L'Algérie prépare un nouveau modèle économique dont les contours devraient, selon le Premier ministre Abdelmalek Sellal, être connus en avril prochain. Une «task force» composée d'économistes et experts algériens de différentes spécialités planchent actuellement dessus. Son but sera de doter le pays d'une assise économique solide qui permettrait de minimiser l'impact de la crise actuelle et de préparer l'avenir économique du pays. Un avenir qui devra passer par une diversification économique et par la libération de l'emprise du secteur des hydrocarbures et de l'omniprésence de l'Etat dans la sphère économique et sociale. Abdelhak Lamiri, membre de cette «task force», a récemment insisté, sur les ondes de la Radio nationale, sur la nouvelle configuration économique du pays qui doit être fondée sur «l'industrie du savoir», moteur de développement des économies émergentes et source de développement de tous les autres secteurs que ce soit l'industrie, l'agriculture ou les services. Un secteur qui a bénéficié de moins 2% des allocations budgétaires dans le plan quinquennal 2010-2014. L'Algérie devrait donc privilégier la science, la technologie, la recherche et le développement, la formation des ressources humaines et développer les pratiques managériales à tous les niveaux. Mais surtout, elle doit se doter d'une «structure de planification au niveau du Premier ministère ou de la Présidence», selon M. Lamiri. Car s'il y a bien un sujet sur lequel s'accordent les experts, c'est le manque de vision stratégique à long terme qui a caractérisé la gestion des affaires économiques du pays ces dernières années. Au socialisme s'est substituée une ouverture économique anarchique entremêlée d'épisodes interventionnistes. Le Plan d'ajustement structurel et la période de terrorisme ont mis le pays à genoux durant la décennie 1990, avant que l'embellie pétrolière des années 2000 n'offre une opportunité unique de redresser la barre. Mais avec un modèle économique fondé sur la dépendance aux hydrocarbures, les fortes dépenses publiques et la croissance de l'Etat social, l'Algérie semble avoir raté son décollage. «Les politiques économiques mises en œuvre ont induit des changements structurels qui ont entraîné un déclin relatif du secteur de l'agriculture sans pour autant conduire à l'émergence d'un large secteur industriel moderne», notait Rafik Bouklia-Hassane, économiste, membre de la «task force», dans un diagnostic de l'économie nationale entre 1977 et 2014. Le taux de croissance du secteur industriel a été en moyenne de 4,3% sur la période 2004-2014 contre 6,3% pour l'agriculture, un secteur qui a perdu près du quart de sa main d'œuvre depuis le début de la décennie 2000. La conséquence de ces choix a notamment été un marché intérieur faiblement couvert par la production industrielle nationale. Ainsi, en 2000, «1 DA de PIB nécessitait 0,23 DA de produits importés. En 2013, 1 DA de PIB à prix constants nécessitait 0,46 DA d'importation», observe M. Bouklia-Hassane. En somme, l'Algérie a négligé sa vocation agricole sans la remplacer par une autre alternative, accentuant au contraire sa dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz. Le secteur des hydrocarbures qui a permis d'engranger des recettes colossales tout au long de cette période a été davantage un handicap qu'un catalyseur pour l'économie. D'une part, la hausse des cours du pétrole ayant favorisé des ressources financières considérables, a fini par étouffer toute velléité de diversification économique. D'autre part les performances en demi teinte du secteur des hydrocarbures (négative depuis 2006), a plombé ainsi la croissance globale du PIB portée par d'autres secteur comme l'agriculture et le BTP. Omniprésence Sur le plan macroéconomique, l'Algérie a fait le choix d'une croissance tirée par la dépense publique. L'Etat a été depuis le début de la décennie 2000, le principal moteur des investissements publics, mais aussi privés, grâces aux aides à la création d'entreprise, aux bonifications des taux d'intérêts et aux exonérations fiscales. Selon un bilan du gouvernement, durant l'année 2011, les investissements publics (budget de l'Etat+Fonds national d'investissement) représentaient plus des deux tiers des investissements réalisés. En 2009, un rapport d'évaluation de la Banque Mondiale (BM) observait que le taux d'investissement public de l'Algérie se situait à plus de 10% du PIB, soit parmi les plus élevé au monde comparativement à la moyenne de moins de 4% dans les pays de l'OCDE, moins de 5% en Amérique latine, et moins de 8% dans les pays asiatiques. Des investissements visant en premier lieu à améliorer les conditions de vie des citoyens et qui ont permis de remettre à niveau une infrastructure détruite par des années de terrorisme, de rattraper le retard en matière de transport, de travaux publics, d'énergie et d'hydraulique, ainsi que de répondre à un besoin pressant en matière logement. Sur la période 2000-2014, les investissements publics représentaient en moyenne 13% du PIB (près de 20% en 2009), selon la Banque d'Algérie. Mais des investissements qui ont donné lieu à des surcoûts, des réévaluations, du gaspillage et de la corruption. Ainsi l'enveloppe consacrée initialement au plan de consolidation et de soutien à la croissance (PCSC 2005-2009) qui était initialement dotée d'une enveloppe de 55 milliards de dollars a fini à 200 milliards de dinars. Dans le secteur des transports, par exemple, les réévaluations de coût représentaient près de 20% à la fin du plan de soutien à relance économique, selon la BM. Ces investissements ont aussi peu soutenu le développement économique. Selon une étude de Youcef Benabdallah, chercheur au CREAD, moins de 10% de l'enveloppe du PCSC était réservée au soutien au développement économique contre plus de 40% pour les infrastructures de base. Dans le programme quinquennal 2010-2014, moins de 20% de l'enveloppe de 286 milliards de dollars a été consacrée à l'appui au secteur économique. Sauvetage Mais l'effort de l'Etat ne s'est pas limité aux projets d'infrastructures. L'ancien ministre des Finances Abdellatif Benachenhou faisait remarquer dans l'un des débats organisés par le club CARE, que l'intervention économique de l'Etat à travers les dépenses fiscales (exonérations) et les aides à l'investissement représentent 6% du PIB, la jugeant énorme. Cela s'ajoute aux multiples opérations d'assainissement d'entreprises publiques économiques. Selon le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdessalem Bouchouareb, l'Etat a consacré entre 2009 et 2014, un plan d'assainissement des entreprises publiques de l'ordre 320 milliards de DA. Dans une étude sur la privatisation des entreprises publiques en Algérie (2010), l'économiste Hmamda Mohamed Tahar, soulignait que «l'assainissement du secteur étatique a coûté au Trésor public plus 60 MDS de dollars entre 1991 et 2007, dont plus de 40 MDS affectés à l'assainissement des entreprises publiques». Dans le secteur bancaire l'ancienne ministre déléguée à la réforme financière, Fatiha Mentouri, déclarait en 2003 dans un entretien au journal Les Echos, que «l'assainissement du portefeuille des banques et leur capitalisation a couté au Trésor 1250 milliards de dinars soit entre 6 et 8% du PIB». La Banque d'Algérie indiquait, quant à elle en 2008, que le soutien étatique aux banques s'est situé à 2,6% du PIB en en moyenne annuelle entre 1991 et 2002 et 1,7% entre 2005 et 2006. Le secteur privé n'a pas été en reste. Plus de 30 milliards de dinars ont été consacrés au rééchelonnement de la dette des entreprises privées en 2011. Cette année là, selon le bilan du gouvernement, plus de 11 milliards de dollars ont été alloué aux opérations de rééquilibrage financier, de modernisation et de rééchelonnement des dettes des entreprises publiques économiques (EPE), des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) et des entreprises privées dont plus de 80% ont concerné les entreprises publiques. Autant d'efforts financiers qui n'ont pourtant jamais permis de créer une alternative à une économie fondée sur la rente pétrolière, de substitution aux importations et orientée vers les exportations. Soit autant de dysfonctionnements à repenser et à prendre en compte dans le cadre du nouveau modèle économique.