L'écrivain guinéen francophone, Tierno Monénembo, est revenu, dimanche dernier, au cours d'une conférence animée à la salle du Sila, sur deux de ses romans majeurs, Le Roi de Kahel et Bled. Grande figure littéraire, Tierno Monénembo a indiqué au début de son intervention que le rythme de la publication ne dépend pas de lui mais du livre et des personnages. Chaque livre s'impose de lui-même. Il impose son temps et son style. Tous ses livres sont différents. «Aucun de mes livres, dit-il, ne ressemble à un autre. On a l'impression que c'est un autre écrivain qui écrit. Flauvert a fait pareil. Je considère que le livre se fait de lui-même en quelque sorte. On a une petite idée qu'on creuse et dès qu'on esquisse le premier personnage, le livre passe en indépendance». L'écrivain revient sur son livre Le Roi de Kahal, sorti en 2008 et ayant remporté le prix Renaudot la même année. L'histoire se passe dans le royaume des Peuls. Tierno Monénembo y décrit l'épopée africaine de l'aventurier lyonnais Aimé Olivier de Sanderval (1840-1919), qui, ayant acquis de vastes terres sur le plateau de Kahel, en territoire peul, tenta d'y édifier un royaume. L'action se déroule entre 1879 et 1919. Le personnage principal, Sanderval, a pour ambition de prendre possession pour lui-même et accessoirement pour la France de ce territoire. «On le suit durant son expédition africaine, sa rencontre avec l'almâmi, son retour en France, où il tente de faire valider ses traités. De retour au Fouta Djalon, il brigue et obtient un terrain de 20 km de long en plein centre du Fouta Djalon : le Royaume de Kahel qu'il exploite et dans lequel il bat monnaie. Il en est chassé par les Français, lorsque ceux-ci finissent par conquérir la Fouta Djalon». L'écrivain Tierno Monénembo explique qu'il avait onze ans quand son pays a acquis son indépendance. De ce fait, son expérience de colonisé est brève. Il n'a, certes, pas connu l'histoire coloniale, mais en revanche il a connu celle de la décolonisation. La Guinée est l'un des premiers pays indépendants du système colonial français en Afrique noire. «Nous sommes restés, confie-t-il, sans ambassadeur, sans relations diplomatiques après l'indépendance de notre pays qui a lieu en 1958. Tout cela a fait que j'ai eu un double regard. J'ai un regard précis sur les derniers moments de la colonisation. Et un regard sur les débuts des indépendances. Aucun discours ne m'expliquera l'indépendance de la Guinée. Elle est dans ma tête aussi précise que les images dans un livre d'enfants. Je sais aussi que très vite l'euphorie de l'indépendance s'est dissipée. Tout cela a fait que j'ai pris beaucoup de distance par rapport au fait colonial. Je me suis dit qu'il y a des professionnels de la colonisation et de la décolonisation. Il y a eu, aussi, la comédie de la colonisation et de la décolonisation». Pour l'auteur, le personnage principal de son roman Le Roi de Kehal , Sanderval, colle parfaitement avec cette logique, puisque c'est un colon assez particulier. Il va en Afrique non pas pour se battre pour la France, mais pour lui-même. Il s'agit d'un personnage complexe à tous points de vue. «C'est que comme moi, il se moque un peu de l'histoire. Je pense que tout écrivain sérieux se moque de l'histoire. Je pense, aussi, que la littérature n'a jamais pris l'histoire au sérieux. En général, la littérature doit se moquer de l'histoire». Son dernier roman intitulé le Bled, publié l'année dernière, est fortement inspiré de l'Algérie. Il a enseigné de 1979 à 1983 dans un village Aïn Guessoum, à Tiaret. C'est l'Algérie de Kateb Yacine qu'il restitue élégamment. Tierno Monénembo avoue qu'il y a plusieurs similitudes entre le roman Nedjma de Kateb Yacine et sa fiction le Bled, à travers le personnage de Zoubida. Il est à noter que l'écrivain guinéen Tierno Monénembo a été distingué, en juin dernier, par l'Académie française, qui lui a décerné le prestigieux Grand Prix de la francophonie.