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TEMOIGNAGE .PROPOS D'UN AMI ANONYME : «Merci pour ce que tu as laissé»
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Publié dans El Watan le 14 - 02 - 2015

Mon amitié avec Assia remonte à plus de trente ans. Je me suis imposé ici l'anonymat en respect à sa propre discrétion. Alors que la plupart des écrivains courent les plateaux de télévision, elle, qui était invitée sur toutes les chaînes, préférait décliner les offres. Assia Djebar est une icône, l'une des plus belles de l'Algérie. Mais, traduite dans plus de vingt langues, elle était plus reconnue à l'étranger que chez elle.
Un professeur de lettres a publié un Dictionnaire des écrivaines algériennes.
Je voulais savoir ce qu'elle disait d'Assia Djebar avant de l'acheter pour le lui offrir. Elle n'y figurait pas ! Mais une sociologue italienne, Renate Siebert, a publié un livre intitulé Voix postcoloniales, Frantz Fanon, Assia Djebar et nous. En 1997, cette même Italienne avait déjà publié un livre sur l'écrivaine algérienne. Plus de 300 doctorats, je crois, ont été consacrés à son œuvre. Combien dans notre pays ? Une Algérienne, Amel Chaouati, anime Le Cercle Assia Djebar. C'est la seule, à mon avis, qui se consacre à faire vivre son œuvre sans calcul, ni récupération.
A l'annonce du décès de Warda El Djazaïria en 2012, «le Président a donné ordre de rapatrier la dépouille mortelle de la défunte à Alger, en lui affrétant un avion spécial, pour lui faire des funérailles nationales»… La grande Warda El Djazaïria méritait de tels égards. Mais pourquoi pas Assia Djebar ? Non parce qu'elle était mon amie, mais à plusieurs titres.
Pour son combat aux côtés de Frantz Fanon en contribuant à El Moudjahid durant la guerre de Libération nationale. Elle était très discrète sur cette période, par la pudeur du devoir simplement accompli. Peut-être aussi parce que le silence était sa façon de manifester sa déception à l'égard des promesses non tenues. Elle était amère de voir qu'à l'indépendance la lutte pour la liberté s'était arrêtée, surtout pour les femmes dont le sacrifice et le combat avaient été escamotés, tandis que, dans notre société, l'avoir a remplacé l'être. Pour aussi sa qualité de femme de lettres de haute voltige.
Et quelles lettres ! C'était un véritable orfèvre des mots avec lesquels elle dénonçait les maux. Pour son attachement à son pays qu'elle a exprimé à travers son œuvre, le mettant en avant dans son magnifique discours à l'Académie, rendant hommage aux «ombres encore vives», tous ces «écrivains, journalistes, intellectuels, femmes et hommes d'Algérie qui, dans la décennie quatre-vingt-dix, ont payé de leur vie…»
Lors de son entrée à l'Académie, elle devait se présenter avec un habit vert, mais elle voulait absolument qu'il soit algérien. Ce fut un karaco brodé. Il lui fallait aussi une épée et elle a tout fait pour qu'elle vienne d'Algérie. Un ami commun lui en a trouvé une chez un antiquaire d'Alger. Il paraît qu'elle appartenait à un des guerriers de l'Emir Abdelkader.
Pour elle, c'était une belle occasion de faire entrer par la grande porte, dans l'hémicycle de l'Académie, un des symboles de la résistance algérienne. Un exemple parmi d'autres de la subtilité d'Assia. Elle m'avait chargé de lui ramener l'épée. Mais comment faire passer un tel objet à travers les frontières algérienne et française ? Par un pur hasard, avant d'embarquer, j'ai rencontré le chef de cabine de l'avion que je devais prendre.
Ce compatriote avait un penchant pour la littérature et, de plus, il appréciait l'écrivaine. Il savait qu'elle venait d'être élue à l'Académie… Il en a parlé au commandant de bord, lui aussi admirateur. Je ne sais pas comment ils se sont arrangés pour convaincre tout le monde à Alger et Paris, mais il faut croire que ce jour, des deux côtés, il n'y avait en service que des amoureux de la littérature. L'épée a voyagé dans la cabine de pilotage et on me l'a remise en dehors de la zone sécurisée de l'aéroport de Paris.
Et tout ce que Assia avait trouvé à me dire : «Mais tout le monde sait que cela fait partie de la tenue des académiciens ! Je savais que tu te débrouillerais.» C'est Assia l'ingénue.
Après son entrée à l'Académie, les officiels français voulaient la récupérer. Philippe Douste-Blazy, entre autres, alors ministre des Affaires étrangères, a organisé une réception en son honneur. Elle a refusé de s'y rendre. «Je ne vais pas faire la promo d'un chantre de la colonisation positive !» avait-elle dit.
