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«Ce jour-là, 5 juillet 1962»
Extraits du recueil de récits d'écrivains :
Publié dans El Watan le 24 - 11 - 2012


VERTIGE VERT BLANC ROUGE.
de Maïssa Bey
Je me souviens de ce jour débordant de lumière et de ciel bleu. Avions-nous dormi la nuit d'avant ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Je me souviens de cette exquise sensation de légèreté, au réveil. Ce n'est que bien plus tard que j'ai compris pourquoi : l'étau de la peur venait de se desserrer. A tout jamais.
Je me souviens de la fébrilité, de l'inhabituelle anarchie qui régnait à la maison ce matin-là. Ordres et contre-ordres fusaient de toutes parts sans qu'aucun d'entre nous ne songeât à s'y conformer.
Je me souviens de ma jupe en tergal vert (que d'hésitations, que de conciliabules avant de trouver l'exacte couleur : vert drapeau) que j'avais voulue «à la mode charleston», deux plis plats devant, deux plis plats derrière. Et de mon chemisier en popeline blanche, qu'il avait fallu doubler de peur qu'il ne révèle les contours de ma poitrine naissante de fillette de 12 ans. Sans oublier le foulard rouge noué autour du cou. J'ai moi aussi paradé presque tout l'été avec mon uniforme.
Je me souviens de ces dizaines de fillettes encadrées par des adultes qui tentaient, au milieu du chaos ambiant, d'organiser un simulacre de défilé. Il y avait là, près de moi, ma petite sœur sur laquelle j'étais chargée de veiller. Nous chantions à pleins poumons des chants patriotiques appris les jours précédents dans une petite salle de classe (les écoles étaient fermées) où se retrouvaient chaque après-midi des dizaines d'enfants du quartier, filles et garçons mélangés, de tous âges. Kassamen. Min Djibalina. Litahya el Djazaïr ! Je n'en ai pas oublié les paroles.
Je me souviens de ce pincement au cœur en regardant défiler le long de la rue de Lyon – pas encore débaptisée – juste en face du Monoprix de Belcourt, les djounoud de la wilaya IV, les premiers combattants que je voyais. Héros clandestins enfin livrés à la lumière et à la ferveur de ce jour. Et de mon étonnement en les voyant parader au pas et en uniforme. Dans mon esprit, ils ne pouvaient que ressembler à ces hommes qui surgissaient de l'ombre à la nuit tombée et se réunissaient dans la ferme de mon grand-père, silhouettes enturbannées et vêtues de kachabiyate comme mes oncles, des paysans. Mais était-ce bien ce jour-là ?
Je me souviens de l'espoir insensé qui me faisait scruter chaque visage dans l'espoir d'y reconnaître celui de mon oncle paternel Dhifallah qui, nous avait-on dit, s'était évadé après avoir été fait prisonnier au maquis. Jamais plus personne ne l'a revu, mort ou vif. Son sourire me manque encore aujourd'hui.
Je me souviens de la stridence des youyous des femmes que nous voulions accompagner, et de ceux qu'à notre tour nous essayions de pousser du fond de notre gorge avant que notre voix ne s'éraille et ne se brise dans un couac final plutôt lamentable.
Je me souviens des larmes silencieuses de ma mère, tous les soirs qui ont précédé ce jour. Et de son regard qui s'attardait sur la photo de mon père qui nous fixait, figé dans une éternité noire et blanche, un léger sourire aux lèvres. La même photo que celle qui me fait face aujourd'hui, déposée entre mes livres.
Je me souviens des portes ouvertes, de toutes les portes ouvertes de toutes les maisons dans tout le quartier, et de ces femmes qui, au seuil des maisons, nous tendaient un morceau de pain chaud, un œuf dur, un fruit ou un verre d'eau.
Je me souviens de cette femme marchant seule dans les rues, voilée de blanc, droite et silencieuse, portant à bout de bras un drapeau attaché par deux nœuds à un bâton. Je l'ai revue les jours suivants, un peu plus égarée chaque jour.
Je me souviens de la foule, de l'immense clameur de la foule à Sidi Fredj, ce lieu emblématique qui devait voir se sceller une page de notre histoire. De l'odeur de la mer mêlée au soleil et au vent de la liberté. Je n'avais pas encore lu Rimbaud.
Je me souviens de cette déferlante humaine qui allait vers la mer, qui avançait au milieu des vignes écrasant les claies de roseaux, les treillages et les ceps sur son passage.
Je me souviens du cri d'un homme au-dessus de nos têtes : ne piétinez pas les terres ! Elles sont à nous maintenant, à nous ! Et la foule soudain disciplinée, qui répercutait ce cri.
Je me souviens avoir été embarquée dans un bus bondé pour rentrer chez moi le soir venu. Brûlée de soleil et sans voix. Et là, précis, un goût de miel et de citron.
Je me souviens avoir souhaité, juste avant de m'endormir, que les jours suivants ressemblent à celui-là. Tous les jours suivants.
Mais peut-être ai-je inventé ce dernier souvenir. Aujourd'hui et maintenant.
