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«Nos partenaires étrangers veulent saisir l'argent de Khalifa ‘‘légalement''»
L'affaire Khalifa sous la loupe de l'expert en criminalité financière, le Pr Messaoud Abda
Publié dans El Watan le 09 - 06 - 2014

L'affaire Khalifa est très complexe, beaucoup de questions demeurent pendantes, estime l'expert international dans le domaine de la grande délinquance financière, le Pr Messaoud Abda.
Dans l'entretien accordé à El Watan Economie, ce responsable du Programme de criminalité économique à la Faculté de l'éducation permanente de l'Université de Montréal (Canada) considère que «les partenaires étrangers ne lâcheront pas prise. Il y a trop d'argent en jeu, et nos partenaires étrangers veulent saisir l'argent de Khalifa «légalement». Le Pr Abda, Fellow à l'Institut des banquiers canadiens et membre de la puissante association américaine des experts en fraude certifiés «Association of Certified Fraud Examiners ACFE» et de l'«Institute for International Controls», met en relief l'étendue des ramifications internationales du scandale Khalifa qui demeurent non résolues à ce jour. Le Pr Abda est également formateur en finance, gestion des risques, gouvernance et comptabilité au sein de plusieurs Organismes et institutions internationales, dont l'Université McGill et l'Institut des vérificateurs internes (IVI).


-Le procès de Abdelmoumen Khalifa, en prison depuis son extradition vers l'Algérie en décembre 2013, s'est ouvert en France il y a une semaine. Aux yeux de certains observateurs, cette affaire de grande délinquance financière exhale de forts relents politiques notamment en Algérie, où d'aucuns y voient une volonté manifeste de dévier l'attention de l'opinion publique de l'embarrassante affaire Chakib Khelil. Quelle lecture en fait le Pr Abda ?
En l'absence d'informations et de transparence des procédures, il est normal de voir de telles interprétations, et je pense que peu de responsables connaissent et comprennent la complexité du cas Khalifa. C'est pourquoi on est dans le flou total dans cette affaire avec beaucoup de questions légitimes sans réponses ; le système actuel essaye lui-même d'y répondre. Khalifa a des ramifications internationales non résolues à ce jour, et les partenaires étrangers ne lâcheront pas prise. Il y a trop d'argent en jeu, et nos partenaires étrangers veulent saisir l'argent de Khalifa «légalement». D'ailleurs, on ignore le décompte exact de l'argent qui a été gelé dans les banques étrangères ; en plus de ce qu'on a retracé, on n'a que des indicateurs un peu partout dans le monde : 5% des actions de Barclays (R-U), une banque française (F), la Deutsche Bank (D), une banque italienne à Milan (I), la banque Ammas en Suisse (CH), une banque brésilienne (BR), etc.
L'extradition de Khalifa n'est pas le seul fait de l'Algérie, le Royaume-Uni (R-U) a eu son mot à dire ; le R-U est une puissance économique et politique qui n'a pas l'habitude de faciliter les extraditions ou de céder à des pressions politiques. La question est quel est l'intérêt du R-U à livrer Khalifa à l'Algérie au moment où il l'a fait ? Je pense simplement que le R-U, avec l'affaire Khelil, commence à avoir sur son territoire des personnes encombrantes, dont il ne peut plus justifier l'asile ou la résidence envers ses partenaires européens comme l'Italie et la France et envers son autre partenaire, les Etats-Unis. Khalifa et Khelil ont fort probablement porté préjudice à des intérêts du R-U, sous une forme ou une autre ; le risque politique associé à ces personnes est devenu trop lourd pour le R-U.
De plus, la crainte que d'autres personnes qui se retrouveront dans des situations similaires puissent se réfugier au R-U pose un problème légal au R-U et entache sa crédibilité dans sa conduite des affaires. L'élimination du risque politique par une stratégie du «Derisking» qui consiste à éliminer la source ou l'activité d'un risque est la motivation de cette extradition. Il est clair que l'extradition s'est faite dans le respect du droit anglais avec les garanties légales de l'Etat Algérien. On se questionne d'ailleurs sur l'intérêt économique de l'Algérie à extrader Khalifa, l'argent a été dilapidé et on ne peut espérer récupérer les montants détournés. Cependant, pour le capital politique, l'extradition de Khalifa est excellente, mais cela ne règle pas le problème des réseaux puissants du crime économique en Algérie.
