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L'Université va mal
Situation délétère à Ghardaïa
Publié dans El Watan le 16 - 04 - 2014

«On ne comprend plus ce qui se passe. On est fatigués. On veut que ça cesse. C'est notre avenir qui est en danger.» Cette phrase est revenue dans la bouche de Rabab, Sara, Belkacem, Mohamed, Amine et tant d'autres étudiants de Ghardaïa, malékites soient-ils ou ibadites. Des étudiants qui vivent au quotidien, depuis des mois déjà, un regain de violence inouïe, qui les prend en tenaille, menaçant sérieusement leur cursus universitaire. Reportage.
Nous sommes vendredi, et j'arrive épuisée à Ghardaïa. Le trajet Alger-Ghardaïa par bus a été éprouvant. La gorge sèche et les poumons en feu, je tente d'aspirer une goutte d'air encore plus sec. La chaleur est étouffante et ce qui ne fut qu'une petite inquiétude se transforme petit à petit en vraie peur-panique à mesure que nous nous rapprochons de Ghardaïa, et pour cause : à quelques kilomètres de Berriane, les chauffeurs de véhicules roulant en sens inverse adressent des signes au chauffeur de notre bus pour qu'il fasse demi-tour.
Des appels téléphoniques venant de ci de là confirment que de violents affrontements ont éclaté entre Malékites et Ibadites à Berriane. Pis, ils s'en sont pris arbitrairement à un bus de voyageurs et à quelques véhicules en les caillassant et en leur cassant de nombreuses vitres. Les renforts de CRS dépêchés sur les lieux semblent dépassés, épuisés. Le chauffeur, un moment perplexe face à cette décision si douloureuse face à un dilemme, décide malgré tout de continuer en appuyant à fond sur l'accélérateur et en priant pour que nous nous en sortions indemnes. Moi, la peur au ventre, j'essaie de ne penser qu'à ces étudiants qui bravent chaque jour la violence et la peur pour aller suivre leurs cours à l'université. Sauf que je n'ai jamais pu imaginer l'ampleur de l'horreur et de la terreur auxquelles ils font face.
«Je veux juste terminer ma thèse et la soutenir»
Rabab a 27 ans, elle est étudiante en 2e année de magistère en psychologie à l'université de Ghardaïa. Les traits tirés, le visage blême et les yeux cernés par un «éveil forcé», elle est hébétée face à tant de violence. Malékite, elle dit ne plus supporter cette situation qui dure depuis bientôt cinq mois. «Nos enseignants viennent pour la plupart de l'extérieur de la wilaya. Parce qu'ils ont peur, ils ne viennent plus. Cela fais trois semaines qu'on n'a pas eu de cours», explique-t-elle.
Sa peur est grande et elle se lit sur son visage, dans ses yeux et à travers ses mains qui tremblent. Sa peur est justifiée. «On sort le matin, et on ne sait pas si le soir on retournera chez nous vivants. En fait, on ne sait même pas si on arrivera à l'université sans être agressés et blessés. Ici, rien n'est garanti. On a même raté des examens à cause de cette situation. J'ai arrêté ma thèse. Tout est bloqué», témoigne cette habitante du quartier chaud de Mermed. Selon elle, les Malékites et les Ibadites de ce quartier étaient le meilleur exemple de la cohabitation. «On ne sait pas pourquoi cette ‘‘fitna'' (sédition, Ndlr). Des camarades mozabites demandent de nos nouvelles, sans plus, alors qu'avant on s'entendait très bien. Celle qui m'a formée est une Mozabite. Elle était et est toujours comme une sœur aînée pour moi», ajoute Rabab qui reconnaît cependant que pour le moment «le stress nous achève».
Amel, de son côté, n'est pas mieux, mais reste quand même lucide. «Avant, on faisait, des sorties, des études et des TP ensemble avec nos amis mozabites sans aucune sensibilité. On n'a jamais eu de problèmes. On ne sait pas ce qui s'est passé. Il faut vous dire qu'on ne garde plus les mêmes relations avec eux. On veut que cela s'arrête. On sait qu'il y a une partie derrière tout ça, mais nous on veut que l'Algérie reste unie», rapporte Amel, étudiante en 3e année hydraulique. Elle indique que plus de 20 Ibadites ont tété sa grand-mère. «Ils sont donc, d'une certaine manière, mes oncles et mes cousins. Cela doit cesser premièrement parce que nous pratiquons la même religion, deuxièmement parce que nous sommes voisins depuis des générations, et troisièmement parce que nous sommes quelque peu frères et parents du fait de cet allaitement», conclut-elle.
La paix, rien que la paix
Préparant un master en écologie et environnement, Sara peine à contrôler sa colère et son chagrin. «La société et la vie se dégradent à Ghardaïa. Il n'y a plus de confiance et on n'est sûr de rien. Il faut que je me renseigne très bien sur l'ambiance ambiante avant de sortir, et même là je ne suis pas tranquille. Le 15 mai, je dois déposer mon mémoire de fin d'études. On est à la mi-avril et je n'ai même pas terminé le 1er chapitre», s'insurge-t-elle. Pour l'illustration, elle rapporte un incident très grave survenu le lundi 7 avril. Un bus universitaire rempli d'étudiants a été attaqué par une foule de jeunes déchaînés.
