L'attentat perpétré contre les soldats de l'ANP à Aïn Defla intervient dans un contexte bien particulier. Au moment même où le chef d'état-major, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, appelait à la «vigilance permanente» des forces de l'armée pour combattre le terrorisme «résiduel» et parer à «toute urgence». Le chef des armées a passé le mois de Ramadhan à sillonner les bases militaires, visitant toutes les Régions militaires que compte le pays pour booster le moral des troupes. Le massacre commis par un groupe terroriste le jour de l'Aïd vient brutalement rappeler à l'ordre toute la hiérarchie militaire et politique, lui signifiant que l'Algérie n'en a pas fini avec un terrorisme islamiste que l'on se targue de qualifier de «résiduel». Cet attentat rappelle également combien les militaires positionnés en ligne de front sont une cible facile à atteindre. S'agit-il d'un relâchement, d'où l'appel à la vigilance «permanente», ou bien d'une faille dans la stratégie mise en place pour lutter efficacement contre le terrorisme ? De toute évidence, l'acte sanglant de vendredi autorise toutes les questions sur la façon dont les chefs militaires et politiques conçoivent la «guerre» contre le terrorisme, alors que l'expérience acquise en la matière durant les dures années noires suppose une maîtrise à toute épreuve. Pourtant et contrairement aux années 1990, l'armée dispose de plus de moyens matériels de haute technologie. Le budget de la Défense nationale est exponentiel. L'Etat a consenti un énorme effort de guerre. Pourquoi donc ce terrorisme, décrété résiduel depuis au moins une quinzaine d'années, persiste-t-il ? Des observateurs avertis tout comme des spécialistes estiment que pour que cette guerre soit menée et gagnée, il faut plus que des moyens. Elle exige une vraie stratégie militaire, mais surtout une vision globale et une cohérence à tous les niveaux de responsabilité. De nombreux acteurs politiques et militaires reconvertis en analystes jugent, à ce titre, que tout cela fait défaut et que l'expérience acquise durant la décennie noire n'est pas rentabilisée. Elle aurait été sacrifiée sur l'autel de la politique de réconciliation nationale. «Il faut tracer une stratégie globale en matière de lutte antiterroriste, or on observe depuis un certains temps que des lacunes apparaissent dans le dispositif», relève un ancien colonel de l'ANP parti précocement à la retraite. Il affirme que «les hommes qui ont acquis beaucoup d'expérience n'ont pas eu le temps et la possibilité de la transmettre à la nouvelle génération». Il dresse ainsi un constat implacable : «Les hommes de terrain des années 1990 sont rentrés chez eux, mis à la retraite à un âge précoce, alors que les vieux de 80 ans sont toujours en fonction.» Le chef d'état-major en tête. Officiellement né en 1940, Gaïd Salah cumule des fonctions incompatibles ; à 75 ans, il est le plus vieux soldat au monde. Il n'est pas le seul dans l'institution militaire. Au sein du haut commandement militaire, nombreux sont les officiers qui ont atteint l'âge de la retraite et continuent d'exercer aux dépens de jeunes officiers performants et à l'expérience reconnue dans la lutte contre le terrorisme. «Une génération d'officiers vieillissante ne peut prétendre mener une bataille efficace contre des menaces sécuritaires sérieuse», tonne un autre officier envoyé à la retraite prématurément. Mais si, effectivement, cette «question» est paralysante – parce qu'étant à la base du système politique tout entier qui favorise la gérontocratie à tous les niveaux et compartiments de l'Etat –, il reste que le handicap majeur réside dans l'absence de stratégie globale et de vision politique clairement définie, en mesure de susciter l'adhésion de tous. Le combat contre le terrorisme et son substrat idéologique a été bradé à la faveur d'une politique de relâchement, voire de renoncement. Par calculs de pouvoir, les décideurs, depuis au moins une quinzaine d'années, ont troqué la victoire militaire sur l'islamisme contre une repentance trompeuse. «Au lieu de tirer les conséquences de la violence des années noires et de passer à une démocratie véritable, le pouvoir, avec ses différentes variantes, a fait le choix du statu quo, quitte à pactiser avec les ennemis d'hier», critique un ancien ministre qui a exercé durant la présidence de Zeroual. Le retour de Abdelaziz Bouteflika aux affaires avec le concours des chefs militaires avait inauguré, pour le pays, un autre cycle politique fait de manœuvres de pouvoir aussi déroutantes que périlleuses. De l'islamisme politique on a fait un chiffon vert agité en permanence pour ajourner la demande démocratique. Sur ce registre, les pôles du pouvoir sont tous en harmonie.