-Il est indéniable que pour se faire livrer l'ex-milliardaire, après un marathon de longues procédures, les autorités judiciaires algériennes ont, en plus d'une série de garanties, dû fournir à leurs vis-à-vis britanniques un dossier solide contenant des éléments de preuves concrets et tangibles sur les faits dont il est accusé : «association de malfaiteurs, vol qualifié, détournement de fonds, faux et usage de faux» en rapport avec l'affaire de la faillite de Khalifa Bank. En tant qu'expert en criminalité financière, pourriez-vous nous dire quelle peut être la nature des garanties et des preuves présentées par l'Algérie?
Comme je l'ai indiqué, il ne fait aucun doute que le R-U n'a livré Khalifa que suite à une entente d'extradition légale, qui respecte les lois anglaises et les droits de la personne au R-U, et qui exige que l'Algérie donne en priorité des garanties d'un nouveau procès juste et équitable. Les garanties algériennes envers le R-U englobent premièrement la démonstration de la preuve «hors de tout doute raisonnable» que Khalifa a bien commis les crimes qu'on lui reproche, pour qu'on puisse l'accuser et le juger, et que ce n'est pas un procès politique. Deuxièmement, l'engagement de faire un nouveau procès à Khalifa avec la possibilité de la présence d'un observateur, et, troisièmement, la garantie de la sécurité de Khalifa en tout temps, avant, pendant, et après le procès. Les fins détails de l'accord d'extradition ne sont pas publics, et sont toujours fonction de la nature des crimes reprochés et des personnes à extrader. Cela va plus loin que les seules assurances diplomatiques, qui sont une garantie écrite contre l'utilisation de la torture et de mauvais traitements lors de renvois de personnes ayant fui leur pays d'origine.
-L'Algérie a émis un niet catégorique quant à l'extradition de M. Khalifa vers l'Hexagone où il devrait répondre des griefs retenus à son encontre. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi Londres a préféré le remettre à l'Algérie plutôt qu'à son voisin européen ? Les enjeux énergétiques y sont-ils pour quelque chose ?
Tour d'abord, le scénario que je vois est que les procédures judiciaires algériennes engagées contre Khalifa et entérinées par les pays européens permettent aux banques européennes de pouvoir saisir légalement les fonds Khalifa en attendant son jugement en Algérie. Suite aux procédures algériennes, les pays européens concernés par l'affaire Khalifa engageront leurs procédures et finaliseront la saisie des fonds de Khalifa pour fraude. En ce qui concerne les liens avec l'industrie des hydrocarbures en Algérie que vous soulignez, il est vrai qu'ils entachent la majorité des relations de l'Algérie avec ses partenaires étrangers, qui sont très complexes.
Maintenant, il faut faire attention, l'Algérie a certes du pétrole, mais elle est tellement dépendante des industries hors-hydrocarbures. On n'a qu'à se pencher sur notre facture des importations et la fuite des cerveaux algériens à l'étranger. Donc, oui, le pétrole est un levier, mais il reste limité dans le contexte. Si on vend du pétrole, ça prend des acheteurs et de la pièce de rechange pour le matériel d'extraction du pétrole. L'hypothèse que l'extradition de Khalifa soit intervenue dans un contexte de raffermissement de la coopération entre le R-U et l'Algérie reste fort plausible, si on fait le lien avec l'annonce du 16 mai 2014 du groupe britannique de services pétroliers Petrofac qui a obtenu un contrat de près de 1 milliard de dollars portant sur la construction d'une usine de traitement de gaz dans le bassin de Reggane.
L'autre indicateur de cette hypothèse est que les échanges commerciaux entre les deux pays sont passés de deux à huit milliards de dollars entre 2010 et 2013, permettant au Royaume-Uni de se hisser de la 13e place en 2010 à la 5e actuellement parmi les partenaires commerciaux de l'Algérie. On peut raisonnablement penser qu'il y a eu échange de bons services, et comme le disait Churchill : «La Grande-Bretagne n'a pas d'ennemis permanents, n'a pas d'amis permanents, elle n'a que des intérêts.»
