageant leurs profits avec les décideurs de la métropole. On sait ces choses-là. On sait combien l'esprit est faible et les coffres-forts solides. On sait. Mais Alejo Carpentier adopte un angle de vision double - la fameuse enjambée entre l'Europe et le monde dit nouveau - pour renouveler la perception d'un événement formidable qui dépasse et écrase l'homme qui contribue à le faire. Victor Hughes finit aussi mal qu'il avait bien commencé, lâché et méprisé par ceux qui l'aimaient ou l'aimaient bien. Esteban, le premier, renonce à son enthousiasme révolutionnaire. Las et déçu, il rentre chez lui, fatigué, et il dit à Sofia : « Je reviens de chez les Barbares ». Sofia, restée à la Havane, ne le croit pas parce qu'elle aime Victor Hugues. Sofia rejoint Victor Hughes devenu le maître de la Guyane. Elle le voit faire appliquer sans état d'âme le décret qui rétablit l'esclavage, elle voit comment la révolution a fait perdre la tête à l'homme qu'elle aime. Alors, sans état d'âme, et sûre de ce qu'il faut repousser ou accepter, elle quitte Victor Hughes et va mourir à Madrid, les armes à la main, aux côtés des Espagnols qui refusent l'entrée des troupes françaises et révolutionnaires. La Cubaine a perdu la tête. La révolution, ça fait perdre la tête. Avec elle, les mots ne tombent pas dans le vide.


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