Des centaines de milliers de travailleurs ont quitté massivement l'UGTA pour créer des syndicats autonomes. Quelques années ont suffi pour qu'ils supplantent l'organisation de Sidi Saïd dans la Fonction publique l Les initiateurs du Comité national de réappropriation et de sauvegarde de l'UGTA, eux, ont préféré y rester pour mener un combat contre l'actuelle direction nationale en vue de redonner à leur syndicat ses lettres de noblesse. Préférée du pouvoir, qui l'impose comme seul partenaire social au sein de la tripartite, l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) est depuis quelques mois dans l'œil du cyclone. De petites rébellions contre la direction nationale par-ci, une brève contestation par-là, l'organisation de Abdelmadjid Sidi Saïd, qui joue le rôle de soupape pour désamorcer la bombe sociale, s'apprête à organiser son douzième congrès au milieu d'une tempête dont on ignore encore l'ampleur. Un mouvement de contestation qui cible sa direction a vu le jour en avril dernier. Regroupant des syndicalistes de divers secteurs, anciens et nouveaux, le Comité national de réappropriation et de sauvegarde de l'UGTA (CNRS) compte bien faire parler de lui d'ici la prochaine échéance organique du syndicat. Sa première sortie médiatique a fait l'effet d'un tonnerre dans le ciel serein de responsables syndicaux se complaisant depuis des années dans le confort de la rente. Mais aussitôt que la crédibilité de l'actuelle direction est mise en cause par le CNRS, qui révèle des pratiques peu amènes visant à acheter le silence des syndicalistes et surtout leur voix, des membres du secrétariat national réagissent pour défendre leurs responsables hiérarchiques et en premier lieu Abdelmadjid Sidi Saïd. Pas un seul des collaborateurs de ce dernier n'ose défier les règles du «milieu». En réalité, hormis quelques brèves phases de son histoire, l'UTGA a toujours fonctionné comme cela. Organisation de masse depuis les premiers jours de l'indépendance, soupape du régime et véritable amortisseur contre les chocs sociaux qu'a eu à connaître le pays, l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) n'a pas changé de statut depuis. Certains pensaient que «la centrale syndicale» allait s'amender avec le pluralisme syndical institué par les différentes constitutions qui se sont succédé depuis février 1989. Mais qu'à cela ne tienne, elle a continué à être imposée comme l'unique partenaire social du gouvernement, même si sa représentativité est très discutable. Cela se fait bien évidemment au détriment des syndicats autonomes devenus, au fil des années, plus représentatifs. Un ancien syndicaliste, Meziane Meriane, aujourd'hui à la tête du Snapest, un syndicat autonome, parle de l'UGTA et évoque les raisons qui l'ont poussé à partir. «Le congrès de 1965 a consacré le syndicalisme d'Etat et a mis fin au syndicalisme de combat et l'ugta est devenue une organisation satellite du parti unique. Le défunt Abdelhak Benhamouda, assassiné en 1996 sur le perron de la Maison du peuple au sortir de son bureau, a été le seul, selon lui, à vouloir le repositionner dans le sillage tracé par ses géniteurs, Aïssat Idir et Abane Ramdane. En 1991, le défunt secrétaire général avait défié le gouvernement de Mouloud Hamrouche en observant deux jours de grève, qui ont permis l'institution de la tripartite, et en imposant un programme anti-Fonds monétaire international (FMI). Pour lui, l'UGTA, qu'il a quittée peu de temps avec l'assassinat de Abdelhak Benhamouda, n'a plus de crédit. Dans la Fonction publique, elle n'a presque plus droit de cité. Ce sont les syndicats de la santé, de l'éducation, de l'enseignement supérieur, des corps communs et autres qui occupent le terrain. Silence contre privilèges de tous genres Dans le secteur économique, si quelques organisations syndicales arrivent à échapper à l'emprise de la direction nationale de l'UGTA, à l'instar des postiers et des syndicalistes de la zone industrielle de Rouiba où subsistent encore des relents du combat social, force est de constater que les luttes sociales dans ce secteur font face à de terribles pressions qu'exercent toujours de nombreux partisans de Abdelmadjid Sidi Saïd et son équipe, comme le soulignent des militants syndicalistes qui préfèrent garder l'anonymat. Bénéficiant de confortables privilèges, ces syndicalistes agissent comme une sorte d'étouffoir de toute contestation sociale. Ahmed Badaoui, ancien n°1 du syndicat des Douanes, victime d'une incroyable cabale pendant des années, affirme (voir l'interview) que «100 véhicules ont été offerts aux secrétaires généraux des fédérations et des unions de wilaya». Plus que cela, certains membres de l'exécutif de l'UGTA ont fait des affaires florissantes, d'autres se sont assuré des retraites dorées de parlementaires, sans oublier, par ailleurs, la mise à l'abri de leur progéniture, en la plaçant dans les plus riches entreprises publiques. De ce côté-là, il faut dire que les retombées du pacte social signé en 2006 par l'UGTA avec le gouvernement sont plus que positives. Selon un syndicaliste, le pacte social n'a pas lieu d'être pour la simple raison que ce type de contrat peut se concevoir dans des périodes de crise pour réunir les conditions de succès aux politiques économiques, ce qui n'était pas le cas de l'Algérie en 2006. Mais s'il est vrai que l'organisation syndicale de Abdelmadjid Sidi Saïd a énormément servi pour contenir la colère des travailleurs, force est de constater que le pacte en question n'a pas empêché la montée au créneau des syndicats autonomes qui ont paralysé des secteurs entiers de la Fonction publique par plusieurs mouvements de grève ces dernières années. L'Etat a été contraint de mettre la main à la poche et très généreusement pour acheter la paix que l'UGTA elle-même n'a pas pu assurer pour avoir perdu toute sa crédibilité auprès de très larges pans de travailleurs. Seulement le pouvoir n'a pas besoin d'un syndicat représentatif, mais d'un appareil prompt à applaudir ses actions et lui servir d'appendice d'appui pour se maintenir.