Un matin de l'année 1529, les terrasses de La Casbah d'Alger vibrent sous les clameurs. Les foules dévalent les ruelles de la forteresse «Ribat El Feth» pour l'accueil de Khair-Eddine Barberousse, le Lion des mers. Il est de retour après un long périple dans l'incertitude des combats au large de l'Espagne. Cet événement historique peu connu marque un acte décisif dans la propulsion de la ville des Roses. Les Beni Mezeghenna descendent de La Casbah pour l'accueil du héros et son équipage. Le butin exceptionnel comptait sept navires de guerre espagnols capturés aux Baléares, chargés de plusieurs centaines de réfugiés andalous délivrés dans la ville espagnole d'Oliva au nord d'Alicante, à l'issue de deux combats sur terre et sur mer. Ces familles seront placées sous la protection de Sid Ahmed El Kebir et formeront le noyau andalou de la future ville de Roses. L'aventure commence alors que Khair-Eddine surveillait la navigation près des Baléares. En ce XVIe siècle, c'est l'apogée de l'Empire ottoman qui s'étend sur trois continents, de Tlemcen jusqu'en Crimée. Embusqué dans cette position, Khair-Eddine reçoit des messagers qui l'informent de la présence de deux cents familles andalouses en grande détresse, réduites en esclavage à Oliva dans le sud de la province de Valence. Il lève l'ancre. La petite flotte cingle en direction des côtes espagnoles. Il débarque à la tête de ses matelots, livrant un rapide combat à l'issue duquel les captifs sont rapidement soustraits à leurs seigneurs. Les quatre navires lourdement chargés hissent les voiles et font route sur Alger par temps clair et vent favorable. Mais, aussitôt informés de l'événement, les seigneurs d'Oliva, touchés sans doute dans leur amour-propre par l'audace des marins algériens, décident d'armer une escadre de huit navires sous le commandement du général Portundo auquel ils promettent une forte prime de dix mille ducas pour le retour des esclaves et le châtiment de l'Amiral d'Alger. A quelques milles au large, les quatre galères algériennes sont repérées. Elles naviguent lentement sous la surcharge des passagers gagnés par l'inquiétude. L'équipage leste tous les objets encombrants, y compris les barils de vivres des réserves alimentaires. Mais rien n'y fait. La vitesse est trop réduite. Dans ces conditions extrêmement redoutables, il n'y a aucune chance d'échapper au sort que leur réserve l'ennemi, à savoir la mort ou la galère pour ramer le restant de leur vie. C'est alors que Khair-Eddine prend la décision d'accoster à Formentera, aux Baléares où il fait débarquer les malheureux rescapés d'Oliva dans l'espoir d'échapper lui-même et ses hommes. Malgré l'allègement, la flotte algérienne est quand même rattrapée et cernée par les vaisseaux espagnols. Alors, survient le miracle... Curieusement, les Espagnols nantis par leur supériorité restent figés, sans initiative de combat. Le général espagnol n'avait pas compris le sens de la manœuvre de Khair-Eddine qui a fait débarquer secrètement les rescapés sur la plage de Formentera. L'erreur de jugement du général allait être fatale pour la flotte espagnole. Persuadé que les galères algériennes avaient toujours en charge les familles, il comptait se saisir de tout le monde sans combat. A l'inverse, les marins d'Alger ont compris le silence des canons espagnols comme une peur inspirée par Khair-Eddine qu'ils nommaient «terreur du Diable». Il fait mine de s'approcher du navire espagnol de commandement en laissant croire qu'il voulait pourparler. Assurés de leur supériorité, les Espagnols ne pouvaient pas imaginer une confrontation dans des circonstances ordinaires de combat en mer. Ils auraient le dessus sans équivoque. Et voici que les matelots d'Alger lancent leurs grappins et grimpent aux gréements, yatagan et mousquet à la main. Au premier choc, le général Portundo trouve la mort. Privés de commandement, les Espagnols font le choix d'arrêter le combat. Sur les huit navires espagnols, un seul a pu regagner Ibiza sain et sauf. Khair-Eddine retourne à Formentera et récupère les rescapés morisques qui ont passé des moments affolants. Ces 200 familles seront le premier noyau du peuplement andalou de la ville de Blida. Les réfugiés d'Oliva seront accueillis par Sid Ahmed El Kebir qui leur attribue un espace au sud de Zabana sur la route de Cheffa. Mais par une nuit de pleine lune, ils seront surpris dans leur sommeil et sauvagement attaqués et dépouillés par des bandes appartenant aux Beni Bou N'çaïr. La légende raconte que toute cette tribu sera exterminée par d'étranges maladies suite à la colère de Sid Ahmed el Kebir touché dans son amour-propre par le geste criminel des auteurs. Il est tout de même étrange qu'il ne reste plus aucun descendant des Beni Bou N'çaïr. La tradition locale raconte que le dernier d'entre eux, un charbonnier, serait mort vers 1740 sans laisser de descendant. En revanche, les Andalous installés dans la ville des Roses se perpétuent sous des patronymes reconnaissables : Bourouis, Bentchicou, Longo, Randi, Ramoul, Korteby.... L'histoire qui a parfois des côtés injustes a retenu le rôle de Sid Ahmed el Kebir comme le promoteur unique de la ville. Quant à la part de Khair Eddine Barberousse, Blida lui a consenti un hommage bien modeste par une plaque qui nomme une ruelle sinueuse peu connue en dehors de sa vingtaine de riverains. (Fin)