Lorsqu'elle se rendait à l'étranger, l'ambassadeur de France mettait à sa disposition, comme pour tous les «immortels», les services de l'ambassade et sa résidence. Cela la surprenait. Mais à aucun moment les représentants de son pays ne se sont manifestés. Cela me chagrinait. Impéritie ou auto-mépris ! Assia était au-dessus, au point qu'elle n'a jamais remarqué ces mesquineries.
Dans notre pays, les chanteurs et les sportifs ont plus de considération que les porteurs de savoir, d'art et de littérature. Est-ce là le curseur de nos valeurs ?
Ce n'est pas par hasard si dans son discours, elle a convoqué l'histoire lointaine de l'Algérie évoquant les grands noms qui ont marqué les siècles, pour rappeler aux Académiciens l'apport des enfants de sa terre algérienne et faire prendre conscience aux autres que l'Algérie est une terre riche en génies, de tout temps arrosée de diversité.
Elle a parlé ainsi d'Apulée de Madaure, né au début du IIe siècle dans l'Est algérien, écrivant en latin, conférencier en grec et auteur de L'âne d'Or, le premier roman de l'humanité. Ajoutant ensuite : «Quelle révolution, ce serait, de le traduire en arabe populaire ou littéraire, qu'importe, certainement comme vaccin salutaire à inoculer contre les intégrismes de tous bords d'aujourd'hui».
Elle rappelait ainsi, avec finesse, à son auditoire que l'intégrisme n'a ni nationalité ni religion, citant Tertullien, auteur d'une trentaine d'ouvrages, qui dans son opus, Du voile des vierges, affirmait : «Toute vierge qui se montre… subit une sorte de prostitution ! »… Et elle ajoutait encore : «Oui, traduisons-le vite en langue arabe, pour nous prouver à nous-mêmes, au moins, que l'obsession misogyne qui choisit toujours le corps féminin comme enjeu n'est pas spécialité seulement ''islamiste'' !»
Puis elle a invité d'illustres ancêtres dans cette assemblée : Ibn Rochd, Ibn Battouta, Ibn Arabi, Ibn Khaldoun, figures de modernité en rupture avec l'obscurantisme. Elle s'est expliqué aussi sur la nécessité de se distancier, pour poursuivre son inlassable combat : «Si j'avais persisté à me battre contre la misogynie des tenants du cinéma d'Etat de mon pays, avec sa caricature saint-sulpicienne du passé ou ses images d'un populisme attristant, j'aurais été asphyxiée comme l'ont été plusieurs cinéastes qui avaient été sérieusement formés auparavant.
Cette stérilité des structures annonçait, en fait, en Algérie, la lame de fond de l'intolérance et de la violence de la décennie quatre-vingt-dix. J'aurais donc risqué de vivre sourde et aveugle en quelque sorte, parce qu'interdite de création audiovisuelle.» Hélas, nous y sommes encore !
Un jour, je me trouvais chez elle. Le téléphone sonne. «Oui, merci, c'est gentil de me le dire…» Deuxième, troisième coup de fil… Au sixième, je l'entends presque crier : «Et alors, qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, cela prouve qu'au moins lui me lit…» Elle m'explique que ce sont des journalistes qui l'appellent pour lui dire que François Mitterrand avait fait un discours à l'Institut du monde arabe et qu'il n'avait cité qu'un seul auteur, en exemple de maîtrise de la langue française : Assia Djebar. «Qu'est-ce qu'ils veulent ? Que je saute de joie ?» «Mais Assia, tu es injuste, le dernier que tu as engueulé, tu ne lui a pas dit qu'il était le sixième.Il voulait juste te faire plaisir...»
C'est dire combien elle était insensible aux flatteries, même des plus grands. «Tant pis pour lui. Allez, je décroche le téléphone.»
Je ne sais pas comment font les autres écrivains, mais elle était une esclave du travail. Je l'accompagnais souvent dans les bibliothèques, à la recherche d'un infime détail concernant la vie d'un de ses personnages. Pour écrire Loin de Médine, elle a étudié à fond d'innombrables ouvrages, la chronique de Boukhari et d'autres textes de l'époque.
Son livre Femmes sans sépulture est un vibrant hommage à la lutte des femmes qui se sont sacrifiées et ont marqué la guerre d'indépendance. Qui l'a remarqué ? Qui l'a lu ? Est-ce qu'on a, depuis, vraiment célébré la vie de Zoulikha Oudaï et d'autres encore, nos héroïnes oubliées ! Assia mettait sa notoriété au service des sans garde, pour sortir ses sœurs de l'ombre.
Son vœu le plus cher était de créer une fondation, pour rassembler tous ses écrits, ses manuscrits, notes, correspondances… Elle nous a quittés sans avoir pu le réaliser. Si ceux qui l'ont admirée et aimée pouvaient donner le jour à ce projet, ce serait le plus beau des hommages à sa personne.
Je me suis contenté de susurrer à l'oreille de mon amie, sur son lit, endormie : «Assia, nul ne peut t'oublier. Merci pour tout ce que tu as laissé…»


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