Alors que la corruption gangrène le pays, la Cour des comptes, elle, peine à accomplir sa mission. L'institution se trouve impuissante face à l'ampleur inquiétante d'un désastreux fléau qui menace la sécurité nationale. Les magistrats de cette auguste cour tirent la sonnette d'alarme. Réuni, hier, en session extraordinaire, le Syndicat national des magistrats de la Cour des comptes (SNMCC) a saisi le président de la République, attirant son attention sur la situation «catastrophique» dans laquelle est empêtré la Cour des comptes. Les magistrats estiment que les difficultés dans lesquelles est enserrée la cour en matière de gestion interne empêchent l'institution d'accomplir la mission de lutter efficacement contre la corruption et toute forme de dilapidation de deniers publics. Très remontés, les magistrats chargent le président de la cour, Abdelkader Benmarouf, qui, selon eux, «ne prend pas en charge» les revendications du syndicat. «La direction de la cour est dans un sommeil profond», accuse-t-il encore. La cour souffre d'un manque flagrant de ressources humaines. Elle ne dispose que de 160 magistrats chargés de couvrir tout le territoire national et de contrôler toutes les institutions et autres sociétés. Sonatrach, à elle seule, nécessiterait 200 magistrats pour «éplucher» ses comptes. «Il est inconcevable que la Cour des comptes continue de fonctionner seulement avec 160 magistrats, alors que le pays est exposé à une corruption généralisée. Cela ne suffit même pas pour contrôler 20 communes. Il nous faut au moins 600 magistrats. Nous avons comme une impression qu'on veut étouffer cette institution qui devrait être fortement soutenue pour qu'elle puisse se dresser efficacement contre le danger de la corruption», regrette le président du SNMCC, Zineddine Harèche. Des magistrats soumis aux pressions des lobbys Ce dernier, qui loue «le courage» des magistrats, évoque des pressions qui pèsent sur eux. «Les magistrats de la Cour des comptes subissent de terribles tensions de la part des groupes de pressions et des puissants lobbys influents. Nous sommes conscients des risques que nous encourons, parce que dans nos missions, nous dérangeons des intérêts», révèle M. Harèche. Face à ces pressions, des magistrats ont dû jeter l'éponge. «Un de mes collègues a été menacé de mort. Il a dû quitter et changer de métier. D'autres magistrats subissent ce genre de menaces dans l'exercice de leur mission», témoigne encore le président du SNMCC. La Cour des comptes, qui a remis récemment un rapport relatif à la loi du règlement budgétaire de l'exercice 2010, révèle l'étendue de la corruption. Elle porte à la connaissance des parlementaires les graves irrégularités liées à la gestion des deniers publics. Le dernier rapport de Transparency International place l'Algérie parmi les pays les plus corrompus au monde. Elle est classée à la peu honorable 105e place. «Ce n'est que la face apparente de l'iceberg. Ce que contient ce rapport est insignifiant par rapport à la réalité de la corruption qui ronge notre pays», constate le magistrat Zineddine Harèche. Aucun secteur n'est épargné par ce virus qui infeste tous les rouages de l'Etat. «La corruption est partout. Il y a de graves dépassements et infractions dans la gestion. Elle infeste tous les secteurs sans exception. De la petite commune aux grandes entreprises et institutions», assure M. Harèche. Il met en garde contre les conséquences désastreuses de ce fléau qui «menacerait la sécurité du pays». La Cour des comptes qui présente des rapports circonstanciés s'apprête à remettre son expertise annuelle au président de la République. Le SNMCC ne veut pas d'un rapport tronqué. «Nous voulons tout donner au Président, l'informer de la réalité de la corruption. Les magistrats ont sérieusement travaillé à l'élaboration de ce rapport et nous ne voulons pas qu'il soit tronqué. Nous voulons qu'il soit remis dans sont intégralité», a exigé le président du SNMCC. Le président de la République n'est sans doute pas dans l'ignorance du désastre qui frappe le pays. La lutte contre la corruption requiert une réelle volonté politique. Parvenir à éradiquer ce fléau exige une sérieuse démocratisation de l'Etat et une vraie transparence dans la gestion des deniers publics.