SOUVENIRS, SOUVENIRS…
de Habib Tengour
Quand j'ai demandé une copie et une feuille de brouillon supplémentaires, le surveillant m'a fait une remarque : «C'est l'Indépendance qui vous inspire ?!»… J'ai souri bêtement. En regagnant ma place, je me sentais humilié. Pauvre con ! Et puis, merde, j'étais fier d'être Algérien. On vous a battus ! Nous sommes libres maintenant. Crève salope ! J'enrageais… Calmos… Reprendre posément ma dissertation : «Objets inanimés avez-vous donc une âme/ Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer», commentez et discutez ces deux vers de Lamartine. Quand le proviseur avait lu le sujet avant de le distribuer, j'ai failli hurler de joie. Génial ! Le Romantisme, je savais tout ! Avec Alain, on avait fait un exposé fleuve, on avait abordé le Sturm und Drang, le roman gothique, la bataille d'Hernani, le mal du siècle, et pas seulement la littérature, on avait parlé de la peinture et de la musique. Nos camarades de classe nous encourageaient à le prolonger, ça évitait une dictée, l'angoisse ! ou que la prof n'interroge sur un des textes du Lagarde et Michard… «T'as le cul bordé de nouilles !», me dira Pupuce à la sortie. Il avait toujours des formules époustouflantes. C'est sûr, j'étais verni. J'avais de quoi écrire. Je jubilais. La baraka, elle traverse la mer… «T'emballe pas !», me chuchotait mon bon génie, «fais un plan, ne te noie pas dans les détails, va à l'essentiel…»… J'avais bien construit ma disserte et rempli ma double feuille au propre, il me restait un petit paragraphe et la conclusion. La remarque de ce facho cognait dans ma tête. Il l'avait dit méchamment. Ne pas le regarder, gommer sa face de rat... Qu'est-ce que je pouvais répondre ? Laisse tomber ! Nous étions indépendants, mon père ne parlait que de ça avec Mustapha, Sadek, Mohamed et Abdallah. Fallait-il rentrer tout de
suite ? Il y avait des exécutions sommaires. J'avais entendu à la radio les commentaires de Geneviève Tabouis, le dimanche matin. Mon père avait pris son billet d'avion, il voulait se rendre compte sur place de la situation. J'étais chagriné, l'indépendance arrivait trop tôt. C'était frustrant, j'avais tellement rêvé de prendre le maquis… J'allais retrouver mes amis d'enfance, la souiqa, la mer… Je ne faisais pas attention aux discussions, je potassais mon BEPC. Une appréhension…
L'épreuve de maths me sembla facile. Le surveillant circulait entre les rangées, ce n'était pas le même, il jetait un œil distrait sur les copies. Lorsqu'il s'est approché, j'ai souri et toussoté pour attirer son attention sur mes feuilles de brouillon. Imperturbable, il regarda attentivement, posa son index sur une équation, comme s'il voulait l'effacer, puis continua sa déambulation. Effectivement, j'étais tombé dans le panneau. Je refis mon brouillon. A son deuxième passage, je glissais les feuilles pour lui montrer mes corrections. Il avança lentement sans s'arrêter, mais j'étais sûr qu'il avait vu. Celui-là devait être coco…
A midi, on avait tout fini.
Aller chez l'Oranaise, rue de la Folie Méricourt, j'ai couru après le 75 qui ne s'est pas arrêté à La Grange aux Belles. Pas la peine d'attendre, il y en aurait pour au moins vingt à trente minutes. Je suis allé à pied. L'Oranaise était une responsable du Front, elle s'occupait des femmes. J'allais souvent chez elle, à son hôtel restaurant, en sortant du lycée. Elle m'offrait à déjeuner et à goûter… Ma mère voulait l'inviter à Massy. On venait de déménager dans un HLM tout neuf et elle n'était pas encore venue. Ce jour-là, c'était plein à craquer. Mauricette et deux nouvelles serveuses s'activaient au milieu d'hommes agités, braillards qui commandaient tous les plats à la carte. L'ambiance des grandes fêtes… Le va-et-vient des hors d'œuvres, des plats de résistance et des fruits, des fromages, des desserts donnait faim. Je lorgnais des tranches de pastèque. Je n'avais pas un rond. Se tirer vite fait, je n'allais pas quémander. «Tu veux manger ?» me demande Mauricette. J'avais déjà eu un déjeuner à l'œil trois jours plus tôt. J'ai remercié, non, j'avais déjà mangé. Elle n'insista pas, happée par deux gaillards qui réclamaient des flans caramel. Quand elle repassa, je demandais où était Tata. Elle répondit qu'elle ne rentrera pas avant le soir. «Des œufs mimosa !», beugla un petit vieux.
Il y eut soudain un grand raffut à la porte. Un groupe de femmes entra en lançant des youyous. Elles prirent des cuillères et des casseroles et se mirent à jouer et à chanter. Quelques hommes se déchaussèrent et montèrent sur les tables desservies pour danser ; d'autres tapaient des mains, certains jetaient des billets de dix francs à l'orchestre improvisé. Une cacophonie. Ma tête allait éclater. Je n'avais rien à faire là. J'étais fatigué, maussade. Je m'éclipsais sans dire au revoir à Mauricette.
Longtemps plus tard, j'ai su qu'à l'occasion de l'Indépendance, tous les restaurants algériens en France offraient à boire et à manger gratuitement toute la journée du 5 juillet…


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