A-t-on, lorsque l'on a inauguré sa «carrière» dans les rangs du groupuscule fascisant «Occident», des titres à donner des leçons de «francité» à certains de nos compatriotes ? Telle est la question que pourrait se poser M. Claude Goasguen dont la dernière saillie a consisté, pas moins, à réclamer l'exclusion du droit de vote, droit citoyen le plus élémentaire s'il en est, des quelques millions de binationaux dont la double culture vient enrichir, culturellement et démographiquement, notre pays vieillissant et régulièrement visité par la tentation du repli. Il fut un temps, dans la Bretagne des ancêtres de M. Goasguen, où, dans la salle des pas perdus de Quimper, était inscrit : «Il est interdit de cracher par terre et de parler breton.» Va-t-on, dans le même esprit, qui paraît si cher à notre édile, inscrire au fronton de nos mairies, en lieu et place de la devise républicaine, «Liberté, égalité, choucroute», comme Jean Yann intitula avec humour l'un de ses films ? Sans doute pas, tant M. Goasguen semble dépourvu, entre autres, de toute qualité humoristique. Pourtant, si elle ne traduisait pas un retour de la «France moisie», comme la qualifia, en son temps, et avec talent, Philippe Sollers, la dernière trouvaille de notre élu pourrait prêter à sourire. Comment imaginer, en effet, à l'heure de la globalisation des migrations et de l'affaiblissement de l'Etat-Nation au profit de nouvelles formes d'appartenance et d'allégeance, priver du droit démocratique le plus élémentaire, les cohortes de nouveaux Français qui font vivre notre pays et lui assurent une diversité lui permettant d'échapper à une funeste consanguinité ? Il se trouve que la proposition farfelue de notre député vise directement ma marmaille, ce qui explique un agacement certain de ma part. Arrière-petit-fils d'une héroïne française de la Résistance, qui portait à son plastron davantage de décorations (dont celle de Compagnon de la Libération) que M. Goasguen ne compte de cheveux sur sa tête, et grâce à laquelle il peut librement débiter ses âneries, mon fils, jeune Franco-Tunisien, est également le petit-fils d'un héros de la lutte pour l'indépendance tunisienne. Fort de la double culture, de ses deux nationalités, de ses deux passeports, il circule librement entre ses deux pays et leur porte un égal attachement. Que n'a-t-il chanté et dansé à la chute de Ben Ali… Que ne s'est-il réjoui de la défaite de la droite aux dernières élections cantonales… Et que ne se réjouira-t-il au cas où celle-ci viendrait à perdre l'élection présidentielle de 2012 … Voyez-vous M. Goasguen, j'élève mon enfant aussi bien dans sa «tunisianité» que dans sa «francité». Ouvert sur le monde, curieux de tout, il apporte à mon pays le sang neuf dont ce dernier a tant besoin. Et, voyez-vous M. Goasguen, dans moins de cinq ans, il votera aux élections tunisiennes désormais libres, et aux élections françaises où il vous fera barrage. Dans les deux cas, je l'accompagnerai jusqu'à l'isoloir pour qu'il y remplisse ses devoirs de citoyen des deux rives de la Méditerranée. Ils sont des millions comme lui, singulièrement issus de notre ex-Empire dont vous et vos semblables avez encore la nostalgie. Car c'est bien de cela qu'il s'agit lorsque vous stigmatisez les binationaux. Peu vous chaud qu'ils soient Franco-Américains. Ce qui vous déplait, fondamentalement, c'est qu'ils soient aussi ressortissants de nos anciennes colonies. L'esprit de revanche a la peau dure chez les vôtres… Pourtant, c'est le «sens de l'Histoire» que les ex-colonisés, enrôlés dans des bataillons lors des deux conflits mondiaux pour y défendre la patrie française, réquisitionnés pour la reconstruire à leur suite, qu'ils soient désormais Français, mais aussi nationaux de leur pays d'origine, c'est le «sens de l'Histoire» selon la formule d'un auteur que vous devez abhorrer si tant est que vous l'ayez jamais lu…
Séverine Labat. Politologue, chercheur au CNRS, auteur de La France réinventée : les nouveaux bi-nationaux franco-algériens, Paris, Publisud, 2010