«Chaque artiste est triste : on fait rire les gens, mais on ne trouve personne pour nous soulager.» Boualem Naït Akli, surnommé Rroudji (le rouquin), est né le 2 octobre 1945, au Faubourg de la gare, de parents originaires de Kabylie (Béjaïa), installés à Sétif depuis les années 1920. Il naquit dans ce quartier d'où était, quelques mois auparavant, partie la marche qui inaugurera ce qui sera les célèbres «massacres du 8 Mai 1945». Il est le plus jeune d'une fratrie de cinq enfants. Il fréquentera l'école primaire Péguin de 1952 à 1959, date à laquelle, il la quittera pour aller aider son père, vendeur d'œufs de son état. Il regrettera sa vie durant de ne pas avoir fait d'études de théâtre et tout autant de ne pas avoir appris le kabyle, la langue de ses parents, et l'arabe écrit (qui auraient pu lui ouvrir plus de perspectives). Dès son jeune âge, il aura ce penchant pour la scène. Déjà enfant, à l'école, il faisait rire ses camarades par ses pitreries, ce qui lui valait de fréquents changements de classe et la convocation de ses parents. Mais ce n'est qu'après l'indépendance, qu'il aura une véritable occasion d'exercer son talent lorsqu'il sera chargé en 1962-63 de la responsabilité de la troupe de théâtre de la section locale de la JFLN. Il y restera jusqu'à 1970, période pendant laquelle il écrira, jouera et dirigera de nombreux sketches comiques, dont Chez le juge (1962), Hamada le boxeur (1963), Le père et ses trois fils (1965-66), Le mort-vivant (1969-70), Dersa (1968), Noir et blanc (1970-71), avec les élèves du lycée Kerouani). Après avoir quitté la JFLN, il rejoindra en 1972 la troupe du Croissant-Rouge local, dirigé alors par le docteur Abdelkader Amrane. Il y restera jusqu'en 1998, comme animateur, que ce soit localement ou lors des colonies qui se passaient sur la côte béjaouie. Toute cette activité artistique se passait parallèlement à son travail d'ouvrier à l'ENPEC (ex-Sonelec). On pouvait aussi admirer son art lors des spectacles donnés par la troupe musicale Ennasr, avec laquelle il sillonnera tout l'Est algérien. Les témoignages le décrivent comme un grand comique, le maître absolu de ce genre dans cette ville : «Un véritable élastique de souplesse, infatigable», selon Tahar Dif (un fin connaisseur du 4e art). Rien d'étonnant, lorsqu'on sait que Boualem avait fait en 1966 un stage de danse classique française à l'ENADC de Bordj El Kiffan, sous la direction de Jacques Douillet et de sa femme Thérèse. Il n'est d'ailleurs pas besoin d'aller au théâtre pour découvrir toutes les facettes de l'artiste qu'est Boualem Naït Akli. Il est tout naturellement acteur. Sa gestuelle, ses grimaces, portées par un corps frêle et souple, rappellent de grands acteurs, comme Arthur Stanley (Laurel du légendaire duo Laurel et Hardy) ou Woody Allen, etc. Pour Salim Bensedira (autre figure du théâtre à Sétif), par sa thématique et sa forme, son art rejoint sur tous les points cette veine d'artistes qui marqua le siècle passé avec des noms comme Sid Ali Fernandel, Mohamed Touri, Rouiched. Boualem m'avouera avoir été surtout influencé par Hassan El Hassani, connu à Sétif sous le nom de son célèbre personnage Bou Bagra. Depuis la première troupe de la JFLN, il aura pour fidèle compagnon de scène et ami Messaoud Guediri (1942-1993). Boualem dira de lui que c'était le seul acteur qui était capable de lui tenir tête, de soutenir ses imprévisions déroutantes, son humour irrésistible (souvent, les figurants qui l'accompagnaient ne se retenaient pas et éclataient de rire sur scène, même après avoir joué plusieurs fois la pièce). Après la mort de Messaoud, il faillit arrêter la scène, ayant perdu ses repères pour reprendre ses termes, et n'eussent été le soutien et les consolations de jeunes artistes qui activaient alors à la maison de la culture, il n'aurait pas repris. Sa dernière représentation se fera en 1999-2000 à la galerie des expositions du parc des loisirs, avec la pièce Le docteur ou «en voulant le soigner il l'aveugla», reprise de celle jouée dans les années 1980 avec Guediri.Deux événements, malheureusement sans suite, auraient pu lancer sa carrière professionnelle. Le premier lorsqu'il sera invité en 1964 par Mustapha Kateb, alors directeur du TNA, à rejoindre la troupe de ce dernier. Le second, quand, dans les années 1980, il est remarqué et invité à le rejoindre par Slimane Benaïssa qui préparait alors la pièce Babor ghraq. Aujourd'hui, Boualem a arrêté toute activité artistique. Malade, dans une situation sociale des plus difficiles, dans l'indifférence totale à son sort de la part des autorités locales, aucune aigreur ne transparaît cependant dans son discours, pas le moindre ressentiment, rien que des paroles de pardon, mais néanmoins une petite tristesse légèrement perceptible dans sa voix ; sans doute a-t-il été atteint par la malédiction de cette expression qu'il aime toujours à répéter : «Chaque artiste est triste, on fait rire les gens, mais on ne trouve personne pour nous soulager».