Il nous arrive parfois d'être heureux lorsque chez des amis, amis bien chanceux il faut le reconnaître, nous rencontrons un tableau signé Arezki Larbi accroché toujours à la même place, la meilleure bien sûr, et nous nous sommes toujours demandé avec grande curiosité lequel des deux observe l'autre. Nous retrouvons aussi ce plaisir lorsqu'il nous arrive parfois de prendre entre les mains notre premier livre dont il avait conçu la couverture. Ces deux moments privilégiés nous rappellent instantanément la collection d'affiches que l'artiste avait créée pour le compte de la Cinémathèque algérienne sur le thème «Un peintre regarde le cinéma». Arezki Larbi, que nous évoquons aujourd'hui, est un peintre talentueux et original. Cet homme calme et posé, ce personnage à la voix douce et tranquille, a supporté avec philosophie, et très souvent avec humour, nos impatiences, notre activisme et parfois même nos commandes. Nous avions alors souvent ressenti la peur de nous retrouver dans la peau de ce producteur que définit si bien Robert Bresson : «Il est si difficile d'habitude de mettre quelque chose de soi dans un film qui doit être agréé par un producteur.» Et ainsi qu'avec l'ami Arezki, nous avons compris cette phrase de Picasso : «Trouver d'abord et chercher ensuite.» Si nous nous permettons d'associer aujourd'hui dans un même texte Arezki Larbi et Robert Bresson, c'est parce que tous deux se ressemblent beaucoup. C'est Jean-Luc Godard qui nous permet de découvrir le grand cinéaste français dans une interview qu'il avait accordée, interview absolument brillante et le résultat est foudroyant, voici ce que disait Bresson: «Il faut laisser le spectateur libre. Et il faut en même temps vous faire aimer de lui. Il faut faire aimer la façon dont vous rendez les choses. Cela veut dire : lui montrer les choses dans l'ordre et de la façon dont vous aimez les voir et les sentir ; les lui faire sentir en les lui présentant, comme vous les voyez et les sentez vous-même, et ce tout en lui laissant une grande liberté, tout en le rendant libre. Or, cette liberté, justement, est plus grande avec le son qu'avec l'image.» «…Il ne s'agit pas de travailler pour un public, il y a rien de plus stupide, de plus vulgaire que de travailler pour un public. Bon, ceci vis-à-vis de cela, le public c'est moi, je veux dire que si j'essaie de me représenter ce que ressentira le public, je ne peux faire autrement que de me dire : le public c'est moi. Donc, on ne travaille pas pour un public. Mais ce qu'on essaie de faire doit quand même…» «Car nous retrouvons au fond les mêmes chances d'acceptation par le public qu'un peintre par exemple, mais au bout d'un certain temps. Ainsi quelqu'un me posait l'autre jour la question : est-ce que vous croyez qu'un seul film de vous pourrait toucher les gens ? Il peut, peut-être, toucher certaines personnes, mais je ne crois pas qu'un seul tableau de Cézanne ait fait comprendre ou aimer Cézanne, ait fait sentir Cézanne. Il en faut pas mal de tableaux !... Imaginer un peintre peignant un Cézanne sous Louis XIV, absolument personne… Enfin on aurait mis le tableau au grenier ! Il nous faut donc plusieurs films, et au fur et à mesure que nous faisons des films, il est bon et agréable de sentir que le public, tout à coup, essaie de se mettre à notre place et d'aimer ce que nous aimons. Aimer dans ce que nous aimons, et dans la façon dont nous aimons les choses et les gens.» Godard fait dire à Bresson d'autres choses encore terribles et extraordinaires, nous en reprenons quelques-unes seulement : «…C'est donc par le cinématographe que revivra l'art que le cinéma est en train de tuer.» ou encore : «Un film pour moi, c'est non seulement travailler au film, mais être dans le film. J'y pense tout le temps, et tout ce que je vis, ce que je vois tout cela se situe par rapport au film, passe par le film.» Bresson, ce cinéaste parfait, maniaque du vrai comme il le dit si bien, nous permet de vivre un autre grand moment, lorsqu'il devient philosophe : «Je suis sûr que nous sommes environnés de gens de talent et de génie, mais la vie les aplatit.» Ce n'est pas Robert Bresson, ce peintre devenu cinéaste, qui contredira Arezki Larbi, ce peintre qui deviendra cinéaste, quand il nous affirme avec grande finesse : «Lorsque nous contemplons une œuvre, il faut rechercher le beau dans nos yeux, dans notre regard.»