«Vers midi, le bus du COUS a démarré de l'université. Quelque 30 minutes plus tard, on est arrivés au Carrefour Sidi Abaz. Il y avait dans tout le bus trois Mozabites seulement, alors que le reste c'étaient des Arabes. Les premiers sont descendus un arrêt avant le carrefour en question. Des policiers ont sommé le chauffeur, qui est lui aussi Mozabite, de passer directement sans observer le sens giratoire, mais il a refusé. Quelques mètres plus loin, il s'arrête et nous dit qu'il n'allait pas continuer et que nous devions descendre du bus et nous débrouiller sans lui pour rentrer chez nous. Nous avons bien sûr refusé, surtout que nous étions toutes des filles et qu'il n'y avait que deux garçons avec nous. Alors là, le chauffeur quitte le bus et ferme les portes en nous laissant à l'intérieur. Subitement, une horde de jeunes déchaînés nous encercla. Ils ont commencé alors à nous jeter des blocs de pierre, cassant des vitres et blessant de nombreuses étudiantes. Ils se sont ensuite dénudés devant nous et ont proféré à notre encontre des obscénités à faire rougir de honte un mort», raconte Imane qui, elle, est agent informatique à l'université de Ghardaïa et était ce jour-là dans «le bus de la terreur».
Ce jour-là, elle a eu un traumatisme au pied et aux lombaires. Aujourd'hui, Imane a très peur et elle ne va plus à l'université car le chemin «est parsemé de dangers». «A l'université, il n'y a jamais eu de distinction entre Mozabites et Arabes. Je suis malékite et je confirme qu'on peut trouver parmi les ibadites ceux qui sont plus que des frères. On ne veut pas de cette violence. On veut la paix et rien que la paix», enchaîne Sara. Mouloud Ouyahia, Directeur des œuvres universitaires (DOU) de Ghardaïa, explique : «Ici, on ne fait pas de différence entre malékites et ibadites, et le milieu universitaire ne doit jamais être un terrain pour ce genre de conflit. L'université est un lieu de savoir, point à la ligne. J'ai averti tout le monde : ici, nous sommes tous des Algériens.»
Revenant sur la fameuse «affaire du bus», il révèle que des plaintes ont été déposées contre le chauffeur par le DOU et par des étudiantes et étudiants présents ce jour-là dans le bus en question. «Je ne sais pas si ce chauffeur a quitté le bus et abandonné les étudiants à dessein, mais ce qui est sûr c'est qu'il a failli à son travail, et il doit donc répondre de ses actes devant la justice», maintient-il. Nourredine El Magbad, directeur de la résidence universitaire de jeunes filles les 1000 Lits, estime que «cette fitna nuit à tout le monde sans exception.»
Il a 20 ans, il est étudiant et vient de perdre un œil
Il s'appelle Belkacem et n'a que 20 ans. Etudiant en sciences de gestion, il était, en cette soirée fatidique du 4 février, en train de réviser ses cours et de préparer un examen chez son ami à Mermed. «A 22h passées, on a entendu une clameur qui ne faisait que s'amplifier. En sortant dehors voir de quoi il retournait, j'ai reçu un bout de ferro (fer rond, Ndlr) dans l'œil. Maintenant, je n'ai qu'un seul œil. Je ne comprends pas pourquoi. Qu'est-ce que j'ai fait ?», demande-t-il d'une voix cassée. Entouré de ses parents, de ses frères et sœurs mais aussi de ses voisins, il tente de tenir le coup. Mais ce n'est pas facile. «Il ne faisait que réviser ses cours avec son ami. C'est trop injuste», mentionne sa mère.
Une mère éprouvée dans ce qu'elle a de plus cher puisque son autre fils, Salaheddine, qui travaillait dans une autre wilaya et qui était rentré pour un congé, a été gravement blessé au genou avec le même genre de projectile. Après une intervention chirurgicale compliquée, il a la jambe dans le plâtre jusqu'à mi-cuise. Oubliant sa douleur pour ne penser qu'à son jeune frère, il souligne : «On sera toujours là pour lui. On l'entourera de toute notre affection. Il ne sera jamais seul.» Mais que va faire Belkacem maintenant ? «Je vais poursuivre mes études et réussir. C'est ma seule arme. C'est mon seul choix», déclare-t-il sans hésiter.
