Depuis la récupération de la «révolution du jasmin» par les islamistes, la Tunisie fait face à une vague de violence qui met le pays dans une situation d'instabilité inquiétante. Hier citée par les Occidentaux comme modèle de démocratie avancée qui devait servir d'exemple à tout le Maghreb, la Tunisie voit aujourd'hui son image se dégrader sérieusement à l'extérieur de ses frontières au point où sa principale source de richesse, le tourisme, s'en est trouvé menacée. Mais il n'y a pas que cela. Plus fondamentalement, c'est l'avenir du pays en tant que nation moderne, ouverte sur le progrès social et le respect des libertés, qui est devenu un enjeu capital depuis que les barbus se sont emparés du pouvoir. Devant l'intransigeance d'une société civile qui refuse de voir la Tunisie basculer littéralement dans l'archaïsme, les intégristes pratiquent la politique du pire pour semer la terreur et annihiler tout mouvement de mobilisation et de contestation dirigé contre eux pour faire triompher l'idéal démocratique. Ce sont les ultras appartenant à la mouvance radicale du Pouvoir en place qui créent le désordre en voulant, par la force et la violence, imposer leur vision rétrograde aux populations. Ce sont donc ces troupes bien organisées qui agissent sous le couvert d'une «légitimité» populaire qui laisse désormais des doutes dans l'esprit de bien des observateurs avertis et qui surtout se donnent le droit d'accomplir en toute impunité leur mission de moralisation de la société avec la bénédiction des nouveaux maîtres du pays qui paradoxalement sont aujourd'hui mis à l'index par… leurs propres mentors, notamment celui qui les représente, qui a toujours cautionné leurs forfaits et qui n'a jamais caché son jeu de vouloir changer la nature idéologique de la Tunisie, en l'occurrence le chef spirituel du courant islamiste et leader incontesté du parti Ennahda, Rached Ghannouchi. On ne sait pas si c'est sous la pression des événements tragiques que vit depuis quelque temps le pays qu'une telle attaque a été lancée ou s'il s'agit encore une fois d'un discours de circonstance pour disculper sa responsabilité, mais le fait est que la sortie médiatique de l'ancien exilé de Londres a suscité beaucoup d'interrogations et de suspicions. « Le terrorisme sera combattu avec fermeté et sans relâche», a-t-il déclaré tout en soulignant la nécessité d'assainir le pays. Alors que la Tunisie subit des tensions sécuritaires de plus en plus vives provoquées par les réseaux salafistes qui se sont multipliés, Ghannouchi sort ainsi du bois pour affirmer que «le terrorisme ne survivra pas, car ce fléau n'a pas de raison d'être dans un pays musulman qui garantit toutes les libertés, y compris de presse, d'expression et de culte». La prophétie est d'une implacable clarté, mais faut-il accorder un quelconque crédit à un zaïm (dans son genre) qui a tout fait pour détourner de son cours initial la révolution menée par la jeunesse tunisienne pour mettre fin à la dictature de Ben Ali, et qui, aujourd'hui, acculé de toutes parts, surtout par l'Occident qui menace de lui fermer les vannes, se montre impartial avec ses «frères» de combat pour que les dérives ne soient pas encore plus désastreuses. Dans cette partie qui se joue à la manière d'un poker menteur, il ne faut surtout pas perdre de vue le fait que l'homme qui s'érige en protecteur du pays a été lui-même un membre actif du terrorisme sous le règne de Ben Ali. L'attentat qui avait été commis à l'époque sous ses ordres dans une station balnéaire pour faire fuir les touristes lui avait valu l'expulsion, un exil doré dans le royaume de sa majesté dans lequel il a su savamment se construire un mythe. Comment donc un ex-terroriste arrive-t-il à se convertir au langage de la raison pour lequel ne cessent d'appeler les démocrates tunisiens alors que dans les faits, la politique et le programme de son gouvernement vont dans la direction opposée. A ce propos, ce n'est pas une mince apostrophe que cette interpellation des députés qui accusent le gouvernement «d'avoir fait de la Tunisie un Etat terroriste qui exporte les terroristes, aux dépens de la réputation du pays à l'étranger». Cette phrase semble avoir fait mouche puisque au sommet de la hiérarchie, ça bouge ! «Ghannouchi a visiblement peur que ça dérape de partout, et son intervention ne fait aucun doute sur son intention d'arrêter les frais avant que cela ne devienne trop tard. Le gouvernement, pour sa part, se dit capable de démanteler les groupes terroristes, tout en annonçant que la bataille contre le terrorisme passe obligatoirement par la reprise en main des mosquées…» Comme quoi, gagner la bataille idéologique reste primordial dans le long combat contre la vision radicale des fondamentalistes. Ce qu'il faut penser d'une telle attitude, c'est qu'elle intervient à un moment crucial de la vie sécuritaire du pays que les militants de Ennahda ont livré aux salafistes avant de se retourner (formellement ?) contre eux. Mais rien ne nous dit que l'appel du chef spirituel mérite la confiance des Tunisiens tellement les islamistes nous ont habitués au louvoiement et surtout au double langage. Ce qui est cependant sûr, c'est que chez nous, dans les années sanglantes du terrorisme, les leaders du parti intégriste qui voulait diriger le pays, le FIS, n'ont jamais prononcé une seule fois le mot terrorisme. Pour eux, c'étaient des combattants (des moudjahidine) pour l'instauration d'un Etat théocratique. De là à ce que Abassi Madani ou Ali Benhadj menacent de faire la guerre à leurs frères de combat pour que cesse le terrorisme… C'est cette particularité entre les deux islamismes — algérien et tunisien — qui devrait intéresser les sociologues, et qu'on retrouve par exemple dans la télé créée par le fils de Abassi Madani, El Magharibia, à travers sa nostalgie de nous ramener constamment dans la décennie noire. L'Algérie, pour finir, découvre presque subitement que le wahhabisme, l'ahmadisme et le chiisme prolifèrent et vont jusqu'à menacer la sécurité et la cohésion sociale. Mais qui les a laissé prospérer ? On attend de Makri qui vient de prendre la tête du MSP de nous donner la bonne réponse…