Décédé lundi dernier dans un hôpital parisien suite à une longue maladie, à l'âge de 86 ans, l'artiste peintre algérien, Choukri Mesli, sera enterré, aujourd'hui, dans sa ville natale, Tlemcen. La dépouille mortelle du défunt — recouverte de l'emblème national —, a été acheminée, directement de l'aéroport international Houari Boumediène vers le palais de la culture Moudfi Zakaria. Ils étaient nombreux, sa famille, ses amis, ses anciens élèves, des artistes et des admirateurs à rendre un dernier hommage à l'un des fondateurs de l'art moderne algérien. Outre la présence de la veuve, des enfants, de la sœur et du frère du défunt, on pouvait apercevoir, entre autres, Nourredine Chegrane, Louisette Ighilahriz, Karim Sergoua, Zoubir Hellal, Jaoudet Gassouma, Nadira Laggoune, Zehira Yahi, Najet Khadda, Mohamed Yahiaoui, Djahida Ouahadef et Djamel Matari. L'ambiance était empreinte de tristesse, de larmes et de souvenirs, irrévocables à jamais. Dans une oraison funèbre, un représentant du ministère de la Culture, Aïssani Hiham, a soutenu que l'«Algérie a perdu un de ses valeureux fils, un pilier de l'art plastique et un homme ayant la stature des grands hommes». Après avoir observé une minute de silence, le fils du défunt, déchiré par la douleur, a rappelé que la source d'inspiration de son père était, justement, le silence. Il remerciera, élégamment, l'assistance d'être venue, ainsi que le ministère de la Culture. Place ensuite à une série d'émouvants témoignages qui ont ému les présents. Au nom des étudiants des arts plastiques, le plasticien Karim Sergoua a révélé que son ancien professeur, Mesli, n'était pas un simple accompagnateur pédagogique, mais aussi un enseignant humaniste. L'artiste peintre Denis Martinez indique que Choukri Mesli fait partie de ceux qui lui ont permis d'être ce qu'il est aujourd'hui. Il rappelle que quand l'Ecole des beaux-arts d'Alger a rouvert ses portes en 1963, sous la direction de Bachir Yelles, il faisait partie de l'époque enseignante aux côtés de Mesli. «Nous étions, dit-il, très peu nombreux du côté algérien. A notre arrivée à l'école, il y avait beaucoup de problèmes, de contradictions et de tendances. Nous voulions que les générations à venir soient des générations fortes dans tous les domaines. Nous voulions multiplier le nombre d'artistes pour renforcer la culture algérienne. Nous avions un double rôle, de pédagogues et d'artistes-peintres. Nous avons créé, aussi, le groupe ‘‘Aouchem'' en 1967». Denis Martinez témoigne que Choukri Mesli était un excellent pédagogue et qu'il n'y a pas eu de coupure entre l'artiste et le pédagogue. C'était quelqu'un qui aimait la vie. Denis Martinez se souvient que la dernière fois qu'il a vu le défunt, c'était en 2001, à Paris, pour un film documentaire, Choukri Mesli, le peintre et passeur de rêves, réalisé par Mostefa Djadjam. L'orateur regrette, cependant, que le défunt ait été cloîtré chez lui à cause de la maladie et de surcroît en exil. «Il n'a pas pu faire profiter les dernières générations de sa manière de parler et de partager», estime-t-il. Au passage, Denis Martinez n'omet pas de révéler qu'il a été destinataire d'un livre provenant d'Angleterre, réalisé par une Américaine spécialisée dans l'histoire de l'art. Cette dernière a publié un livre intitulé Pourquoi sommes-nous artistes ?, levant le voile sur les cent mouvements artistiques de ces cent dernières années. Un large chapitre est, d'ailleurs, consacré au groupe «Aouchem». Pour sa part, le designer-plasticien algérien, Zoubir Hellal, reconnaît que c'est grâce à Choukri Mesli qu'on a pu ouvrir une école d'art et que beaucoup de générations y ont fait leurs études. Zoubir Hellal a frôlé l'Ecole des beaux-arts d'Alger à l'âge de 15 ans. Il avoue qu'il ne considérait pas Mesli comme son professeur, mais comme son père. «Il nous demandait, affirme t-il, à chaque fois l'origine de nos parents, faisant référence à l'histoire de la peinture algérienne. Il incitait ses élèves à avoir des repères sur le plan de la séquence historique, laquelle formait la culture universelle. Il nous apprenait à avoir une certaine liberté de pensée. Mesli était un homme entier qui nous apprenait à être, nous aussi, entiers comme lui. Je pense que la transmission a été bien léguée. La chaîne n'a pas été rompue.» Pour la plasticienne Djahida Houadef, Mesli reste l'un des pionniers de la peinture algérienne. La nation algérienne a perdu une école et une mémoire. Elle a soutenu que, certes, l'homme a tiré sa révérence, mais que garderons-nous de l'artiste ? Elle avoue que ce qui la rend triste aujourd'hui, c'est de ne pas savoir où trouver les œuvres du défunt. Elle s'est posé, d'ailleurs, plusieurs questionnements dans ce sens- là : «Est-ce qu'il y a une transmission qui est assurée ? Où est tout le travail de Mesli ?» «Nulle part ailleurs», lance-t-elle. Toujours selon elle, Choukri Mesli est un pionnier de la peinture algérienne qui a porté l'art moderne dans l'esprit de la peinture algérienne. «Il faut assurer la transmission, saisir et rassembler le patrimoine national. Où est notre patrimoine ? On ne retrouve nulle part les œuvres des grands artistes algériens. Qu'avons-nous constitué depuis l'indépendance de l'Algérie jusqu'à nos jours ?» tonne-t-elle. Aux alentours de midi, le cercueil de l'artiste peintre Choukri Mesli a été sorti par des éléments de la Protection civile pour être transporté à Tlemcen, et ce, sous des youyous stridents, lancés par sa sœur Fadhéla. Nacima Chabani