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Comment fabrique-t-on un génie ?
Mostefa lacheraf. Un penseur universel
Publié dans El Watan le 18 - 01 - 2007

Sur les bancs de la faculté, dans les années 1970, alors que nous avalions les ouvrages de sociologie, d'histoire ou d'économie, les grands auteurs de sciences humaines nous parvenaient tels des météorites flamboyants : Hegel, Comte, Weber, Marx, Durkheim, Mac Luhan, Lévi-Strauss, Braudel, etc. tous aussi impressionnants et respectables, avec nos préférences, toutefois, pour les rebelles.
Dans ce Top 50 de la pensée, un seul nom était venu réveiller les braves démons qui nous agitaient lorsque l'équipe nationale de football jouait : un certain Mostefa Lacheraf. Nous avions plus ou moins entendu parler des autres au lycée mais de celui-là, jamais. En plus, un des nôtres ! Nous n'étions pas chauvins, loin de là, mais étudier une discipline, fut-elle universelle, sans avoir de références proches, constituait un handicap certain. Heureusement, la défunte SNED (Société nationale d'édition et de diffusion, dont les librairies deviendront bientôt des fast-foods ou des friperies !) et la bourse d'étudiant qui assurait une vie d'étudiant décente, nous permirent d'acheter le fameux Algérie, nation et société, publié aux éditions Maspero. Les professeurs nous incitaient à le lire. Nous nous efforcions de les écouter, sincèrement motivés mais, pour la plupart d'entre nous, effrayés par le style de Mostefa Lacheraf. Rares sont les essais en sciences humaines où l'on peut trouver une telle maîtrise de la langue. Une orfèvrerie royale d'autant plus raffinée qu'elle exprime des idées qui vont fouiller les recoins infinitésimaux de la nuance. Cela sans compter la foule d'informations, citées en passant, comme si de rien n'était, et dont une seule d'entre elles est un univers à lui seul qu'il faut ingurgiter avant de terminer la phrase. Et puisque nous parlons de phrase, il y en a une dans l'ouvrage précité qui devait faire deux pages d'affilée, un long boa constrictor d'idées qu'il fallait disséquer en apnée intellectuelle. Si jamais un reproche peut venir en pensant à Mostefa Lacheraf, ce serait celui-ci : il n'était pas didactique. Mais était-ce son rôle ? Intellectuel intransigeant, ses idées atteignaient la stratosphère de la pensée. De plus, fondamentalement littéraire, marqué en outre par la précision d'horlogerie du langage de son premier emploi dans la justice, son père étant déjà magistrat des juridictions de droit musulman, il vénérait à la fois l'exactitude et la beauté des mots. Mais au final, toujours en ces années d'université, peu d'entre nous avaient entièrement lu son ouvrage et certains même le citaient sans jamais l'avoir lu. Seuls les plus férus de la littérature, rompus aux exercices de style et aux structures complexes de textes, s'en tiraient plus ou moins avec lui. Il a sans doute compris cela plus tard puisque ses écrits sont alors devenus plus directs et accessibles. Mais on le sentait en cela frustré de la belle langue qu'il pratiquait autrefois, se forçant presque à la simplicité. L'écriture est toujours quelque part une douleur. Et, au fond, si ce n'était la paresse de lire qui s'était déjà emparée de nous, (aujourd'hui, c'est pire avec les SMS se substituant aux correspondances et même à la parole), ceux qui ne se sont pas attachés à le lire ont raté quelque chose, encore qu'ils peuvent se rattraper, un livre étant lisible longtemps à la différence d'un SMS. Cela dit, longtemps je me suis demandé ce qui avait forgé, voire justifié, une telle écriture. Une réponse est venue plus tard en réalisant que finalement, ce monsieur n'était pas sociologue, pas plus qu'historien ou homme de lettres, pas plus que poète ou juriste, ni intellectuel ou haut fonctionnaire, pas théoricien ou résistant national. En fait, il était tout cela