Il a déjà chanté la minijupe, Saddam, le FLN, le FIS, Saïd Sadi ou le service militaire et prépare une chanson en faveur… des prochaines élections locales ! Mohamed Mazouni, chanteur de variétés, se confie sur le drame de sa carrière, celui de n'avoir jamais été pris au sérieux. - Aujourd'hui, quel sujet d'actualité pourrait vous inspirer une chanson ?
Je prépare une chanson pour appeler les gens à aller voter lors des prochaines locales. Je considère qu'il est de mon devoir de demander aux Algériens de saisir leur destin et d'aller voter. Je ne fais pas de politique et je ne cherche pas à influencer le vote des électeurs. Je veux par contre développer leur sens civique. Cette chanson sera en écoute libre sur mon site : mazouni 1944 qu'on trouve sur YouTube. - Vous considérez-vous comme un chanteur marginalisé ?
Oui. Par exemple, je suis rarement invité à la Télévision nationale. Autant je suis respecté par le public, autant je suis méprisé par les responsables. J'ai l'impression qu'aujourd'hui encore je traîne la réputation d'un artiste de second plan que l'on ne prend pas au sérieux. Pourtant, j'ai déjà démontré mes capacités à rebondir et à exister malgré le dénigrement. Quand le raï a explosé dans les années 1980, j'avais pratiquement disparu de la scène artistique. Tout le monde était persuadé que j'étais fini et pourtant j'ai su rebondir. - Dans les années 1960, vous étiez le plus connu des chanteurs yéyé. Comment avez-vous vécu cette période ?
J'ai commencé ma carrière par l'interprétation du répertoire de Khelifi Ahmed et celui des autres chanteurs bédouins. Mais je me suis rapidement rendu compte que ce que je chantais avait très peu d'écho auprès du public. J'ai voulu essayer autre chose, et décidé de chanter en utilisant le langage de la rue, pour être compris par le plus grand nombre. Il faut dire qu'à cette époque, les travailleurs ne maîtrisaient ni l'arabe classique ni le français. Et comme je me suis toujours considéré comme un chanteur proche de la classe ouvrière, j'ai écrit des chansons en utilisant l'arabe dialectal. C'est comme cela que j'ai eu mon premier tube Mchit nakhatbek ind mouwalik ya l'ghzala (je suis venu demander ta main chez tes parents, ndlr). A partir de là, ma carrière était lancée... - Après ce tube, vous avez décidé de partir en France…
Oui, car après ce premier tube, j'ai subi toute une campagne de dénigrement de la part des puristes de la langue arabe. Ils critiquaient mes chansons et mon style qui étaient considérés comme trop commercial. Ils m'en voulaient de chanter en arabe dialectal. Ils s'étaient même attaqués à mon niveau scolaire, sous prétexte que je n'avais pas fait d'études ! Cela ne m'a pas empêché d'apprendre, seul, à lire et à écrire. J'ai même étudié le solfège tout seul ! Par ailleurs, je n'ai jamais prétendu que ce que je chantais était de la poésie, je ne faisais que répondre à une attente de la part d'un public qui voulait des chansons légères. Face à la campagne médiatique menée par les barons de la chanson à texte, j'ai décidé, en 1966, accompagné de ma femme, de partir m'installer en France. Une décision que je ne regrette pas puisqu'elle m'a permis de chanter pour le public émigré. D'ailleurs, j'ai rapidement eu un très gros succès. J'ai enchaîné les tubes jusqu'en 1975. - Vous avez eu dès le départ une approche très commerciale de votre métier…
Absolument. Une chanson est d'abord un produit destiné à être écouté par le plus grand nombre. Comme en politique, un parti qui veut avoir le plus de suffrage doit pouvoir faire parvenir son message au plus grand nombre d'électeurs. Dans la chanson, c'est la même chose. Pour moi cette approche est fondamentale. - Vous chantiez l'amour, l'alcool, les filles… est-ce l'époque qui voulait cela ?
