Le FLN et le RND ont été actionnés pour taper dur sur l'opposition. C'est devenu un rituel en période de crise aggravante pour détourner l'attention sur les vrais problèmes et sur les responsabilités d'une gestion désastreuse. Mais les deux partis du pouvoir, en plus de ressentir la bonne motivation pour accomplir cette mission qui rencontre de moins en moins d'échos, ont trouvé là l'opportunité idéale pour mettre en sourdine leurs querelles le temps de se remettre de leurs dernières invectives publiques qui avaient fait grand bruit dans la toile. Faire la morale pour discréditer des adversaires politiques qu'on ne nomme jamais, c'est certainement une formule médiatique comme une autre pour s'affranchir des critiques, mais avant de donner la leçon de probité aux autres, il faut s'assurer d'abord d'une conduite irréprochable ce qui en politique ressemble à une hérésie. Le clin d'œil vaut en la circonstance largement pour nos deux représentants de la majorité. Il faut revenir sur les déclarations tonitruantes du porte parole du vieux parti à l'encontre de son frère ennemi pour comprendre l'état de déstabilisation dans lequel se trouve la formation du chef de cabinet de la présidence et son empressement à quitter ce débat qui devait rester souterrain : «La fraude du RND lors des élections locales de 1997 a dépassé la notion juridique de la fraude…» a reconnu Hocine Kheldoun pour qui le Rassemblement a commis «le plus grand hold-up de la volonté des électeurs». Le déballage a fait l'effet d'une douche froide dans le dos d'un parti qui s'est toujours présenté comme exemplaire en matière d'éligibilité et qui de surcroit se targuait d'avoir une base militante saine correspondant à des scores électoraux non manipulés. En somme, en reniant le fait d'avoir été «un produit de laboratoire», Ouyahia, dès que la question de la représentativité se pose, ne se retient pas pour faire l'éloge d'un parti qui a, selon lui, un ancrage certain dans la société et dont la militance pour le combat démocratique ne peut faire l'ombre d'un doute. Mais c'est le FLN et non pas l'opposition — ou la presse non accréditée à ses thèses — qui vient créer le désordre en révélant que cette belle image n'existe que dans la fiction entretenue par le patron du RND dont les ambitions présidentielles ne sont un secret pour personne. Il fallait s'attendre bien sûr à une riposte pour donner l'impression que tout cela n'est que calomnie, et c'est le deuxième homme du parti qui a été chargé de la transmettre par la même voie médiatique. «Nous avons des choses à dire sur les élections du FLN de 2002 entachées d'une fraude jamais vue» a donc déclaré Sedik Chihab, laissant entendre que l'ex-parti unique est vraiment mal placé pour jouer au moralisateur de la vie politique, surtout avec à sa tête un responsable qui est loin d'être un exemple de rectitude. C'est aussi violent et aussi direct. La réponse du berger à la bergère en termes brutaux qui nous renseignent sur la nature réelle et la personnalité de deux leaders qui font main basse sur l'espace politique et sont par conséquent compromis dans la prise en charge des affaires du pays. Tout le monde sait que les deux partis — qui s'affrontent aujourd'hui à distance, mais en évitant de dériver complètement parce que liés par le même sort — sont arrivés à leurs positions respectives par le trafic des urnes et le resteront tant que l'administration dominante leur servira de couverture. Mais quand ce sont eux-mêmes qui l'exposent au grand jour, cela prend une dimension encore plus dramatique. Au-delà des prétentions de pouvoir qui animent les deux partis,chacun dans son rayon, chacun avec ses petits calculs et sa modalité démagogique, les Algériens savent aujourd'hui plus qu'hier que la vie politique nationale est confiée à des manipulateurs de consciences qui s'occupent d'abord de leur ego et de leur carrière. A ce titre, la dernière lettre envoyée par Ouyahia à ses militants, à la veille du 8 Mars, est certainement un morceau d'anthologie dans l'art de manipuler le mensonge. En gros, le patron du RND rend presque responsable l'opposition de tous les maux qui affectent le pays, allant jusqu'à l'accuser de «jubiler du fait de la crise économique» et d'être de connivence avec l'étranger «dans l'espoir de cueillir le pouvoir à l'ombre du chaos». Décodé, le message du RND veut dire que nous avons une opposition destructrice et qui de surcroit tombe dans le jeu de la trahison. Le lien avec l'étranger pour justifier les faiblesses de la gouvernance interne est une vieille recette du parti unique qui semblait avoir fait son temps. Mais Ouyahia, à court d'arguments comme toujours, la remet au goût du jour pour accabler un adversaire politique qui ne cesse d'interpeller, en vain, le pouvoir sur ses graves dérives. Une parenthèse s'impose ici pour dire que les Algériens savent exactement qui fait quoi dans ce pays. Entre autres que c'est la nomenklatura associée à la nouvelle oligarchie qui ont jeté les passerelles avec l'étranger pour des intérêts non avouables mais que l'on peut deviner. Qui a acquis des biens à l'étranger ? Qui envoie sa progéniture étudier à l'étranger ? Qui se soigne à l'étranger ? Qui s'allie politiquement avec l'étranger ? Etranger prend, on l'aura compris, la même signification que celle suggérée par Ouyahia, allusion faite à la France qui accueille tous nos fantasmes. Dans la même missive du chef de cabinet de la Présidence qui aime bien parader avec deux casquettes, le délire atteint son paroxysme lorsqu'il avoue que «l'Algérie n'est pas tributaire des hydrocarbures qui ne constituent que le tiers de nos ressources...» Nos experts économiques tomberont des nues en lisant cela, eux qui passent leur temps à dire que le danger qui menace notre survie économique vient du fait que nous restons dépendants à 98% des produits du sous-sol. Mais bien sûr, c'est la diversification de nos productions qui est à la mode et nous sauvera du désastre… mais dans une vingtaine d'années si on commence aujourd'hui, comme l'a si bien expliqué Amara Benyounès. Développer l'agriculture, le tourisme, les services, c'est la bonne idée lancée par Ouyahia, mais pourquoi l'avoir négligée depuis une vingtaine d'années alors qu'il a toujours été au pouvoir ?