à la fois. Sa langue donc ne pouvait que dépasser les jargons, les codes et les pédagogies de chacune de ces disciplines ou engagement. Il était en réalité un « penseur universel » dans la pleine acception de l'expression, dans la tradition de l'âge d'or des grandes civilisations, musulmane en particulier, jusqu'à la Renaissance européenne. On pouvait être astronome, poète, mathématicien et médecin et plus, si affinités. Les sciences étaient alors assez limitées pour permettre à un seul homme d'en embrasser plusieurs et assez riches pour donner des synergies extraordinaires, entre elles déjà, et entre elles et l'art, la littérature ou la théologie. La question de sa « fabrication » trouve des réponses dans son parcours et sa biographie. Au-delà de son intelligence acérée et de sa capacité d'analyse, c'est sans doute la densité et la diversité de ses sources humaines, sociales, culturelles et politiques qui ont fondé sa personnalité. Une profusion de sources qui lui a permis, très jeune, de découvrir plusieurs univers et d'élargir sa vision à une échelle de pensée inouïe. Une aubaine que n'a pas gâché l'enfant curieux et intelligent qu'il était et qu'il resta sans doute jusqu'à la fin, traînant sur ses traits vieillis un mélange de « Petit Prince » pour lequel aucune question n'est inutile et de sagesse vénérable quasi asiatique. Né au cœur de nos Hauts-Plateaux, au hameau d'El Karma, il a grandi dans l'environnement rural ou semi-nomade de la région. Mais le bourg de Sidi Aïssa était alors un microcosme non dénué de cosmopolitisme. On y venait de toutes les régions du pays pour son marché encore vivace, et plusieurs communautés y cohabitaient, les trois grandes religions monothéistes y étant pratiquées. Il a connu le mélange entre cet univers rural et sa culture orale, alors belle et puissante, rythmée par la « transhumance pastorale romantique » et l'affirmation dans sa famille de lettrés de la chose lue et écrite, du respect du savoir et de l'érudition. Du côté de sa mère, issue de la famille Dziri, implantée à La Casbah depuis le XVIIe siècle, il reçut un patrimoine culturel citadin, marqué par l'image de son grand-père et de personnages fabuleux comme cette grand-tante qui parlait encore le turc. Il a effectué ses études secondaires à Ben Aknoun avant de connaître les bancs de la médersa thaâlibia et ceux de la Sorbonne, disposant d'une connaissance parfaite des cultures arabe et française et de leurs langues. Depuis son adhésion en 1934 (il a 17 ans) au PPA, il a poursuivi le combat jusqu'à l'indépendance, exerçant des responsabilités importantes et discrètes. Il a connu l'expérience de l'émigration comme celle de l'exil, la prison comme la cavale, la clandestinité comme les grands protocoles. Il a exercé comme son père dans la justice, mais a été aussi professeur de lycée à Mostaganem et Paris. Il a été ambassadeur et à ce titre, en Amérique du Sud surtout, il s'est familiarisé avec les vieilles civilisations de ce continent et sa culture présente. Il a écrit des poèmes, des articles, des contes et des livres mais participé aussi à la rédaction de textes politiques nationaux. Il s'est intéressé à toutes les sciences et disciplines. La liste des hommes politiques et hommes de lettres qu'il a rencontrés de par le monde est tout simplement impressionnante et d'une diversité aussi étonnante que le reste de sa vie. Si bien qu'en la parcourant à peine, on se rend compte qu'elle était un condensé de plusieurs époques, plusieurs cultures, plusieurs expériences, plusieurs activités, métiers, rôles et statuts. Plusieurs vies en une seule que des conditions historiques et personnelles ont suscitées ou favorisées et qu'il a eu le talent d'affirmer avec une discrétion inimaginable. Le moule exponentiel qui l'a forgé n'est plus, car il était un monde.

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