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Quand la vie au bord des trains déraille
Misère et violence sur les chemins de fer
Publié dans El Watan le 19 - 08 - 2011

On y garde les troupeaux, deale de la zetla ou exploite le cuivre : toute une vie s'est organisée aux abords des voies ferrées. Dans le bruit, la poussière et la misère. La solution pour canaliser la colère : caillasser les trains qui passent. De la gare de l'Agha à Blida, d'El Harrach à Boudouaou, je suis parti à la rencontre de ceux dont le train est devenu un compagnon quotidien. Carnet de rail…
Quand vous n'avez rien à faire de la journée, toute activité est la bienvenue. Alors lorsque les trains passent, on s'amuse à leur tirer dessus.Le chiffre parle de lui-même. L'an dernier, la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF) a perdu 160 milliards de dinars. La cause : le caillassage et les actes de sabotage comme le vol de câbles. A la rédaction, nous avons donc décidé de longer la voie ferrée à la rencontre de ceux qui vivent au bord des rails. C'est ainsi que je commence mon périple à la gare Agha. Et ça commence mal ! Les agents de sécurité de la gare me demandent de rebrousser chemin. Malgré mon insistance, rien n'y fait. Je décide alors de prendre le train jusqu'à la gare d'El Harrach, point de correspondance entre les trains qui desservent l'est et l'ouest du pays ou la banlieue d'Alger. Je descends de l'autorail et prends la direction de l'ouest.
La voie est ceinturée d'un mur, sécurité oblige, les bâtiments longent le passage du train. Un jeune à la silhouette frêle et à la voix rauque me lance : «Kech ma khssak kho ?» (tu as besoin de quelque chose ?). Je passe mon chemin, la zone est réputée être un lieu de délinquance. Des cas d'agression sont signalés quotidiennement. Il faut dire qu'aucun agent de l'ordre n'est visible. Au loin, j'aperçois des tentes bédouines, des nomades aux portes d'Alger ! Au fur et à mesure que je m'approche du campement, des enfants qui jouaient tranquillement viennent me voir. Les femmes s'empressent de rentrer dans leur gourbi. J'attends un peu à l'écart qu'un homme vienne me parler, formalité d'usage. Messaoud s'approche et m'invite à quitter les lieux.
Poules et chèvres
La discussion s'annonce tendue. «Il n'y a rien à faire ici», prévient-il. Puis après négociation, il m'invite à prendre un thé. Assis à ses côtés à même le sol, au milieu des poules et des chèvres, je l'écoute me raconter son histoire. «Je vis ici depuis neuf ans. Mes enfants ne vont pas à l'école. Nous avons souffert du terrorisme et erré pendant longtemps partout en Algérie. Puis nous avons décidé de rester ici en espérant, comme tout le monde, bénéficier d'un logement.» Il est soudain interrompu par le fracas assourdissant du Alger-Oran. Ses enfants se précipitent pour jeter des cailloux sur le train trop rapide. En face, le train électrique Alger-El Affroun fait escale en attendant que le train «grand-vitesse» passe.
Les passagers, sans doute habitués, semblent regarder le campement sans le voir. Après avoir quitté Messaoud, je pars en direction de la prochaine destination portée sur la carte : Gué de Constantine, communément appelé «Semmar». Cette fois-ci, la voie est ceinturée par des barrières métalliques et la gare jouxte le plus grand bidonville d'Alger, le quartier Erremli qui a connu l'an dernier de violentes émeutes. Adossés aux barreaux de sécurité, des jeunes fument de la zetla. En me voyant, une bande s'approche menaçante, un jeune sort un couteau. J'ai droit à un interrogatoire musclé. Mieux vaut ne pas leur cacher que je suis journaliste. Ils se détendent.
Laissés-pour-compte
Merouane, Nassim, Moh et Abdessamad, survet' Nike contrefait et casquette inclinée sur la tête, ont entre 18 et 22 ans. L'école, pour eux, c'est fini. «On souffre du chômage, nous n'avons pas de maison comme tout le monde. On a toujours vécu dans ce bidonville. Que voulez-vous qu'on fasse ? Allah ghalab, nous sommes obligés de voler ou d'agresser les passagers des trains qui s'aventurent sur notre chemin, confessent-ils. L'Etat n'a rien fait pour nous, nous sommes des laissés-pour-compte…» Un bruit sourd se fait à nouveau entendre dans le lointain. Le bruit des jantes métalliques sur les rails se fait de plus en plus audible. Comme un réflexe, Moh prend un caillou et le jette sur les wagons pour déverser sa colère. Il n'est pas le seul à faire ce geste : quelques centaines de mètres après la gare, c'est la sortie de l'école.
