Officiellement, ils étaient 44,26% d'Oranais à s'être rendus aux urnes, jeudi dernier. Pareillement dans les autres villes du pays. A Oran, l'essentiel des votants était des personnes d'un âge plus ou moins avancé. A quelques nuances près : on a enregistré une percée assez nette de la gente féminine. Les jeunes, quant à eux, ont pour la plupart boudé le scrutin législatif et cela en dépit des 1000 voitures mobilisées par la wilaya qui ont sillonné, toute la journée, les principales artères de la ville, les «suppliant» d'aller accomplir leur «devoir» citoyen. Plein zoom sur un quartier populaire d'Oran, en l'occurrence celui de Saint-Pierre, où le taux d'abstention a atteint un record chez les jeunes. En ce 10 mai, on se serait cru un jour ordinaire. Les vannes fusaient à tout va, prenant pour cible principalement ceux dont le doigt était taché d'encre. Autant dire que des jeunes qui se sont «risqués» à se rendre aux urnes ont dû faire profil bas à leur sortie. «Tu me prêtes 100 DA sinon je crierai haut et fort que t'es allé voter !», dit un jeune à son ami. Les discussions étaient électriques : «A chaque élection, c'est la même chose, on nous submerge de promesses et ensuite, on nous classe aux archives. Cette fois-ci, on n'est pas dupe, il est hors de question que j'aille voter ! D'ailleurs, je n'ai même pas de carte d'électeur. J'ai refusé de la faire !» Un autre nous dit : «Vous croyez qu'on a que ça à faire ? Que d'offrir un salaire de 30 millions de dinars aux députés, alors que le mien n'atteint même pas le SMIG ?» Lors d'une visite dans les bureaux de vote de ce quartier, on remarque que les femmes votent plus massivement que les hommes, bien plus rares. «Si j'avais la conviction que l'acte de vote apporterait un quelconque changement dans mon pays, j'aurais été le premier à y aller. Mais je sais d'avance que les dés sont pipés ! Il ne faut pas se faire d'illusions, en Algérie, le changement, c'est pas pour maintenant !» Saint-Pierre a de tout temps était réputé pour être un arrondissement «émeutier». Sa structure architecturale fait de lui un quartier atypique. Surplombant en largeur le centre-ville, il compte pas moins de 34 accès, ce qui fait qu'à la moindre émeute, il faut autant d'unités de police pour contenir la contestation. Bien qu'il n'y ait pas de bars à Saint-Pierre, bouteilles et canettes de bières jalonnent les rues. On les achète aux débits de boissons environnants et sont consommées jusque tard dans la nuit, dehors. En catimini. «Mieux vaut les boire dehors et les acheter dans les débits. Aux bars du centre, le prix est trop élevé !», dit un St-Pierrois. L'alcool est consommé non pas pour être savouré, mais pour oublier la réalité. La triste réalité du chômage, du logement insalubre, du manque de loisirs et du mal-être. Dans certaines zones de ce quartier, qui s'apparentent à des favelas, on se croirait dans le film Affreux, sales et méchants d'Ettore Scola. L'insalubrité des logements des Planteurs, d'El Derb ou d'El Hamri, met en danger la vie des locataires. Au début des années 1990, les islamistes avaient fait de ce quartier leur QG oranais, et les marches «fisistes» s'ébranlaient à partir des mosquées où les prêches étaient virulents. Aujourd'hui, si à la prière du vendredi, la foule est nombreuse, les barbus, eux, le sont beaucoup moins. «Ici, les gens ont fini par comprendre, nous dit le vendeur dans un tabacs-journaux. On trouve de tout à Saint-Pierre : ceux qui picolent et ceux qui prient, et bien souvent, ce sont les mêmes !» A 20h30 tapantes, heure du dépouillement, le constat est édifiant. Dans le bureau de vote visité, on n'a pas trouvé, ou si peu de bulletins islamistes ! Ces derniers, qui s'étaient targués de faire de Saint-Pierre leur fief, ont reçu une sévère «raclée». Une déroute des plus accablantes que les Saint-Pierrois leur ont infligée.