Nos responsables ne manquent décidément pas de toupet. Dans les forums internationaux et dans les rencontres avec leurs homologues étrangers, ils soulignent, avec fierté, que l'Algérie n'a pas attendu les révolutions arabes pour engager ses réformes politiques. Les révoltes d'Octobre 88, qui ont poussé le système du parti unique du FLN à s'amender et à s'ouvrir sur les changements démocratiques qu'allait connaître le pays, ont bizarrement trouvé, depuis quelque temps, de nouveaux partisans ralliés de la 25e heure à la cause démocratique parmi les adversaires les plus acharnés de ces événements. Les déclarations de ces mêmes responsables qui se font aujourd'hui les chantres de la démocratie en s'appropriant, toute honte bue, les sacrifices des jeunes d'Octobre sont là pour confondre tous ces usurpateurs de la mémoire collective qui ont fait partie du système et de l'Etat-FLN contre lesquels les jeunes s'étaient révoltés. A-t-on oublié tous les anathèmes et l'opprobre jetés par ces responsables carriéristes du parti FLN qui émargent toujours au parti ou qui l'ont quitté pour d'autres formations politiques nées des côtes du FLN ? Tout y passait. On y avait vu derrière ces événements la «main de l'étranger», on avait parlé de complot et de règlement de comptes entre clans du FLN, de «chahut de gamins» pour dépouiller le mouvement de toute sa substance idéologique et politique. Le regard de l'étranger fut tout aussi réducteur : on avait qualifié ces événements «d'émeutes de la faim». Lorsqu'un ponte du FLN, qui était en octobre 1988 de l'autre côté de la barrière que les jeunes émeutiers qui ont défié le système et, qui plus est, les a combattus par le discours et par d'autres moyens répressifs, vient à la télévision ou à la radio faire l'éloge de ces événements, il faut croire que ce changement de fusil d'épaule est soit le fait d'une sénilité avancée, soit il porte la marque d'un opportunisme le plus détestable. Si ces messieurs, dont certains sont toujours aux commandes du pays, avaient réellement adhéré et soutenu le mouvement des jeunes d'Octobre 88, pourquoi alors n'ont-ils pas usé de leur influence pour accélérer et approfondir le processus démocratique engagé ? Non seulement ils n'ont rien fait pour ce faire, mais bien plus, ils ont, pour beaucoup d'entre eux dans les institutions et dans les sphères de décision, tout fait pour que les réformes soient rigoureusement contrôlées et que les changements introduits ne débouchent pas sur une remise en cause et une rupture systémique avec le système en place. Les victimes d'Octobre 88, qui ont vieilli aujourd'hui de près d'un quart de siècle, ont la mémoire intacte et savent qui est qui. Ceux qui étaient à leurs côtés et ceux qui défendaient le système rentier et prédateur qu'ils voulaient faire changer. Nos partenaires étrangers, qui ont suivi avec intérêt ces événements, n'ont certainement pas la mémoire aussi sélective ou oublieuse pour avaler les couleuvres de nos responsables au point de valider cette nouvelles thèse officielle des événements d'Octobre qui veut faire croire que les jeunes n'y sont pour rien et que le système s'est auto-réformé de son plein gré. Le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, s'est encore essayé, cette semaine, au Luxembourg à cet exercice périlleux devant le Conseil d'association algéro-européen. A-t-il convaincu ? Peu sûr.