«Ces sauvages ne nous représentent pas»
Plus discrets et plus rares, des étudiants issus de la communauté ibadite ont également témoigné… sous couvert d'anonymat. Par peur de représailles sûrement. «Oui, j'ai peur. Mais j'ai beaucoup plus peur des gens de ma communauté que des Arabes. S'ils se rendent compte que j'ai parlé à la presse, je ne sais pas ce qu'ils pourraient me faire, mais je l'imagine aisément. Beaucoup de Mozabites qui ont aidé et protégé des Arabes l'ont payé très cher de la part d'autres Mozabites. Je ne me reconnais pas dans cette sauvagerie. Je suis dégoûté par ce qui se passe. Je ne comprends rien à tout cela, mais je sais aussi que chacun y a une grande part de responsabilité et c'est tout le monde qui est perdant», soutient Amine, visiblement terrorisé.
Le contact avec lui a été très difficile. Lui aussi est un jeune étudiant qui, en dehors de l'université, a peur des deux camps, les Mozabites auxquels il appartient et les Châamba. «Nos parents, dès notre très jeune âge, nous élèvent avec l'idée que les malékites sont des gens dangereux, à éviter et en qui on ne doit jamais avoir confiance. Mais quand je les côtoie, je découvre des gens comme tous les autres. Mieux, je découvre des gens qui jouissent beaucoup plus de liberté que nous, les ibadites, trop renfermés sur nous-mêmes. J'ai tellement envie de m'insurger contre les pratiques archaïques de ma communauté et vivre comme le reste des Algériens, mais j'ai peur. J'ai tellement peur. Je veux vivre en Algérie, pas dans un Etat mozabite auquel appellent des gens comme Kameleddine Fekhar qui ne représente même pas la majorité des Mozabites», confie encore Amine. Pour Mohamed, un autre étudiant ibadite, «l'Etat doit mettre fin à ces violences qui endeuillent de plus en plus de familles.»
Selon lui, «le problème n'est ni d'ordre religieux ni identitaire, mais seulement une magouille qui se sert tantôt de la religion tantôt de la politique pour préserver des intérêts sordides.» Sans trop s'attarder sur cette analyse, il dit qu'aujourd'hui ce qui se passe à Ghardaïa est une réelle menace qui pèse sur l'unité de l'Algérie. Quant à ses études, il y a longtemps que Mohamed ne suis plus ses cours que d'une oreille distraite et un cœur rempli de chagrin. A-t-on le droit de prendre en otage son avenir et celui de milliers d'étudiants, malékites ou ibadites, arabes ou mozabites, élite de la société et futurs cadres de la nation ?
Et du côté des universitaires ?
Mohamed Aïssa, ibadite, doctorant en physique énergétique et mécanique des fluides, et chercheur au Centre des énergies renouvelables de Ghardaïa, le problème est foncièrement politique. «On peut facilement lier les événements des années passées à des événements politiques tels que des visites de nos officiels soit à l'étranger, soit à Ghardaïa ou ses environs. Malheureusement, les gens sont facilement manipulables. Normalement, on ne doit pas tomber dans ce genre de piège. Ici où nous travaillons, nos relations avec nos collègues malékites sont très solides. Il ne s'agit pas seulement de relations de travail, mais d'une vraie amitié. On discute souvent de ce problème sans que cela crée des animosités entre nous. Notre mission c'est de construire et non de détruire», aspire-t-il. Youcef Bouhadda, lui, est malékite, il est docteur en physique et chercheur au niveau du même centre.
Pour lui, il faut d'abord cesser de dire Arabes et Mozabites, car cela donne une connotation plutôt identitaire au problème, alors que cela est clair, c'est purement politique. «Et je vous jure que ce n'est pas cette histoire de drogue qu'on nous brandit à chaque fois», soutient-il, mordicus. Sans langue de bois, il accuse «Kameleddine Fekhar, Kacem Soufghalem et leur bande qui utilisent la Ligue des droits de l'homme, le FFS ainsi que l'Union des commerçants de Ghardaïa» pour installer le pourrissement dans cette ville. «Le début des événement à Ghardaïa a commencé par une attaque incompréhensible sur le quartier de Haï el Moudjahidine, ex-Zegag Lihoud, entre les 23, 24 et 25 décembre 2013, où plus d'une trentaine de maisons de malékites ont été incendiées, démolies et même cambriolées par un groupe — que je nommerai milice — d'ibadites. Et si je dis ibadites, c'est juste pour les identifier et ce n'est pas pour dire que c'est parce qu'ils sont ibadites qu'ils ont fait ça. En plus, il s'agit d'une minorité d'ibadites de Ksar Ghardaïa qui ont un objectif bien déterminé», explique-t-il. M.
Bouhadda révèle que ses relations avec ses collègues ibadites sont excellentes. «Rien n'a changé vis-à-vis de mes amis, voisins, collègues de travail, mes étudiants ibadites et malekites, car nous sommes tous victimes d'un complot mené par une bande d'aventuriers radicaux, mais aussi victimes de l'incompétence du pouvoir. Et personne, ibadite comme malekite, ne veut être dans une situation d'insécurité. Mon éducation est le fruit d'un effort collectif du peuple algérien à travers mes professeurs malekites et ibadites à Ghardaïa ou à l'USTHB, et la moindre des choses est de contribuer à cet effort pour les futures générations.»


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