Les Abattoirs de Casablanca sont devenus un centre d'art. Ceux d'Alger seraient détruits… Partout dans le monde, la réhabilitation de lieux industriels ou commerciaux a permis de créer de nouveaux espaces culturels. Usines désaffectées, docks abandonnés, hangars délaissés, centrales électriques désuetes… De New York à Pékin, de Londres à Johannesburg, et maintenant d'Istambul à Sao Paulo, on a récupéré ces installations dont certaines sont de magnifiques pièces d'architecture car elles étaient confiées à des architectes (et non à des ingénieurs) qui les signaient comme tout autre édifice. Cette idée avait rencontré au début l'hostilité et parfois le mépris des autorités territoriales, voire des gouvernements. Par la suite, ceux-ci se sont rendu compte qu'ils y avaient tout intérêt et ce sont eux qui, alors, ont pris l'initiative de tels projets. En effet, la réhabilitation architecturale permet des économies considérables pour la création d'équipements urbains nouveaux, notamment dans le secteur culturel où les budgets sont souvent insuffisants. En regroupant des activités artistiques sur d'anciennes structures utilitaires, on a créé de nouveaux pôles d'animation urbaine et d'attraction touristique. On a enfin récupéré un véritable patrimoine architectural inscrit dans l'histoire de la ville. L'exemple des Abattoirs de Casablanca est plein d'enseignements. Construit en 1922 dans le style Art Déco par l'architecte parisien Georges-Ernest Desmarest, l'ensemble, étalé sur 5 hectares, était devenu la proie rêvée des promoteurs immobiliers. Dès l'annonce en 2000 de l'ouverture des nouveaux Abattoirs, le sort des anciens semble tracé, à l'image de nombreux édifices anciens détruits à Casablanca, comme le prestigieux hôtel Anfa, qui avait accueilli en 1943 une Conférence des Alliés, etc. Des artistes et intellectuels se mobilisent autour du poète Mostafa Nissabouri, des plasticiens Mohamed Kacimi et Hassan Darsi et des architectes Selma Zerhouni et Rachid Andaloussi. Ils proposent d'en faire un lieu culturel. Mais la ville de Casablanca, propriétaire, fait la sourde oreille. L'association Casamémoire, créée en 1995, réussit alors à faire inscrire les Abattoirs sur la liste des monuments historiques. En 2003, une exposition s'y tient et les élèves des Beaux-Arts réalisent deux fresques. D'autres manifestations culturelles suivent. La ville engage alors un partenariat avec celle d'Amsterdam pour la reconversion des friches industrielles en lieux d'art. En 2009, une convention est signée entre la Ville et un collectif d'associations culturelles coordonné par Casamémoire. Depuis, le lieu est devenu un pôle national de vie culturelle, attirant des milliers de personnes avec une aura internationale prometteuse. Chez nous, il est question de détruire les Abattoirs d'Alger, puisque l'activité devrait se déplacer vers Baba Ali sur un terrain de 10 hectares. Ne peut-on pas rêver, dans le nouveau pôle urbain des Fusillés qui accueillera après le nouveau palais de justice, les sièges de l'APN et du Sénat, d'un lieu voué aux arts et à la culture, avec des galeries, des petites salles de projection, des salles de répétition et, pour marquer l'histoire du lieu, quelques échoppes à brochettes, le tout à la descente du tramway ? Un tel espace polyvalent, qui peut devenir magnifique après sa réhabilitation, ne dépareillerait pas dans le nouvel ensemble urbain, l'animerait et conserverait une partie de sa mémoire urbaine, et même sa dénomination, car sur les 21 martyrs fusillés durant la guerre de Libération nationale, plusieurs seraient des travailleurs des Abattoirs. On achève bien les Abattoirs… Mais les Abattoirs peuvent aussi s'achever dans une vision moderne et généreuse.