Les enfants s'empressent pour rattraper le train et tenter de faire mouche avec des cailloux, un jeu quotidien à ne pas rater. Quelques mètres plus loin encore, de jeunes dealers ont élu domicile près des barrières. L'astuce : rester de l'autre côté pour vendre la came et échapper ainsi à la police. Après un nouveau moment de tension, ils me conseillent de faire attention «aux agresseurs, nombreux dans le coin». Malgré la menace à peine voilée, je décide tout de même de continuer mon aventure vers la prochaine gare : Aïn Naâdja, à l'affût du moindre mouvement. J'aperçois alors un vieux se prélassant près des voies. «Il y a ceux qui aiment écouter les vagues, mais moi c'est le bruit des trains que j'aime», me lâche d'une voix fatiguée ce retraité des chemins de fer.
Les GLD toujours actifs
Je prends place à côté de lui. «Quand je suis là, personne ne jette de pierres sur les trains. Mais dès que je vois des jeunes, et parfois même des vieux lancer des cailloux, je deviens triste. Je ne comprends pas cette haine envers les wagons…» Plus loin, je croise un couple en pleine intimité. Agressif, le jeune se tourne vers moi et m'invite sans appel à «dégager d'ici» pendant que la jeune fille remet son voile. Paniquée, elle lui demande de me «laisser tranquille». Le ton monte entre nous. Je l'entends appeler un de ses amis pour qu'il me règle mon compte. La situation devient intenable, je saute dans le premier train en gare de Aïn Naâdja. Destination Beni Mered. Sur une centaine de mètres, s'accumulent wagons hors service et pièces métalliques usagées par la corrosion. Cette localité a connu, le 15 avril dernier, de violentes émeutes suite à la mort de deux écoliers âgés de 6 et 9 ans (une petite fille et son frère), percutés par un train au moment où ils traversaient les rails.
Les habitants, très en colère ce jour-là, ont exigé plus de sécurité pour éviter que ce genre de scénario ne se reproduise. Ceux-ci s'en sont pris aux installations électriques. Ils ont aussi menacé d'attaquer les trains transitant par leur quartier. Après ce drame, toutes les liaisons entre Alger et El Affroun ont d'ailleurs été annulées.
Je poursuis mon chemin jusqu'à Blida. Sur mon trajet, je croise des GLD toujours actifs. Ils sont venus de Aïn Defla prêter main-forte à leurs collègues de Blida. «Nous avons reçu des informations faisant état de la présence d'un groupe terroriste», me renseignent-ils.
Ammi Hocine, la cinquantaine, mène depuis des années une vie faite de surprises, de rencontres et de risques. Le rail, pour lui, évoque des souvenirs amers. Il n'oubliera jamais la mort d'un de ses collègues d'armes sur une voie ferrée alors qu'il essayait d'enlever un cadavre piégé par une bombe. Pour Ammi Hocine, la vie a déraillé ce jour-là.
Trafic de cuivre
El Harrach-Boudouaou. L'axe où l'on enregistre le plus de casse. De la gare d'El Harrach à Oued Smar, bidonvilles, gourbis et décharges longent la voie. Les abords du rail sont très peuplés… Ici, c'est le paradis de tous les trafics. Cuivre, fils électriques, pièces détachées, sérums et même «chema» (tabac à chiquer) en gros : tout se vend. Mourad, 28 ans, balafre à la joue, habite à Boumati. Il s'est «spécialisé» dans la vente du cuivre. «C'est mon business depuis plus de quatorze ans maintenant ! Je ne sais faire que ça», raconte-t-il en élevant la voix au passage bruyant d'un train de marchandises à destination du port d'Alger. Mourad tient absolument à m'accompagner. «Pour assurer ta sécurité», promet-il. Au fur et à mesure de notre balade le long du rail, il dit connaître tout le monde ici. «Je suis le chikour ici ! Personne ne te touchera.»
Mourad emploie une dizaine de jeunes «désœuvrés», pour un revenu quotidien moyen de 1000 DA. «Ils me cherchent des câbles, que ce soit dans les cités ou dans les décharges. Ou bien ils les volent, je m'en fiche. Le plus important, c'est qu'ils me procurent la marchandise. Puis ils s'occupent de l'extraction du cuivre, du caoutchouc, ensuite ils les pèsent. Je les achète au kilo», me précise-t-il en refusant de me donner le prix. «C'est le secret de mon business, je ne peux vous donner le prix, mes clients seraient furieux.»
