Moscou pourrait recourir à l'arme du gaz en augmentant les prix pour Kiev. Dépendante du gaz naturel russe qui transite par l'Ukraine, l'Europe pourra-t-elle subir le contrecoup économique d'une aggravation des tensions géopolitiques dans la région ? Les divers épisodes de pénurie de gaz, vécus en Europe, notamment en 2006 et 2008, après l'interruption des livraisons russes, sont encore présents dans les esprits et font resurgir de nombreuses craintes. Selon certaines analyses répercutées par la presse en Europe, la détérioration des relations entre les deux parties occasionnerait des pertes aussi bien pour les Russes, qui exportent la plus grande part de leurs hydrocarbures vers l'Europe, que pour ses voisins de l'Ouest dont l'économie est fortement dépendante des livraisons transitant par l'Ukraine. Ce sont notamment l'Allemagne et les pays de l'Europe centrale et orientale qui pâtiront d'une suspension des exportations, comme ce fut le cas durant les années précédentes lorsque Moscou avait suspendu ses livraisons à l'Ukraine lors de négociations sur les prix avec Kiev. Le groupe russe Gazprom a annoncé il y a quelques jours, selon l'agence Reuters, que le transit de gaz vers l'Europe via l'Ukraine était normal, tout en avertissant qu'il pourrait augmenter les prix pour Kiev au-delà du premier trimestre, ce qui a ravivé les craintes de voir Moscou recourir à l'arme du gaz dans la crise actuelle. Toutefois, les analystes notent que grâce à un hiver doux sur l'ensemble de l'Europe, les stocks de gaz sont exceptionnellement élevés dans la région, ce qui limiterait l'impact d'une éventuelle suspension de l'approvisionnement. Ils ajoutent que le développement des infrastructures gazières permet à une forte proportion de l'offre russe d'arriver en Europe en passant par des circuits alternatifs tels que le gazoduc Nord Stream, qui traverse la Baltique en direction de l'Allemagne, ou par un gazoduc qui passe par la Biélorussie et la Pologne pour aboutir également en Allemagne. Tarifs PREFERENTIELS Selon Nicolas Mazzucchi, chercheur spécialiste des questions énergétiques, interviewé par le site d'information Atlantico.fr, «la Russie fournit de l'énergie à des tarifs préférentiels en fonction des relations qu'elle entretient avec les pays. Elle fournit très peu à court marché, mais plutôt à long marché, avec des facilités pour des pays qui lui sont proches, comme l'Allemagne. Si demain elle décide de vendre à court marché, on n'aura pas une rupture des relations énergétiques, mais l'impact sera tout de même très important. Cela a été parfaitement compris par Vladimir Poutine dès son arrivée au pouvoir et c'est l'un des éléments de son arme diplomatique gazière». Pour l'expert, l'Europe et la Russie ont besoin l'une de l'autre. «Ce jeu de dépendance croisée fait que la relation a parfois du mal à se mettre en place de manière sereine car chacun soupçonne l'autre d'instrumentaliser le volet économique et de vouloir accroître sa puissance au détriment de l'autre», a-t-il expliqué. Il fait remarquer par ailleurs que l'Union européenne n'est pas un bloc unifié. «On a le bloc des pays moins orientés vers la Russie pour des raisons historiques, les pays baltes, ou géoéconomiques comme le Royaume-Uni. Il y a ensuite le bloc pro-russe composé de l'Allemagne, la Slovaquie, certains pays du Caucase, et un troisième groupe France, Portugal, Espagne, qui ont peu de liens et qui jouent un peu le rôle de tampon.» Il y a donc, poursuit Nicolas Mazzucchi, un éclatement des opinions européennes vis-à-vis de la Russie. «Si l'on y ajoute le jeu des Etats-Unis via l'OTAN, ça complexifie encore l'affaire», selon l'expert. Il est à savoir que la Russie est le premier fournisseur en gaz de l'Europe et alimente environ le quart de la demande en Europe continentale, soit un flux quotidien d'environ 270 millions de mètres cubes par jour, l'équivalent quotidien de près de 100 millions de dollars. Un tiers des exportations de gaz russe passe par l'Ukraine, selon les chiffres publiés par l'agence Reuters. Zhor Hadjam