-Vanté autrefois comme un symbole de la réussite, quelles sont, d'après vous, les motivations réelles de ceux à l'origine de l'effondrement brutal d'un mythe, construit avec une telle maestria?
Il est connu que l'ascension fulgurante de jeunes hommes d'affaires dans des économies développées ou émergentes cache certains passe-droits. Le fait est que des histoires à succès comme Khalifa sont un puissant moteur pour une économie qui veut se relever et prouver que tout le monde peut réussir et devenir ce qu'il veut, le fameux rêve américain. Ça mousse une économie d'avoir des figures comme Khalifa. Le problème réside dans les compétences de l'homme d'affaires et son équipe à gérer les activités économiques qu'il lance et la capacité de l'Etat à contrôler la croissance des activités en question (conglomérat).
Khalifa est le reflet de l'effet soporifique du désir d'avoir un modèle de réussite à n'importe quel prix pour motiver le reste des acteurs économiques à prendre des initiatives d'affaires, afin que l'économie se diversifie et se développe. Je dirais à trop avoir voulu créer un modèle de réussite à l'Algérienne, suite à une décennie noire, dans un temps record, a mené au dérapage de toute l'initiative qui était somme toute bonne au départ. Mais quand l'expertise et les capacités de gouvernance manquent en même temps, on a le cocktail de la catastrophe qu'on a vécu.
Pour les motivations, je pense encore une fois qu'elles étaient bonnes au début, c'est la croissance fulgurante qui n'a pas permis aux mécanismes de gouvernance d'opérer et surtout d'asseoir la compréhension de ce qui arrive et qui fait quoi. La peur de briser une expérience économique et financière unique a totalement paralysé les organes de régulation, qui, à mon sens, ne savaient plus comment faire pour dompter la «bête» qu'on a créée. On était simplement tombé dans le syndrome américain «Too big to fail» ; Khalifa était devenu trop gros pour qu'on puisse l'arrêter sans causer des dommages importants au tissu économique. Cette hésitation a été coûteuse pour l'Algérie, mais vu la maturité économique du moment, elle était peut-être inévitable!
-Doit-on comprendre que Khalifa a été victime d'une manipulation?
Est-ce que Khalifa a été manipulé par des sponsors ? Fort probablement, dans le sens où il y avait un cafouillage total dans les activités de Khalifa. Le manque de visibilité a possiblement permis à certains sponsors de profiter d'avantages personnels, en échange d'une impunité pour Khalifa ; impunité qu'ils ne pouvaient pas assurer de toute façon. Certains sponsors ont donné la fausse impression à Khalifa d'être au-dessus des lois, impression qui a renforcé le statut d'intouchable chez Khalifa et lui a permis d'exécuter les actes criminels qu'on lui reproche. Je doute que Khalifa ait jamais voulu comprendre l'étendue réelle de ses gestes, cela dépassait de loin sa propre personne, son aveuglement volontaire est inexcusable et inacceptable.
-Un chiffre d'affaires de plus de un milliard de dollars et une rentabilité nette de 20% réalisait, à son apogée, le groupe Khalifa. D'aucuns jugeaient trop gros le «magot» pour l'imputer à la seule réussite de Abdelmoumen, alors âgé d'à peine trente ans. Partant, l'édification de l'empire Khalifa aurait-elle servi de structure opérationnelle dans le système de blanchiment mis en place par ses «sponsors» aux fins de recycler leur argent d'origine douteuse ?