Je chantais la vie. Il y avait une attente pour ce genre de chanson. Mais je n'en faisais pas l'apologie. J'ai souvent utilisé mes chansons pour dénoncer certains travers de la société. Avec El Ghalia, j'ai chanté La minijupe. C'était une chanson où je dénonçais cette tenue. Mais c'est vrai que j'ai toujours osé aborder les sujets qui faisaient polémique. Je ne me suis jamais rien refusé. Si je sentais qu'un sujet pouvait intéresser le public, j'en faisais une chanson. A la longue, c'était devenu ma signature. - Les thèmes que vous chantiez à l'époque ont été repris par les chanteurs raï…
Vous avez raison. A la seule différence que ce que je chantais était plus «propre» que ce qu'ils chantent. Quand à la radio, on diffuse la chanson Nediq oula rayeb batiment alik, j'ai les cheveux qui se dressent sur la tête. C'est une chanson qui appelle à la violence. A l'agression. On peut chanter l'amour sans que cela ne soit un appel à la violence. Un chanteur a un rôle à jouer dans la société. Il est aussi là pour orienter la jeunesse. Il ne peut pas se permettre de chanter n'importe quoi sans penser aux conséquences que cela pourrait avoir. - La nouvelle génération vous a découvert avec votre tube Zdem zdem ya Saddam (fonce Saddam) que vous aviez enregistré lors de la première guerre du Golfe...
J'ai été agréablement surpris à l'époque par l'extraordinaire mobilisation des Algériens pour dénoncer l'intervention américaine et pour leur soutien à Saddam Hussein. Cette mobilisation m'a donné une idée et j'ai composé cette chanson qui a rapidement eu un retentissement auprès de la population. Cette réactivité, vous ne pouvez pas la retrouver chez les autres chanteurs. Elle est ma marque de fabrique. Elle me permet de coller à l'actualité. Je fonctionne comme un journaliste : j'écoute, je regarde et je compose. - N'êtes-vous pas en réalité un grand opportuniste ?
Non. Je sais qu'on m'a collé cette étiquette parce que j'ai composé des chansons pour tous les partis politiques et les hommes politiques algériens. Je l'ai fait parce que j'étais fier de l'arrivée du multipartisme en Algérie. Et puis quand je chante pour le FFS, Saïd Sadi, le FLN, Bouteflika… je chante l'Algérie. Je ne vois pas où est le mal. Si certains veulent me taxer d'opportuniste, c'est leur problème. C'est un genre que j'ai installé et qui n'appartient qu'à moi. Je le fais sans arrière-pensée mercantiliste. - On dit de vous que vous faites du «bricolage» dans vos compositions…
Si cela était le cas, je n'aurais pas pu en faire mon gagne-pain. Je gagne confortablement ma vie grâce aux droits que me reverse la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), en France et l'ONDA en Algérie. - Regrettez-vous d'avoir chanté certaines chansons ?
Oui. Parmi celles que je regrette, il y a la chanson que j'ai écrite pour le parti dissous, le FIS. Non pas pour lui avoir composé une chanson, mais parce qu'il a pris un chemin que je ne partage pas. Il y a aussi celle que j'ai chantée, contre l'avis de mes amis, sur la Palestine, à un moment charnière de ma carrière de chanteur. Je devais signer un important contrat avec un important label. Le contrat était fin prêt, et du jour au lendemain tout a été annulé à la suite de la diffusion de ce titre. Cela m'a causé un grave préjudice et m'a empêché de devenir une star. Par ailleurs, à une époque où j'étais très demandé, j'ai beaucoup composé, sans trop me préoccuper de ce que je chantais. Comme je n'étais pas une vedette, j'étais obligé de tout faire moi-même. Je n'avais ni manager, ni bureau, ni avocat pour gérer ma carrière et m'orienter. - Aujourd'hui, des artistes comme Rachid Taha ou le groupe Orchestre national de Barbès (ONB) vous ont rendu hommage en reprenant vos chansons. Etes-vous touché par cette marque de reconnaissance ?
C'est un grand hommage que me font ces artistes. Pour un chanteur qui a été autant décrié, c'est un extraordinaire pied de nez que de se voir célébré par des artistes aussi talentueux.