Bière et zetla
Après cette petite escale dans son atelier clandestin à ciel ouvert, Mourad m'invite à visiter une fabrique illégale de tabac à chiquer. Je suis surpris par le nombre d'employés. «Certainement plus qu'à la Société nationale des tabacs et allumettes !», ironise-t-il. Quel risque pour la santé des consommateurs ? «On s'en fout, me rétorque-t-il brutalement. L'Etat n'a rien fait pour nous, donc la question ne mérite pas d'être posée.» Je fuis l'endroit avec ses odeurs nauséabondes. Je continue mon aventure jusqu'à Oued Smar en compagnie de Mourad, guide d'un jour, ancien «caillasseur de train», selon ses dires. «Quand j'étais jeune, lorsque je n'avais rien à vendre et que le commerce allait mal, je tirais avec toute mes forces sur les trains.» Au loin, un troupeau de vaches traverse la voie ferrée. Le berger, bâton et caillous à la main, a 20 ans à peine.
Ce fils d'une grande famille, propriétaire d'un gros cheptel qui alimente les abattoirs historiques d'El Harrach, nous prévient : «N'ayez pas pitié de moi, je suis très riche. Je n'ai pas besoin de travailler. Vous me voyez là en berger, mais le soir, je prends ma Golf et je traîne dans les rues et les bars d'Alger !» Arrivés à Oued Smar, Mourad me laisse, me souhaitant un bon voyage. Son territoire, il l'a largement dépassé. «J'ai des ennemis ici, je dois absolument te quitter, je n'ai pas pris mon couteau sur moi.» A peine les voies de la gare de Oued Smar dépassées, je tombe sur un gang de jeunes vivant de zetla et de bière. «Que fais-tu ici ? Tu es un étranger», me lancent-ils, visiblement dans un état second, prêts à m'agresser.
Isma et les moutons
Sans l'intervention d'un agent de sécurité accompagné d'un doberman de la gare, la rencontre aurait tourné au drame. «Prenez le prochain train, c'est mieux pour vous. Ici, c'est un quartier dangereux», me conseille-t-il. Le jour même de mon passage, un étudiant a été agressé et son téléphone volé. J'emprunte à nouveau le train, destination Dar El Beïda, en passant par la gare de l'université de Bab Ezzouar. Je redescends pour aller à Rouiba. Là encore, des jeunes, bouteilles à la main, m'interpellent. Leur hobby : jeter des pierres sur les trains qui passent. «Quand vous n'avez rien à faire de la journée, toute activité est la bienvenue. Alors lorsque les trains passent, on s'amuse à leur tirer dessus», avouent-ils. D'autant que ces trains sont leur cauchemar. «Je me réveille tôt le matin à cause du bruit de ce foutu train», s'énerve Yacine, 22 ans, chômeur.
Alors, c'est de bonne guerre de «lui tirer dessus», rigolent ses amis. Deux kilomètres me séparent de la gare de Rouiba. Sur mon chemin, je croise encore des bergers, des troupeaux de moutons, des champs à perte de vue, de jeunes agriculteurs qui caillassent aussi les trains entre deux cueillettes de légumes. Une petite fille d'à peine 10 ans surveille un troupeau de moutons. Elle s'appelle Isma et n'a jamais fréquenté l'école. Pourtant, nous sommes toujours dans la capitale et dans une localité considérée comme une des plus riches d'Algérie. A la gare, des va-et-vient incessants, mêlés au brouhaha du marché informel à proximité, donnent le rythme : étudiants, travailleurs, écoliers se suivent et se précipitent pour prendre le train. Puis jusqu'à Réghaïa, pas âme qui vive.
Les murs et les barricades des usines ne laissent pas de passage pour les gens. De Réghaïa à Boudouaou, je traverse un dernier bidonville, sans doute le plus grand de la région. Rien d'original : les scènes y sont les mêmes qu'à Remli ou Gué de Constantine. Des jeunes se shootent, vendent de la drogue et des écoliers bravent tous les jours la mort en traversant les voies. Les trains passent devant Hamid, Salah et Ramdane. «Nous, nous ne dérangeons personne, c'est le train qui perturbe le silence…», accusent-ils, cailloux à la main.


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