En fait, permettez-moi de douter qu'il y ait eu une rentabilité réelle de 20% au travers des activités légitimes du groupe, du moment qu'on a su qu'il y avait des détournements systématiques et massifs de sommes d'argent en liquide et par des transferts. La seule façon d'assurer 20% de rentabilité dans ce cas, tout en pratiquant le détournement de fonds, c'est d'opérer un stratagème de Ponzi. Les 20% sont assurés par le recrutement systématique de nouveaux déposants qui apportent de nouvelles liquidités, qu'on remet aux déposants précédents sous forme de rendement, et que Khalifa présente comme le résultat de ses activités, et non comme de nouveaux dépôts ; ce qui, en définitive, justifiait le niveau de rentabilité affiché de 20%. Cependant, pour pouvoir faire face à autant de déboursé en intérêts ou en rendement, il fallait assurer une trésorerie extraordinaire, ce qui ne peut être possible que par l'hébergement de l'argent de groupes criminels et l'offre de services de blanchiment local et étranger.
Malheureusement, la structure du groupe Khalifa se prêtait parfaitement à des opérations de blanchiment, elle fournissait la légitimité et le canal financier et opérationnel pour blanchir les fonds d'origine douteuse. Ce que les autres banques ne faisaient pas, Khalifa le faisait. Un des premiers indicateurs est le taux d'intérêt sur les dépôts entre 10% - 20%, loin du taux directeur de la Banque d'Algérie de 6% et de celui des banques publiques qui est entre 4% et 5%. Une situation pourtant apparente et alarmante !
-Les procédés de blanchiment passent par trois étapes : le placement (prélavage), l'empilement (lavage) et l'intégration (essorage). Pouvez-vous nous expliquer comment furent effectuées les trois opérations dans le cas Khalifa ?
Pour opérer un stratagème de blanchiment, il est essentiel de fabriquer une crédibilité aux transactions qui passent par la banque Khalifa ; je m'explique : placement (prélavage) : on trouve un moyen d'injecter les fonds dans le système financier (la banque). Le client avec de l'argent sale dépose les fonds à la banque, en espèces, pour le compte d'une autre personne ou entreprise prête-nom, personne et représentants de l'entreprise qu'on ne verra jamais à la banque. Sauf que ça prend, en principe, une justification de l'origine des fonds, vu que ce sont de grosses sommes en cash.
Le banquier ici est complice ou accommodant, et le compte est ouvert sous de fausses représentations commerciales ou personnelles. C'est une étape cruciale, c'est le moment où la vulnérabilité est maximale pour le blanchisseur qui risque de se faire repérer s'il ne s'assure pas la couverture d'un complice à la banque. Le banquier est entretenu par un sous-stratagème de corruption pour assurer sa loyauté. Empilement (lavage) : on multiplie les transactions financières et mouvements bancaires inutiles économiquement pour effacer ou réduire au maximum la traçabilité des fonds déposés. On peut par exemple financer des opérations d'import/export par de l'argent sale, ou simuler des achats/ventes de marchandises avec des fausses factures.
Mieux encore, on peut acheter/vendre de l'immobilier avec passage devant le notaire, ou acheter/vendre des voitures et de la pièce détachée. L'idée est, qu'à un moment donné, on ne puisse plus séparer l'argent sale de l'argent propre, et qu'on ne voit que des transactions légitimes entre des personnes qui ne se connaissent pas. L'objectif principal n'est pas de faire de l'argent, mais de faire tourner l'argent seulement, comme une machine à laver. L'avantage particulier du groupe Khalifa était la présence d'une banque avec une compagnie aérienne sous le même toit, cette structure a ouvert des canaux de blanchiment de et vers l'Algérie, au travers des canaux bancaires, à partir des désertes aériennes off-shore comme Beyrouth, les Comores et Dubaï, avec un transit par la France et le Brésil.
L'intégration (essorage) : étape où il faut sortir l'argent du système financier (la banque), pour le sécuriser sous une forme légitime (blanchi) et l'utiliser avec plus de liberté publiquement. Le blanchisseur ne fait jamais confiance à la banque, il essaye toujours de se diriger le plus vite possible vers la fin du processus à chaque opération de blanchiment. Les groupes criminels organisés vont fermer le compte bancaire à cette étape et rouvrir un autre compte sous une autre identité ou raison sociale, et de préférence dans une autre succursale. L'utilisation des prête-noms personnels ou corporatifs est essentielle pour continuer le stratagème. L'identité des blanchisseurs n'est jamais connue, et les prête-noms ne parlent pas par crainte de représailles violentes contre leurs familles !
-Cette arnaque du siècle aurait, s'appuyant sur des estimations de financiers et juristes, causé à l'Etat et aux épargnants un préjudice s'élevant à 1,5 et 5 milliards de dollars. Vous parlez d'autres implications. Peut-on les connaître ?
L'estimé me semble conservateur, ou du moins basé sur les seules preuves documentaires retrouvées. Le plus gros des activités des banques comme Khalifa ne sont pas documentées ; intentionnellement, dans le sens où il y a destruction systématique des traces documentaires papier et électroniques des transactions douteuses, soit par altération et/ou falsification des enregistrements, ou par la destruction pure et simple de ces traces.
Dans l'affaire Khalifa, ma compréhension est que la stratégie de destruction pure et simple des documents a été adoptée, ce qui saborde le processus judiciaire qui ne peut prouver le vrai niveau des pertes. Il y a eu un argent sale en quantité industrielle qui a transité par le groupe Khalifa, et Khalifa s'est arrangé en parallèle pour attirer des fonds publics dans ses comptes. L'argent public a été contaminé par les intérêts payés à même l'argent du crime organisé, la distinction du bon et du mauvais argent est devenue ainsi impossible, et ça c'était voulu par Khalifa. Sans oublier que beaucoup de fortunes accumulées n'étaient pas intéressées à réclamer l'argent non déclaré ou mal acquis déposé chez Khalifa, notamment les devises dans les opérations d'évasion fiscale et de blanchiment.
Enfin, des sources wikiLeaks plausibles avec la taille du groupe Khalifa avancent le chiffre de 3 milliards de dollars, ce qui nous pousse plus vers le chiffre de 5 milliards de dollars de perte nette, c'est énorme pour l'économie algérienne. 10% du PIB en 2001 de 55,2 milliards et 7,5% du PIB en 2003 de 67,9 milliards.
-L'arrestation de M. Khalifa constitue-t-elle une partie du rideau de fumée par lequel on cherche à mieux dissimuler les véritables dessous de l'affaire ?
Même si on retenait ce scénario, il aurait tenu jusqu'à l'extradition de Khalifa, dont la suite logique serait un 2e procès. Je dirais que maintenir Khalifa au R-U serait plus plausible pour mieux cacher les dessous de l'affaire Khalifa. Le 2e procès amènerait la version de Khalifa qu'on n'a jamais pu entendre et qui serait intéressante à écouter dans un Etat de droit. On pourrait découvrir des ramifications qu'on ne veut peut-être pas admettre.
-Les garanties d'un procès équitable en Algérie existent-elles réellement, sachant que derrière l'ex-magnat se cachent des noms connus de la plus haute sphère politique du pays ?
A ce stade du processus, l'Algérie a quand même signé une entente légale internationale avec un partenaire important, je doute qu'elle jouerait sa crédibilité là-dessus. Je pense que la marge de manipulation qu'on voudrait imaginer n'existe plus, surtout qu'on a la certitude que Khalifa va se défendre vigoureusement, le procès projeté serait très intéressant, je pense.
-D'après vous, avec l'extradition et la comparution devant la justice de Abdelmoumen Khalifa, voir un jour Chakib Khelil dans le box des accusés en Algérie est possible vu que le mandat d'arrêt lancé à son encontre est devenu caduc du fait du vice de procédure dont il est entaché ?
Pour la crédibilité de l'Algérie et sa stratégie d'ouverture et de développement avec ses partenaires, c'est inévitable que M. Khelil se soumette à la justice un jour. Beaucoup d'observateurs sont étonnés de la position hésitante de l'Algérie sur l'affaire Khelil. M. Khalifa a bien fini par être livré 10 ans plus tard, quelles que furent les tractations sous-jacentes. L'extradition de Khalifa a bien eu lieu, et pourtant on nous disait qu'il ne serait jamais extradé, car l'affaire est trop encombrante ! Le monde a changé, l'impunité n'est plus possible, et on ne peut pas développer l'Algérie hors des partenariats stratégiques. L'alignement de l'Algérie sur les standards de gouvernance internationaux est inévitable, le prix de cet alignement risque d'être élevé par contre.


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